lundi 30 avril 2018

LOHENGRIN au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles: un article de Jean Lacroix

Nous avions évoqué l'opéra de Wagner dans un précédent article, annonçant, avec impatience déjà, la recension de Jean Lacroix qui assistait hier à la représentation de LOHENGRIN. Voici ce texte dont nous indiquons en exergue une des appréciations et que nous nous réjouissons de partager avec les lecteurs de LIVRaisons.    Jean Jauniaux

Lohengrin à la Monnaie, 
un exaltant débat musical et politique
par Jean Lacroix  



Il faut bien le reconnaître : Richard Wagner, ce compositeur si exaltant, si enchanteur, cet auteur de livrets remarquables (ceux de ses opéras !), est aussi un écrivain dont les ouvrages à portée antisémite sont détestables, voire impardonnables. On a beau tenter toutes les explications, les replacer dans un contexte biographique ou historique qui les éclairerait pour leur donner un semblant de respectabilité, ils demeurent une tache indélébile sur ce magicien de la musique, dont l’impact, on le sait, est plus qu’immense. Bayreuth est un temple depuis bientôt près de 150 ans, un temple dont la sacralisation est quasi intouchable. Le nazisme, et Hitler le premier, a saisi très vite tous les avantages qu’il y aurait à s’approprier l’héritage wagnérien, ce qui lui fut d’ailleurs facilité par l’amour aveugle que lui portèrent certains membres de la famille, en particulier la belle-fille de Wagner, Winifred, qui ne démentira jamais ses convictions et son attachement indissolubles au Führer. Tout cela a fait couler beaucoup d’encre (1), la littérature à ce sujet est prolifique et révélatrice du malaise, provoqué par l’influence directe ou indirecte qu’auraient pu avoir les textes de Wagner sur la légitimation future du IIIe Reich et ses abominables excès.

En inscrivant à l’affiche de la présente saison un ambitieux Lohengrin, attendu avec impatience, la Monnaie a décidé d’en confier la mise en scène à Olivier Py. Celui-ci plonge au cœur de la question : y avait-il dans le romantisme allemand les germes du national-socialisme ? Le metteur en scène signe dans le passionnant programme un long développement à ce propos (soulignons la qualité de ces programmes, qui sont souvent des études de haut niveau). Il fait même une démarche complémentaire : avant le lever du rideau, il se présente au public, avec une modestie touchante, pour une brève synthèse du message qu’il veut transmettre. Elle tient en peu de mots, en réalité, et nous la résumons lapidairement : « Lohengrin, qui raconte l’attente et l’échec, n’est pas une pièce nationaliste, mais une pièce sur le nationalisme. » Les phrases glaçantes, en forme de coup de poing, que prononce le roi Henri l’Oiseleur au début du premier acte, sont tranchantes : le souhait d’une Allemagne unifiée dans un état vainqueur. Lorsqu’il dit : « L’heure est venue de sauver l’honneur de l’empire à l’est comme à l’ouest, que tous m’entendent », il y a de quoi mesurer les conséquences envisageables.

Lohengrin est donc une pièce politique, il s’agit bien de théâtre au-delà du chant et de la musique sublimes, et c’est là qu’Olivier Py veut installer le symbolisme de sa démarche. Le lever de rideau est impressionnant : on est face à un immense bâtiment qui occupe tout l’espace, un bâtiment défiguré, déchiqueté, aux murs calcinés, orné de niches dans lesquelles évolueront la plupart du temps les choristes. Installé sur un plateau tournant, ce symbole omniprésent du désastre servira de « paysage » à toute l’action. Nous sommes en l’« année zéro », dans les ruines de Berlin, en 1945 ; chacun ressent la tragédie de l’époque. Au fil du spectacle, elle sera renforcée par des scènes qui interpellent, parfois glauques, souvent significatives, toujours étranges. Des scènes que nous rapportons pêle-mêle, sans pouvoir les citer toutes : des trappes dans le sol d’où sortent des personnages, des seaux (de débris de pierrailles), portés avec difficulté par des femmes et qui passent de main en main sur toute la longueur du plateau, un défilé de personnages qui déposent leurs valises en les abandonnant pour partir sans équivoque vers leur sombre destin…

Mais aussi des dessins esquissés, des clairs de lunes ou des montagnes à la Caspar David Friedrich, des écritures de poèmes, dont des extraits de la poignante Fugue de mort, de Paul Celan, écrite en 1945, qui crie notamment : « […] Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit / qui écrit quand il fait sombre sur l’ Allemagne tes cheveux d’or Margarete […] (traduction d’Olivier Favier) ». Cela, c’est au début du troisième acte, pendant le prélude musical. Juste après, le plateau montre neuf niches (accusatrices ? ou en questionnement ?) dans lesquelles on retrouve Goethe (sur un socle, mise en évidence qui interroge), Grimm, Novalis, Schlegel, Hegel, Hölderlin, Caspar Friedrich ou Carl Maria von Weber, mais aussi une tête échevelée de Beethoven et un cygne. C’est dans ces « cases » que le drame final se dénouera : Elsa demande à son mari auquel elle a promis de ne pas lui demander son nom de le lui révéler malgré tout, Telramund tente d’assassiner Lohengrin qui le tue, Lohengrin annonce qu’il va révéler sa véritable identité, avec toutes les conséquences qui vont en découler. On considérera ici le synopsis connu par le lecteur pour ne pas alourdir le propos.

