jeudi 18 janvier 2018

"Meilleurs alliés" une pièce de Hervé Bentégeat mise en scène par Jean-Claude Idée

"Meilleurs alliés" 

Affiche-Cercle du lac copie
La rumeur était déjà venue de France où la pièce avait été jouée avec un succès retentissant à Avignon lors du Festival et à Paris au Théâtre du Petit Montparnasse où plus de cette représentation ont été données à guichets fermés: la mise en scène et le jeu des acteurs,  avaient conquis le public, si difficile, de l'Hexagone. La presse unanime salua ces Belges (encore eux!) qui triomphaient avec  la pièce de Hervé Bentégeat, triomphe d'autant plus difficile et spectaculaire que les protagonistes en sont Winston Churchill et Charles de Gaulle. 
Quels comédiens oseraient s'attaquer à de telles figures, les incarner sans tomber dans la caricature, sur une scène de théâtre? Il a fallu dix ans (la pièce a été écrite en 2007) pour que, par le hasard d'une lecture-spectacle du discours que Malraux prononça, en 1970, aux funérailles du Général, soit remarquée l'interprétation de de Gaulle par le comédien belge, Pascal Racan.
Le premier obstacle était ainsi levé: un acteur, inconnu au bataillon des comédiens parisiens, avait été trouvé pour incarner la figure légendaire de l'histoire de France  et du sentiment national de la République. 
Dès qu'il paraît sur scène, Racan crée cette émotion  qui parcourt le public: il est de Gaulle. Dès sa première réplique, l'effet est décuplé: les intonations, le phrasé, la musicalité, la fausse langueur et la vraie gourmandise du discours gaullien résonnent dans la salle. 
Churchill, contraste en tous points avec de Gaulle: colérique, instable, enivré en permanence sans être ivre, il doit convaincre de Gaulle, à la veille de la décision de lancer le débarquement, de se plier aux exigences des Alliés, en particulier les Américains dont le Français, avec la prémonition qu'on lui reconnaîtra ensuite, se méfiait par-dessus tout. Michel de Warzée, porté par la virulence de son personnage, par la complexité aussi de celui qui a tenu pendant quatre ans  les rênes de la résistance au nazisme, envers et contre tout, imposant sa volonté nourrie par la haine viscérale que lui inspire Hitler, devient un Churchill aussi convaincant que le de Gaulle à qui il se confronte.
L'enjeu des rencontres et des négociations entre les deux hommes est d'importance, à la fois réelle et symbolique: qui incarnera la victoire contre les Nazis au terme de la "bataille de France"? De Gaulle? Eisenhower? Churchill?  Pour de Gaulle, il est hors de question que ce ne soit pas lui. Pour Churchill, il s'agit de ménager la volonté des Américains dans la perspective du monde bipolaire qui se pressent déjà. Et la tension s'accroît d'autant plus que le temps presse. La décision de lancer les opérations du débarquement dépendent d'une fenêtre météo, qui sera de courte durée et qui ne se reproduira plus avant des semaines...

Qui n'a rêvé de se trouver un jour témoin de ces affrontements en tête à tête entre chefs d'état dont dépend le sort des nations et le cheminement de l'Histoire? Qui n'a souhaité, au détour des livres d'histoire, des essais de géopolitique et de stratégie, de connaître la dimension humaine de ces colloques singuliers au plus haut niveau? Le théâtre est un des instruments (avec le roman) qui nous permet de pénétrer au coeur de ces cyclones dont la violence se nourrit de tout ce qui fait la nature humaine: l'idéal autant que le sordide, l'intuitif autant que le calcul, l'ambition personnelle autant que le service de l'Etat. 
Au fil des échanges entre de Gaulle et Churchill, comme lors d'un match de boxe, les adversaires se guettent, essaient des coups, esquivent, se reprennent, s'écartent, feintent. Tout est bon pour amener l'autre à plier, à céder: la fausse bonhommie de Churchill face à la raideur du français, le parler grommelant de l'anglais face à la diction surannée du chef du gouvernement provisoire, l'appel à des sentiments privés (scène si émouvante du général parlant à sa fille Anne, handicapée et lui chantant au téléphone une chanson pour l'apaiser...) ou à des menaces.
Le texte de Bentégeat déroule avec une justesse hypnotisante ces chassés-croisés entre les deux hommes, nourrissant leurs échanges de propos qui résonnent avec une actualité déroutante (à propos de l'Europe, des USA, de la nécessité d'une troisième puissance entre les (futurs) deux blocs  ...), ou avec une finesse d'observation contemporaine (les commentaires de l'Anglais sur les Français devraient figurer dans les séminaires de formation des négociateurs du Brexit...)
Enfin, last but not least, Jean-Claude Idée signe une mise en scène stupéfiante d'efficacité et d'inventivité. Les acteurs sont littéralement portés par le dispositif scénique (avec  l'environnement  de la bande sonore et le fond de scène vidéo signés Olivier Louis Camille), par l'incarnation jubilatoire de ces figures historiques dans lesquels Jean-Claude Idée, remarquable directeur d'acteurs) les intègre, les meut, les déplace avec une précision et une pertinence jamais prises en défaut. On ne dira jamais assez combien Jean-Claude Idée est un des grands metteurs en scène du théâtre francophone, un lecteur et un découvreur infatigable des textes qu'il réussit toujours à mettre en valeur. Quant à Bernard d'Oultremont et Simon Willame, respectivement l'ambassadeur de France à Londres Pierre Vienot et le ministre des affaires étrangères anglais Antony Eden, ils incarnent avec justesse cette fonction si ingrate d'être le souffre-douleur des deux grands qu'ils servent avec une énergie et une indulgence hors normes.
Courez voir ce spectacle, exigez qu'il soit prolongé au-delà du 17 février... Si tel n'est pas le cas, il vous restera à aller l'admirer, en tournée, par exemple en Chine en 2019 (où de Gaulle est un des grands hommes de l'humanité), ou sur le porte-avion Charles de Gaulle (à bord duquel une représentation sera donnée).