Il y a aussi des coups de génie, le plus brillant étant le jugement de Dieu qui doit affronter Lohengrin à Telramund à l’acte I pour confirmer ou non l’innocence d’Elsa : c’est en fait une partie d’échec, agrémentée, si l’on peut dire, par une bagarre entre figurants. Aussi brillant coup de génie sera le moment où Lohengrin annonce qu’il est le fils de Parsifal et évoque le Graal : le chanteur est seul en scène, son ombre immense et son jeu de mains avec des couronnes qu’il abandonne l’une après l’autre donnent à son aveu une dimension sacrée qui le dépasse. Quant au petit prince disparu, que le spectateur a vu de temps à autre au cours de l’action en costume blanc, image de l’innocence, mais aussi occupé à jouer avec un cintre qui lui sert d’arme factice ou avec de petits bombardiers, il est retrouvé mort, tué par Ortrud, au moment où Lohengrin part définitivement, laissant son épouse Elsa inanimée et tout le monde dans le malheur. Les allusions au fameux cygne, qui avait tellement fasciné en son temps le roi Louis II de Bavière, sont esquissées, de façon imaginaire, par un doux amas de plumes que Lohengrin laisse s’effilocher entre les doigts. L’instant est si fort qu’il prend à la gorge. 

On l’aura compris : cette production de Lohengrin est extraordinaire, car elle est au-delà du symbole, elle est impressionnante, elle se veut d’une lisibilité absolue, ce à quoi la dimension théâtrale, cohérente et millimétrée, rend justice. La direction d’acteurs est d’une implacable et absolue rigueur. L’hommage que nous adressons à Olivier Py va aussi au décorateur, Pierre-André Weitz ; ils sont indissociables. Il faut donc saluer cette vision qui hantera longtemps les mémoires des mélomanes, car elle allie la noirceur du drame à l’évidence de l’écriture musicale. Olivier Py s’affronte à Wagner, dont la musique est à ce point sublime qu’elle risque de faire tout oublier, jusqu’à l’impardonnable. C’est là que réside le vrai danger wagnérien. Comme l’a si bien écrit Vladimir Jankélévitch (2) : « Il y a dans la musique une double complication, génératrice de problèmes métaphysiques et de problèmes moraux, et bien faite pour entretenir notre perplexité. Car la musique est à la fois expressive et inexpressive, sérieuse et frivole, profonde et superficielle ; elle a un sens, et n’a pas de sens. » C’est peut-être André Tubeuf qui a trouvé la formule applicable à cet opéra si romantique et si actuel à la fois : « En le Hollandais, en Tannhäuser, en Sachs plus tard, Wagner s’incarne biographiquement. En Lohengrin, comme en Tristan, il se représente, événement européen (comme Nietzsche disait de Goethe) – mythe. » (3). S’affronter à Wagner, c’est faire face au mythe. Olivier Py a relevé le défi, reste à savoir s’il l’a gagné.     

Il est temps d’aborder l’interprétation musicale, précisément. Le plateau vocal est d’une rare perfection, en ce dimanche 29 avril ; il est vrai qu’il est rodé : c’est la quatrième représentation en ce qui le concerne (il y a une seconde distribution, où l’on retrouve Gabor Bretz et Werner Van Mechelen, mais pas les autres protagonistes). Le ténor américain Eric Cutler, que l’on avait déjà pu apprécier dans la production des Huguenots de Meyerbeer en 2011 (mise en scène d’Olivier Py, déjà), incarne Lohengrin avec puissance et éclat, il est véritablement habité par le rôle. Le récit du Graal, au troisième acte, lorsqu’il révèle son identité, est bouleversant, car il associe une intense lumière intérieure à ce récit mystique qui provoque chez l’auditeur une émotion qui le mène au bord des larmes. L’Elsa de la soprano suédoise Ingela Brimberg, qui fait ses débuts dans le rôle (mais pas à la Monnaie : elle faisait aussi partie des Huguenots de 2011), se révèle elle aussi puissante  - les voix passent la rampe avec netteté, ce qui n’est pas évident dans le processus wagnérien -, avec des accents portés par une fragilité poétique. Quant à l’Ortrud d’Elena Pankratova, que l’on entend pour la première fois à la Monnaie (gageons qu’on l’y reverra, vu la tornade finale d’applaudissements qui a salué sa prestation), elle a déjà été Kundry à Bayreuth et Vénus à Dresde. Ici, la soprano russe, dans cet emploi malfaisant, use d’une intonation affirmée, accompagnée de nuances amples et souples à la fois. On pense à une Lady Macbeth, entraînant son époux Telramund, fatalement écrasé (le baryton-basse britannique Andrew Foster-Williams, au phrasé très clair), vers son tragique destin. Le roi Henri, qui assiste navré à toutes les péripéties du drame et tente vainement de jouer au conciliateur, est impressionnant. Longiligne, digne, la basse hongroise Gabor Bretz fait preuve dans ce rôle, d’un timbre équilibré. Il y fait ses débuts et aussi à la Monnaie, une vraie réussite. Ce que l’on peut dire tout autant de Werner Van Mechelen, qui a été, on le sait, lauréat de la première édition du Reine Elisabeth de Chant. Notre baryton-basse belge interprète régulièrement des personnages wagnériens, et cela se sent. Il est à l’aise dans la peau du Heerrufer, le Héraut qui est le lien narratif de l’action. Son impeccable jeu d’acteur est à souligner, comme l’intensité d’une voix maîtrisée. Il faut préciser que Bretz et Van Mechelen sont de toutes les distributions, dix au total. Chapeau bas…

Chapeau bas aussi aux chœurs préparés avec le plus grand soin par Martino Faggiani. On sait à quel point la présence des chœurs est fondamentale chez Wagner. Puissants et subtils dans le même temps et le même espace, ils sont au centre de l’action ; ils donnent des frissons par leur investissement, portés vers l’apogée par un orchestre dans une forme idéale, un orchestre que l’on a rarement entendu aussi homogène, aussi engagé, aussi inspiré. En choisissant Alain Altinoglu pour diriger une série de productions de la Monnaie, Peter de Caluwe a sans doute réussi un des plus parfaits défis de sa carrière. Né à Paris en 1975, ce chef prestigieux est une « bête de fosse », dans le sens le plus noble du terme ; il a déjà dirigé Lohengrin à Bayreuth en 2015. Il est complice de son orchestre, il est magistral quand il le faut, mais aussi clair, raffiné, sensible, émouvant par sa participation à chaque détail (son visage révèle à quel point il est « dans » la musique). Il galvanise le plateau entier, musiciens, chanteurs, choristes avec la foi qui transporte les montagnes. Les wagnériens purs se seront régalés de cette vision que nous qualifierons, en ce qui nous concerne, de parfaite. Le Prélude de l’acte I est empreint de poésie et de lyrisme, dans un tissu presque chambriste, avant d’embrasser un univers sonore où le grandiose le dispute à la lumière. Rien n’est minimisé, rien n’est exacerbé, car l’équilibre domine. Altinoglu sait que c’est un plateau entier qu’il doit porter. La réussite est totale, les scènes finales de chaque acte s’achèvent dans une tension musicale, dramatique et théâtrale que l’on ne peut que qualifier d’ascendantes jusqu’à l’exaltation. Une production à marquer non d’une seule, mais de multiples pierres blanches.

   

                                                                                                               Jean Lacroix, le 30 avril 2018

(1)  Nous avons nous-même tenté l’expérience en 2013 dans un Wagner. Journal de Bayreuth, paru aux Editions de la Page.
(2)  Vladimir Jankélévitch : La Musique et l’Ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. 5.

(3)  André Tubeuf : L’Offrande musicale, Paris, Laffont/Bouquins, 2007, p. 564.

lundi 23 avril 2018

LIVRaisons c'est aussi un espace photographique...




Bord de mer près de Saint Idesbald le 22 avril 2018
© Edmond Morrel

"Sans la musique, la vie serait une erreur" : Les Chroniques de l'actualité musicale par Jean Lacroix

                   "Sans la musique, la vie serait une erreur" 

Chroniques de l'actualité musicale par Jean Lacroix  

LIVRaisons : de multiples fenêtres ouvertes sur le livre et la culture.  
Au-delà des textes inspirés par  l'actualité éditoriale (littérature, essais, BD etc), le blog LIVRaisons ouvre dorénavant ses  pages à différentes disciplines artistiques et en confie les recensions  à de nouveaux commentateurs, dont Jean Lacroix qui inaugure ici la série "Sans la musique, la vie serait une erreur".
Au fil des jours, LIVRaisons deviendra le lieu de rendez-vous où s'exprimeront en toute liberté de ton, mais de manière toujours accessible,  les curiosités enthousiastes , les compétences , les éruditions .
Nous pensons ainsi faire de LIVRaisons un instrument répondant à sa multiple vocation: chambre d'écho de PEN Belgique ( le centre belge francophone de PEN International), caisse de résonance de la web radio www.espace-livres.be , outil de mise en valeur de la revue MARGINALES. 
(Jean Jauniaux, rédacteur en chef de LIVRaisons, avril 2018 )


D'où vient le titre de ces chroniques? 

Dans un petit ouvrage illustré, paru en 1995, en adaptation française, aux éditions Exley établies à Bierges, Helen Exley dresse une liste de citations qu’elle intitule « Passion de la musique ». On y retrouve Pablo Casals, Proust, Stendhal, Wagner, Debussy ou Béjart, mais aussi, à la toute dernière page, Frédéric Nietzsche, avec cette maxime extraite de son Crépuscule des idoles de 1888. On ne peut que partager l’affirmation selon laquelle « sans la musique, la vie serait une erreur ». Cette sentence du philosophe mériterait un long développement qui ne serait pas de mise ici, mais elle acquiert un poids quasi métaphysique lorsque l’on estime que la musique permet l’accès à un monde qui nous dépasse et donne à l’existence une abondance de biens sensibles. Nous avons pensé que placer la présente chronique musicale sous le signe de Nietzsche trouvait sa pleine justification. Il s’agira ici de donner au lecteur des pistes pour une sélection de disques récents, qui méritent plus qu’un détour et ne dépareraient en aucun cas la discothèque de tout mélomane digne de ce nom. 
(Jean Lacroix) 