Jean Jauniaux, Bruxelles, le 18 janvier 2018



4 juin 1944, Churchill annonce à de Gaulle l’ordre du débarquement malgré tous les risques. En colère, le Général refuse toute collaboration si la France n’est pas officiellement associée. Perdant le contrôle, Churchill menace d’enfermer le Général dans la Tour de Londres…
Armés de leurs obstinations et farouchement attachés à la Liberté, ces deux géants vont affronter leurs incroyables résistances qui changeront le cours de la guerre. Un texte puissant, deux caractères forts et un impressionnant dialogue pour revivre…
Un fabuleux moment d’Histoire !
Avec : Pascal RACAN, Michel de WARZÉE, Bernard d’OULTREMONT & Simon WILLAME
Mise en scène, Décors & Costumes : Jean-Claude IDÉE
Son & Vidéo : Olivier LOUIS CAMILLE
Durée du spectacle : 1h30 sans entracte


mardi 16 janvier 2018

"Lumière dans les ténèbres" de Philippe Remy-Wilkin



Avec "Lumière dans les ténèbres", le romancier, nouvelliste, essayiste et historien Philippe Remy-Wilkin nous invite à une plongée en apnée (on ne quitte pas le livre une fois que les premières lignes nous ont happé) dans un roman qui, tout en appartenant aux romans modernes par l'énergie qu'il insuffle à la narration, nous plonge dans le ravissement des lectures anciennes. Celles de Maurice Leblanc, d'Edgar Alan Poe, ou de W.Wilkie Collins. 

Tentez la lecture, laissez vous entraîner dans le sillage de Gérard de Valnère, surnommé Icare,  jeune reporter de "L'indépendance belge" , dans les pas des détectives-inspecteurs de police appelés à côtoyer les grands de ce monde, encore secoués par les révolutions  française (1848) mais surtout belge (1830), emplis du souvenir  des combats et des échauffourées de septembre à Bruxelles lorsque les Orangistes furent boutés hors du jeune pays. 
Voilà pour le cadre romanesque (ce que nous pouvons dévoiler de l'intrigue figure dans le "résumé" paru sur le site des Editions Samsa), mais il y a aussi l'espace romanesque qui embrasse l'Europe du Nord depuis Bruxelles en irradiant vers Paris et la Frise, et s'engouffre dans les Mers du Sud, sur la Route du Cap; il y a les personnages campés avec justesse par Remy-Wilkin qui sait aussi faire dialoguer les protagonistes (on songe, en lisant les chapitres courts, à la belle adaptation radiophonique que pourrait inspirer "Lumière des Ténèbres"), il y a le style à la fois allègre et juste, parfaitement adapté au genre romanesque dans lequel l'auteur plonge avec une jubilation dont le lecteur reçoit la belle part.

Voici un roman qui renoue avec le bonheur de raconter et nous réconcilie avec celui de nous évader.

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 16 janvier 2018

Nous avions évoqué dans un article paru à sa sortie le passionnant "Christophe Colomb" de Philippe Remy-Wilkin
Christophe Colomb - Le découvreur et la découverte

Sur le site des Editions Samsa 


Dans la nuit du 13 au 14 juillet 1865, un cri surhumain retentit dans les galeries feutrées du manoir d’Alladières, à la lisière de la Forêt de Soignes, à Bruxelles. Quelle tragédie s’est déroulée dans les appartements privés du baron, un éminent homme d’affaires, un héros de la Révolution belge ? Un meurtre, un enlèvement, une disparition volontaire ? Comment a-t-on pu entrer et sortir d’un lieu « hermétiquement clos » ? Les indices sont déroutants, les pistes plus surprenantes les unes que les autres, et on se prend à courir derrière Baudelaire ou le légendaire comte de Saint-Germain, entre autres… 
La trame, rapidement, tend à s’élargir, se redéfinir. L’enquête policière haletante débouche sur une quête identitaire menée par deux frères tout en se faufilant à travers des moments-clés de l’Histoire, en nous baladant dans le Bruxelles pittoresque et inquiétant qui a précédé le voûtement de la Senne.
La résolution des différents pans de l’énigme finira par nous emporter dans le Schleswig-Holstein avant un Grand Saut final au cœur des îles frisonnes…