Pour entamer le débat avec panache, il faut mettre en évidence un CD jubilatoire qui sort des sentiers battus et met en évidence une immense cantatrice de notre temps, que l’on entend plutôt dans Bach, Haendel, Mahler ou Debussy (ah, sa Mélisande !), même si elle a déjà tenté l’expérience de Carmen au Festival de Salzbourg en 2012, avec Jonas Kaufmann. Après avoir adoré puis haï Wagner, Nietzsche s’était pris de passion pour Bizet.  Il aurait sans doute été surpris de découvrir la soprano tchèque Magdalena Kozena, l’épouse de Simon Rattle, dans un tout autre registre : quinze chansons de Cole Porter (1891-1964) qui s’écoutent avec un ravissement croissant. On sait que Porter est l’auteur de comédies musicales célèbres dont la plupart ont été créées à Broadway, mais aussi de chansons que tout le monde connaît. Porter écrivait paroles et musique ; sous sa plume sont nés des airs immortels : Night and Day, You’re the Top ou Begin the Beguine. On les retrouve tous les trois, avec une douzaine d’autres, dans cet enregistrement que l’on doit à un nouveau label (Brnofon BRF 001-2). Magdalena Kozena explique dans le livret qu’elle aime Cole Porter depuis le temps de ses études et qu’elle est une grande admiratrice d’Ella Fitzgerald ou de Billie Holiday. Elle déclare aussi avoir été inspirée par l’exemple de Frederica von Stade, qui n’a pas hésité à se lancer dans La Mélodie du bonheur ou dans Show Boat. Comme elle a eu raison! Car ce CD est un régal du début à la fin. Kozena prête sa voix chaude à toutes les subtilités de Porter, avec un glamour élégant, elle swingue avec pudeur et suavité, mais aussi avec grâce et chaleur, elle envoûte l’auditeur qu’elle mène au coin du feu pour rêver. Il faut dire que la cantatrice a mis tous les atouts de son côté. Avant le présent enregistrement réalisé à Prague en juin 2017 dans les studios de la Radio tchèque, Magdalena Kozena s’est produite en concert dans plusieurs villes européennes : Berlin, Hambourg, Londres, Prague, Bratislava… On sent qu’elle fait corps avec ce répertoire qu’elle défend avec une vérité séductrice. Comme atout supplémentaire, elle est accompagnée par l’orchestre Melody Makers, l’un des meilleurs au monde dans le domaine du jazz authentique et du swing, placé sous la direction du chanteur, comédien et réalisateur Ondrej Havelka, qui tourna un documentaire avec Kozena il y a quelques années. Inutile d’ajouter que ce délicieux et enthousiasmant CD est un achat prioritaire. Car à la musique s’ajoute le plaisir de l’image : quelques photographies de la cantatrice en robe de circonstance sont des mieux venues.


Les labels tchèques nous gâtent. Chez Supraphon (SU 4245-2), on trouve un hommage au pianiste Ivan Moravec, né et mort à Prague (1930-2015). Cet immense artiste est réputé pour  ses interprétations de compositeurs de son pays (Smetana, Janacek…), mais aussi de Mozart, Beethoven, Debussy, Ravel et Franck. Sa vision lyrique de Chopin est saluée comme une évidence, en particulier dans les Nocturnes. Dans le présent CD, trois enregistrements en public nous sont proposés, ceux des concertos de Grieg (1984), de Ravel (1974) et du premier de Prokofiev (1967) - ces deux derniers au Festival du Printemps de Prague -, ce qui donne une image cohérente d’un répertoire varié, mais aussi des témoignages d’interprétations étalées sur une petite vingtaine d’années. Ce qui caractérise le jeu de Moravec, au-delà d’une technique accomplie, c’est la qualité et la finesse du toucher, la recherche de l’équilibre, la ferme douceur de la main qui est toujours d’essence poétique. Chez Grieg, avec l’Orchestre symphonique de Prague sous la baguette de Miklos Erdelyi, rien n’est galvaudé, la sensibilité mélodique des images picturales est sublimée, l’atmosphère aérée et l’expression dosée de tout son poids de chaleur. Chez Ravel, loin d’autres interprétations plus « légères », on assiste à un engagement qui surprend par sa densité mais aussi par la capacité de l’interprète à contraster les atmosphères. L’Adagio central, au cœur de l’œuvre, est un grand moment de pudeur concentrée, le piano s’abandonne à un chant retenu, mais éperdu. Ici, c’est la Philharmonie tchèque qui accompagne, sous la direction de Youri Simonov, dont le souvenir de maintes prestations à la tête de notre Orchestre National de Belgique est encore vicace. Pour Prokofiev, enfin, ce bloc de lave en fusion de quinze minutes, Moravec et la même Philharmonie tchèque, conduite par Karel Ancerl, plongent l’auditeur dans un festival dynamique qui fait exploser une partition écrite par un compositeur de vingt et un ans. Cette version rejoint dans la fureur et le rythme implacables les plus beaux souvenirs d’un Sviatoslav Richter déchaîné. On l’aura compris : ce portrait bien construit d’un immense pianiste mérite de demeurer aux premières places de la mémoire collective, d’autant plus que la qualité de la restitution sonore est au rendez-vous.


Les concertos pour piano de Saint-Saëns n’ont pas toujours la reconnaissance qu’ils méritent. On leur reproche parfois leur facilité mélodique ou leur manque de profondeur. C’est faire preuve d’injustice, car l’audition attentive de ces cinq partitions démontre l’inspiration, la clarté, la nuance, le goût. Il en existe de mémorables intégrales, dues entre autres à Philippe Entremont, Pascal Rogé ou Jean-Philippe Collard, mais celle qui domine, géniale, date de 1957, elle est due à Jeanne-Marie Darré, splendidement accompagnée par l’Orchestre national de la RTF, dirigé par Louis Fourestier. C’est un miracle d’équilibre et d’élégance, hélas difficilement accessible aujourd’hui (à rééditer d’urgence). Des versions isolées de Rubinstein, Duchâble ou Ciccolini confirment qu’il ne s’agit pas de concertos de second rayon. C’est avec cette intention avouée que Romain Descharmes, né à Nancy en 1980, Premier Grand Prix du Concours International de Dublin en 2006, a abordé son intégrale, la dernière en date, bien accueillie par la critique pour ses deux premiers volets. Il vient d’en signer le dernier, les concertos 4 et 5, chez Naxos (8.573478), avec le Symphonique de Malmö, sous la direction de l’infatigable défenseur de la musique française qu’est Marc Soustrot. A près de 80 ans, ce dernier mène sa phalange avec un enthousiasme contagieux, mais aussi avec un sens de la justesse qu’il faut mettre en exergue. C’est cela qui compte chez Saint-Saëns : le dosage instrumental, la retenue et le soulignement des sonorités par la finesse du geste. Descharmes, dont le nom évocateur ne ment pas, déploie ici tout son « charme » juvénile pour faire chanter le 4e concerto de 1875, que Cortot aimait tant et jouait avec ferveur. C’est pourtant une partition mal aimée, peu présente dans les concerts, malgré un lyrisme échevelé et des envolées pianistiques éblouissantes. Quant au 5e concerto (1896), surnommé « l’Egyptien » parce que le compositeur en conçut la genèse lors d’un de ses nombreux séjours de santé en Egypte, il est en fait l’héritier de toutes les cultures assimilées par ce musicien qui composait comme l’on respire. Une audition attentive de ces deux oeuvres permet de se rendre compte que l’on a affaire ici à un précurseur de Rachmaninov, que ce soit dans les arpèges rapides qui ornent les partitions ou dans l’orchestration déclamatoire. Voilà une intégrale achevée, elle a désormais sa place au panthéon des œuvres de Saint-Saëns, ce musicien si décrié mais si doué.   


Pour en finir avec le piano dans la présente chronique, il faut encore saluer la publication d’un CD Orfeo (C944 1821) qui propose un programme Liszt confié à Francesco Piemontesi, né à Locarno en 1983 ; il fut troisième lauréat du Concours Reine Elisabeth en 2007. Depuis, l’artiste a fait son chemin, ô combien ! A son égard, la critique n’hésite pas à utiliser des termes dithyrambiques : raffinement, expressivité exceptionnelle, technique implacable, phénoménale concentration du jeu. On pourra s’en rendre compte dans le présent enregistrement de studio, effectué à Lugano en janvier 2017. La Première Année de pèlerinage, la Suisse est complétée par une des deux Légendes : St François de Paule marchant sur les flots. Quand on évoque les Années, on pense à Lazar Berman ou à Alfred Brendel, à marquer d’une pierre blanche, mais aussi à France Clidat, à Aldo Ciccolini ou plus récemment à Bertrand Chamayou. Il existe aussi un extraordinaire CD paru chez Oehms : en juin 2010, Tomas Dratva joue la Suisse sur le Steinway de Wagner lui-même dans la maison Wahnfried de Bayreuth. Une expérience séduisante ! Francesco Piemontesi s’installe au premier rang des interprètes de ce cycle pianistique pour toutes les qualités énoncées plus haut à son encontre. Ce premier voyage musical de Liszt demande aussi un sens de la couleur, que Piemontesi distille avec goût, dans des teintes qui font respirer la Vallée d’Oberman, baignent avec harmonie la Chapelle de Guillaume Tell ou font miroiter les eaux du Lac de Wallenstadt. Les accents sont habités, ils le sont tout autant dans la légende de Saint François de Paul  marchant sur les eaux, dont la fluidité est esquissée prodigieusement, tout autant que la portée mystique sous-jacente. L’éditeur a eu la bonne idée de joindre au présent CD un DVD reprenant l’interprétation de Piemontesi des neuf pièces de la Suisse. C’est un film documentaire signé Bruno Monsaingeon, dans lequel le pianiste s’exprime en français et en italien, avec des sous-titres en anglais. De superbes images introduisent chaque séquence. On attend avec impatience que Piemontesi nous offre l’Italie, suite des Années de pèlerinage.