Philippe Rémy-Wilkin
Philippe Remy-Wilkin, né à Bruxelles en 1961 mais conçu en Afrique (détail crucial selon lui !), a passé toute sa jeunesse dans le Tournaisis avant de rejoindre sa ville natale pour des études universitaires linguistico-littéraires. Mais il a rapidement remisé licence et agrégation pour organiser sa vie autour de l’écriture. Une passion qu’il décline sous toutes ses formes, avec, en filigrane, deux invariants : l’Histoire et le goût du récit palpitant. Des scénarios, des nouvelles, des études historiques, des recueils de récits authentiques, des contes illustrés, des romans, des articles. Publiés à Paris, Bruxelles, Genève, Milan, etc.


William Cliff: "Au Nord de Mogador"


Le Dilettante publie "Au Nord de Mogador" un nouveau recueil de William Cliff, dont on ne dira jamais assez qu'il est, parmi les vivants, un des plus grands poètes de langue française. 

Il y a dans chacun des poèmes réunis "Au nord de Mogador", ce réalisme poignant qui porte le regard de Cliff vers l'essentiel des lieux et des circonstances qu'il traverse. Le vers régulier toujours, la rime parfois, sont autant de contraintes qui forcent l'émotion à rejoindre l'infiniment sensible, où qu'il se trouve. Que ce soit "Au Nord de Mogador" "un homme s'avançait/dans son champ derrière un soc tiré par ses bêtes,/un âne et un chameau qu'il avait assemblés/pour labourer son champ ainsi depuis des siècles"; que ce soit à Manhattan, dans la cantine d'un YMCA où "il y avait une chaleur, une torpeur/dans tous ces gens ensommeillés qui mastiquaient/muettement leur nourriture/", et d'où le poète s'en allait une fois alimenté dans la ville, nous donnant une des clés de l'inspiration : "moi j'étais enchanté de m'en aller de-ci/de-là au gré de mon oisiveté qui me/portait n'importe où m'étonnant des choses rares,"/. Ailleurs dans l'espace, Cliff nous entraîne au gré des sillages urbains (Munich, Granada, Paris, Philadelphie...); autrefois, dans le temps, Cliff nous invite aux explorations de la mémoire adolescente , des amours ferventes et sans lendemain. 
Partout le sentiment nous vient de connaître avec le poète ces terrifiants instants de solitude et d'abandon ("Le plancher des vaches" : (je) rentrais pleurer en écoutant un disque/àgenoux devant les haut-parleurs pour ne pas / déranger (...)/), ces vagues d'empathie et de pitié ("Le veuf"), ces déferlements d'angoisse ("Mélancolie"). 
On voudrait citer chacun de ces poèmes, dont le reflet apparaît dans la sombre lueur de ces vers choisis dans "Le chant des morts" :
En ces pays de solitude
où le brouillard s'étend sans fin,
nous ne voyons dans l'étendue
qu'un monotone et long destin"


Est-ce de cette manière, intense et régulière, de former des vers que nous vient toujours la sensation d'une poésie singulière, envoûtante, réelle et vraie, sincère comme celle de Baudelaire?

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 16 janvier 2018

Début mars, nous aurons le bonheur d'une nouvelle parution, à La Table ronde cette fois, où le poète nous donnera à lire un recueil de sonnets "Matières fermées".


Résumé
Par deux fois déjà, le poète William Cliff, Belge au beau nom de pirate, a fait halte au Dilettante, le temps d’y poser son sac, nous offrant, mains fiévreuses et regard ébloui, provende de poèmes et volée de beaux vers, le reposoir de son cœur et l’élixir de ses souffrances : avec Conrad Detrez, ce fut l’hommage à l’ami disparu; Amour Perdu évoque, d’élans soudains en fougueuses escapade, des amours mâles qui jalonnent sa route et ponctuent ses heures. Avec Au Nord de Mogador, assidu toujours à jouer de la rime et à régler son vers comme on touche de l’épinette ou jongle du couteau, William Cliff assemble un herbier d’instants, dévide une corde où chaque nœud sert à marquer la vitesse de la vie, ses cadences rudes, ses points de force. Il nous y parle, dans une langue qui est celle de Maurice Scève, du Shakespeare des Sonnets ou d’Apollinaire, de villes ou de pinsons, de regards échangés et du poids de la terre, de menus instants qui illuminent le monde, de l’église Saint-Merri, d’un avion pour Philadelphie, d’un prince dans une gare croisé ou d’une panne d’électricité. Des moments sertis dans le vers, des lueurs prises dans l’ambre du mot qui font de William Cliff, là comme un tas de viande surannée / transpercé par le cri d’un oiseau forcené, un poète absolument contemporain.