Dans le domaine de la musique vocale, on soulignera trois parutions récentes. La première consiste dans l’enregistrement du Stabat mater de Luigi Boccherini dans sa première version de 1781, destinée à une soprano et un quintette à cordes, composée à la demande de Don Luis de Bourbon (Musica ficta MF8026). Vingt ans plus tard, le compositeur révisera sa partition, en y ajoutant une ouverture et deux voix. Le lecteur pourra se référer à la notice du livret, très détaillé, pour connaître les péripéties de cette évolution. Boccherini a fait des emprunts à des œuvres antérieures pour composer ce Stabat mater, il en utilisera des morceaux dans des compositions ultérieures. En onze parties, sur des extraits d’un texte du XIIe siècle de Jacques de Todi, Boccherini met l’accent sur les souffrances de Marie, ce qui entraîne un effet de déploration inhérent au drame et engendre parfois une impression de monotonie, magistralement sauvée par la voix de Magali Léger, déjà entendue dans Haendel, Pergolèse, Porpora, Debussy ou Piazzola (on peut la voir dans un DVD délicieux de l’opéra comique de Grétry, L’Amant jaloux). L’Ensemble Rosasolis, soucieux de l’atmosphère de recueillement qu’impose cette musique, est en parfaite adéquation avec la soliste. En complément, on trouve un quintette à cordes peu connu, opus 45 n° 1, à l’ampleur symphonique, écrit en 1792, lorsque Boccherini fut employé à la cour de Frédéric Guillaume II.


Le pianiste, pédagogue et compositeur Léopold Kozeluch (1747-1818) fut aussi éditeur de musique. Parmi de nombreuses partitions, il fut amené à écrire une Cantate pour le couronnement de Léopold II en qualité de roi de Bohème, sacre qui eut lieu le 6 septembre 1791. Cette imposante partition de près de 70 minutes est enregistrée en première mondiale par le label Naxos(8.573787). Ce dernier déploie à cet égard les effectifs de l’Orchestre Symphonique de Prague, trois solistes du chant (soprano, deux ténors), un clavecin et un chœur, les Martinu Voices, sous la direction de Marek Stilec, qui a déjà été le maître d’œuvre d’un CD pour le même label où figurent des symphonies de Kozeluch. Pour ce couronnement, Mozart reçut aussi la commande de son opéra La Clémence de Titus. La partition de Kozeluch fut bien accueillie et créa un engouement dans les cours royales. En 1792, il succéda à Mozart comme Kammer Kapellmeister et Hofmusik Compositor, fonction qu’il occupera jusqu’à son décès. La présente cantate, sous-titrée « Heil dem Monarchen », dramatique à souhait, est divisée en dix-huit parties qui font la part belle aux chœurs et aux solistes ; elle alterne les épisodes grandioses et plus intimes avec un réel bonheur, ce qui permet à l’auditeur de conserver de l’intérêt au fil de l’oeuvre. Récitatifs, arias et ensembles se succèdent avec un effet contrastant bienvenu. La soprano Kristyna Vylicilova, aux accents nobles, et les ténors Tomas Korinek et Josef Moravec, vaillants et engagés, font honneur à ce moment d’histoire. Léopold II, qui était le frère de la reine Marie-Antoinette, mourut six mois plus tard ; c’est son fils, l’empereur François II, qui lui succéda.


Retour aux Tchèques pour le troisième CD vocal. Honneur à Bohuslav Martinu et à ses quatre cantates de fin de vie, écrites entre 1955 et 1959. Le compositeur disparut la même année, à l’âge de 69 ans. Il s’agit de petits bijoux, très peu connus, rarement programmés, en tout cas dans les pays francophones. Les noms en sont évocateurs : L’Ouverture des sources (1955), La Légende des  fumées de fanes de pommes de terre (1956), La Romance des pissenlits (1957) et Mikes des montagnes (1959). On le devine, les thèmes sont bucoliques, ils sont issus de textes du poète Miroslav Bures et forment un cycle d’histoires liées à la région de Vysocina, à la limite de la Bohême et de la Moravie. Les effectifs sont réduits : ils comprennent une soprano pour les quatre titres, un baryton ou un ténor à deux reprises, un piano, un accordéon, une clarinette, des membres d’un quatuor à cordes selon la nécessité. C’est un domaine poétique intimiste, dans lequel les citations folkloriques sont présentes, Martinu optant pour la simplicité du message musical. Il faut vivre ces délicates partitions comme un souffle d’air pur, les mots sont mis en valeur par les instruments ou les voix avec beaucoup de délicatesse et de finesse, mais aussi avec un humour léger. Ce CD Supraphon(SU 4198-2) est une intelligente réalisation : l’abondant livret en quatre langues propose la traduction française des textes, l’auditeur prendra ainsi du plaisir à suivre les péripéties des aventures racontées. La qualité des interprètes est à souligner, on les sent investis dans ce répertoire qui sort de l’ordinaire. On mentionnera en particulier la soprano Pavla Vykopalova, qui tient un rôle dans les quatre cantates. Un disque nécessaire, pour aller à la découverte de terrains méconnus, mais hautement poétiques, d’un compositeur de premier plan.

Un clin d’œil pour terminer. En ce mois d’avril, la Monnaie a programmé Lohengrin de Wagner, (Note de LIVRaisons: opéra auquel Jean Lacroix consacrera une prochaine rubrique complétant celle de Jean Jauniaux et Jacques De Decker) avec Alain Altinoglu à la tête de l’orchestre. A cette occasion, il n’est pas inutile de rappeler que ce chef remarquable avait signé, en 2004, un enregistrement, toujours disponible, d’une partition rare : Le Serment d’Alexandre Tansman (1897-1986), qui date de 1953 et fut créé par André Cluytens à la RTF, puis donné à la Monnaie même, sous la direction de Louis Defossez, en version scénique, l’année suivante. Il s’agit d’un épisode lyrique en deux tableaux sur un livret de Dominique Vincent, d’après La Grande Bretêche de Balzac. C’est l’histoire du trio habituel, le mari, la femme et l’amant. Celui-ci subira un sort tragique : pour ne pas trahir celle qu’il aime, il sera muré vivant dans un placard. La femme, pour ne pas avouer, se confinera dans le silence, l’abandonnant à son sort ! Le livret de ce CD (une production Radio France FRF 001- HM 90 de novembre 2007) précise que Tansman écrivait, lors de la version scénique à Bruxelles, que l’auteur du texte et lui-même avaient « cherché à condenser l’action de la nouvelle de Balzac dans un drame rapide et brutal, se déroulant à la limite du rêve et du réel ». Cette réalisation requiert cinq solistes du chant, un récitant et des chœurs, en plus d’un orchestre symphonique. Avis aux amateurs de raretés ! 
Alain Altinoglu, qui était, pour cet enregistrement de 2004, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, s’en est-il parfois souvenu en dirigeant l’actuel Wagner ?

Jean Lacroix, le 21 avril 2018





















vendredi 20 avril 2018

"Lohengrin" au Théâtre de la Monnaie (avril/mai 2018)


LIVRaisons : de multiples fenêtres ouvertes sur le livre et la culture. 
Avec des articles et recensions de Jacques De Decker, Luc Dellisse, Jean Lacroix (musique), François-Xavier Lavenne (littérature), et d'autres;  
Au-delà des textes inspirés par  l'actualité éditoriale (littérature, essais, BD etc), le blog LIVRaisons ouvre dorénavant ses  pages à différentes disciplines artistiques et en confie les recensions  à de nouveaux commentateurs. 
Nous espérons ainsi, au fil des jours, faire de LIVRaisons un lieu de rendez-vous où s'exprimeront en toute liberté de ton, mais de manière toujours accessible,  les curiosités, les compétences, les éruditions.
Nous pensons ainsi faire de LIVRaisons un instrument répondant à sa multiple vocation: chambre d'écho de PEN Belgique (le centre belge francophone de PEN International), caisse de résonance de la web radio www.espace-livres.be, outil de mise en valeur de la revue MARGINALES ,  LIVRaisons sera aussi une porte d'entrée vers différents sites et blogs partageant l'infatigable curiosité qui anime chacun des contributeurs et des visiteurs de ce site multimédia.
Jean Jauniaux, rédacteur en chef de LIVRaisons, avril 2018 



Lohengrin

Ainsi,  en va-t-il des lignes figurant ci-dessous consacrées au Lohengrin de Wagner mis en scène à La Monnaie par Olivier Py. Nous avons assisté à la première représentation publique le 19 avril, dont voici une recension composée en toute liberté. Nous avons sollicité Jacques De Decker qui y évoque la mise en scène d'Olivier Py ("La version qu’Olivier Py  propose de « Lohengrin » à Bruxelles fera date dans les grandes interprétations wagnériennes."
Dans quelques jours, le critique musical Jean Lacroix nous proposera son propre commentaire. 



© Baus



Dans une mise en scène d'Olivier Py, le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles propose l'opéra  Lohengrin, du 19 avril au 6 mai 2018.


Quelques secondes avant le lever de rideau, le metteur en scène se présente au public pour partager avec lui le questionnement fondamental qui l'a guidé dans les choix que nous découvrirons bientôt, lorsque retentiront sous la baguette d'Alain Altinoglu les premières notes de l'opéra romantique inspiré à Wagner par le Parsifal de Wolfram von Eschenbach et le Lohengrin de Nouhuwius. 
La question que Py nous propose comme viatique à l'entrée de l'oeuvre se formule simplement: "y avait-il dans le romantisme allemand les germes du national-socialisme ?"

Au sortir de la première représentation, nous hantent encore ses multiples prolongements à la fois d'ordre poétique, éthique et poétique. Il s'agit bien sûr  de ne pas s'enfermer dans l'une ou l'autre dimension, mais de les envisager comme un ensemble organique, dont les circonstances (révolutionnaires: l'échec de la Révolution  de Dresde survient en 1849 ) et l'époque de la naissance ( Wagner écrit le livret en 1845 et compose la musique entre 1845 et 1849) ne doivent pas nous enfermer.
Comme pour toute oeuvre d'art, l'opéra de Wagner est contemporain de celui qui le regarde, le contemple, l'écoute. Une lumière spectrale éclaire le décor explicitement inspiré des images que notre mémoire conserve de l'"Allemagne , année zéro" et des reportages d'actualité filmés dans Berlin détruite (qu'incarne avec une force inouïe le choeur des femmes se passant de la main à la main les briques et pierres des édifices détruits, dans le Berlin de 1945). Le décor  évoque autant les ruines de la  Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, l'église du Souvenir, dont les murs et vitraux détruits ont été maintenus en l'état sur le Kurfürstendamm,  qu'une Tour de Babel s'élevant dans la nuit, tandis que les destins humains se déchirent  au nom du jugement de Dieu. L'enchaînement des enfermements derrière des vitraux éclatés, et des trappes où s'abritent les protagonistes menacés ou pourchassés, évoque autant de fuites éperdues face à la violence du monde. La sensibilité de chacun identifie ainsi l'émotion dont on ne sort pas intact. Ce conditionnement ouvre une voie royale à cette dimension à jamais inexplorée de notre inconscient: le cheminement bouleversant de la musique, dont le souffle transcende et porte toutes les interrogations, les balaie et nous laissent pantois face à cet "art total" auquel le Théâtre de La Monnaie nous convie.
Nous avons demandé à Jacques De Decker ses premières impressions au sortir de la représentation. Il y évoque en quelques lignes "l'esthétique littéraire propre à Wagner" dont la mise en scène de Pi a fait une démonstration éclatante:
  "La version qu’Olivier Py  propose de « Lohengrin » à Bruxelles fera date dans les grandes interprétations wagnériennes. Elle va plus loin qu’une simple illustration, elle est une lecture, une glose qui ne se limite pas à une analyse politique de la fable, prouvant que l’oeuvre est – sans doute malgré elle- une schématisation visionnaire du mécanisme d’accession au pouvoir. Il faudrait pour cela analyser le spectacle acte par acte et même scène par scène.
Mais la révélation dont nous fait bénéficier Py  éclaire l’esthétique dramatique de Wagner sur un plan jamais atteint : il révèle qu’il n’y a pas de dialogues chez Wagner, mais seulement des monologues et, qui plus est, des monologues intérieurs alternés. Son texte, dont il est l’auteur (Wagner, musicien de génie, est aussi un immense poète) est un tressage de « courants de conscience », ce qui apparaît manifestement au deuxième acte où, découpant l’espace de scènes en un échiquier (élément qui apparaît ailleurs littéralement dans le spectacle), il fait se mouvoir ses personnages dans leur propre labyrinthe intérieur.
A partir de cette approche, il y a moyen de revisiter chaque oeuvre (et, plus tard, la Tétralogie), selon son esthétique littéraire propre, qui n’avait jamais été élucidée à ce point-là. J’ai ce privilège – lié à mon  incompétence musicale - de tenir Wagner d’abord pour un dramaturge. J’en ai trouvé dans ce spectacle la plus stupéfiante démonstration." 

Dans sa biographie de Wagner parue chez Gallimard ( collection Folio/Biographies en 2010; traduit en allemand en 2018), Jacques De Decker avait placé en épigraphe un propos d'Adorno  : "La pensée sur Wagner est comme maudite. L'esprit à son propos n'a pas encore accédé à la liberté"

A n'en pas douter, Adorno aurait aujourd'hui été apaisé à cet égard...

Jean Jauniaux, le 20 avril 2018



 LA MONNAIE / DE MUNT, 23, rue Léopold, 1000 Bruxelles — info@lamonnaie.be  

« En réalité, ce Lohengrin est un phénomène complètement nouveau pour la conscience moderne ! » Richard Wagner entrevit lui-même le caractère innovant de son sixième opéra, achevé en 1848, année marquée par les révolutions. Bien qu’encore classé parmi ses « opéras romantiques », cette œuvre annonce déjà clairement sa nouvelle vision du drame musical. La légende médiévale du Chevalier au cygne y devient une révélation sur l’amour véritable et inconditionnel. Notre directeur musical Alain Altinoglu, qui a précédemment dirigé cette œuvre à Bayreuth, sera le garant de la qualité musicale, tandis qu’ Olivier Py, déjà connu à la Monnaie pour ses prestigieuses mises en scène des Huguenots et de Hamlet, n’éludera pas la facette politico-révolutionnaire de Wagner. « On ne peut comprendre Lohengrin que si l’on parvient à se libérer de toute forme de représentation généralisante d’allure moderne pour voir le phénomène de la véritable vie », estimait Wagner. Un défi pour nous tous ?
SYNOPSIS
Au Xe siècle, à Anvers, le chevalier Telramund accuse Elsa, fille du duc de Brabant, d’avoir assassiné son propre frère, le dauphin Gottfried qui a disparu sans laisser de trace. La jeune femme appelle à l’aide le chevalier au cygne, Lohengrin, qui lui est apparu en rêve. Le miracle se produit : Lohengrin surgit en chair et en os et provoque en duel Telramund en guise de jugement divin. La victoire remportée, il épousera Elsa, à la condition qu’elle ne lui demande jamais ni son nom ni son origine. Mais, aiguillonnée par Ortrud, l’épouse jalouse de Telramund, Elsa finit par poser la question interdite. Lohengrin est alors contraint de révéler son identité et de quitter Elsa. Avant de faire ses adieux, il révèle qu’Ortrud est la véritable coupable qui a ensorcelé Gottfried. Alors que ce dernier réapparaît, Elsa s’affaisse à terre sans vie.

DISTRIBUTION

Direction musicale ALAIN ALTINOGLU
Mise en scène OLIVIER PY
Décors et costumes PIERRE-ANDRÉ WEITZ
Éclairages BERTRAND KILLY
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANI

Heinrich der Vogler GABOR BRETZ
Lohengrin ERIC CUTLER / BRYAN REGISTER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Elsa von Brabant INGELA BRIMBERG/ MEAGAN MILLER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Friedrich von Telramund ANDREW FOSTER-WILLIAMS / THOMAS JESATKO (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Ortrud ELENA PANKRATOVA /SABINE HOGREFE (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Heerrufer WERNER VAN MECHELEN

Pour revoir:

diffusion sur Klara & Musiq3
26.05.2018

en live sur ARTE Concert
26.04.2018

streaming sur
www.lamonnaie.be/fr/streaming
22.05 > 11.06.2018