jeudi 31 mai 2018

Michel Goldblat: "Ce qui manque à Amédée" ou la joyeuse liberté de la contrainte



Avec "Ce qui manque à Amédée", le dernier roman en date de Michel Goldblat, l'occasion nous est donnée une fois encore de saluer les publications des Editions Mols, 'une maison  qui inscrit depuis quelques années à son catalogue des auteurs belges francophones de la meilleure eau. Il suffirait de citer ici Elise Bussière (que nous avons rencontrée à la parution de ses deux romans parus chez Mols, "Je travaille à Paris et je dors à Bruxelles" et "Mal de mère" ) ou Philippe Marchandise (dont nous rendrons bientôt compte du dernier roman ( "Le soupir de la parutine" ) pour se convaincre d'une véritable ligne éditoriale de qualité. 

Philippe Comeliau, directeur des éditions Mols,  a eu il est vrai la bonne idée de faire appel à la vigilance sensible et à l'expertise de Nathalie Dubois, véritable "éditrice littéraire" dans le sens anglo-saxon du terme ("publisher"), qui ne sont pas étrangères à une actualité éditoriale si stimulante. Au plus la professionnalisation du milieu littéraire belge francophone se développera (par l'action coordonnée d'agents littéraires, de "publishers", de diffuseurs), au plus le travail des maisons d'édition pourra se faire connaitre dans et en dehors des frontières de la Belgique francophone. Les romans de Bussière, Marchandise et Goldblat ne constituent-ils pas une préfiguration de cette aspiration légitime? 

"Ce qui manque à Amédée" est le deuxième roman de Michel Goldblat, le premier datant déjà de deux décennies. Le récit, démultiplié en séquences courtes, nous raconte le calvaire de vivre sans coeur, au sens littéral: en étant dépourvu dès la naissance de l'organe cardiaque. Goldblat s'est imposé la contrainte d'affliger son personnage d'une a-normalité radicale. Celle-ci  va conditionner chaque épisode de la vie d'Amédée que nous allons découvrir au fil de chapitres courts,  drôles, ironiques, tendres et empatiques. Vivre sans coeur, cela signifie  en effet ne rien connaître des émotions qui nous constituent: amour, chagrin, tendresse, joie, détresse...tout cela est étranger à la vie d'Amédée. 

Partant de ce postulat, l'écrivain lâche la bride à une imagination faite d'allégresse à la manière d'un  Jaco van Dormael au cinéma, d'absurde proche d'Italo Calvino, de fantaisie enfin qui entraîne le lecteur dans les rêveries les plus oniriques qui soient. Goldblat fait de son Amédée un personnage qui ne nous quitte plus, une fois le livre refermé, et nous fait regarder le monde avec d'autres yeux que ceux de la logique et de la raison. Et puis, comment ne pas se laisser emporter, comme Amédée, dans l'affection d'une pieuvre apprivoisée ou celle d'un arbre, ami géant, qui vous emporte à sa cime en vous enlaçant dans la douceur de ses branches...?

Un des romans les plus attachants, les plus inventifs et les plus originaux de ces derniers mois. 

Jean Jauniaux, le 31 mai 2018

Nous avons rencontré Michel Goldblat qui nous parle de son "Amédée" et nous en lit un extraits. A écouter sur le lien sonore de LIVRaisons.

Ecoutez aussi un extrait du roman lu par l'auteur sur le lien sonore de LIVRaisons



Quatrième de couverture

Amédée est né sans cœur.
Comment vit-on quand on n’a pas de cœur ?

Extraits 

"Un. Il doit sûrement y avoir moyen de mener une vie meilleure.
Deux. Il y a plein de gens qui vivent sans main, sans pied ou même sans nez. Trois. Pour celui qui n’a pas de cœur, c’est plus difficile mais ça doit être possible. Quatre. Il faut aller ailleurs.
Cinq. Il faut chercher où.
Six. Cette quête tu l’accompliras seul.
Sept. Il ne faudra pas oublier les mouchoirs en papier.
Huit. Ni ta carte de membre d’Europ Assistance." 

L'auteur

Michel Goldblat vit à Bruxelles où il a été directeur de création de plusieurs agences de publicité.  
Très tôt attiré par l'écriture, il a eu la chance de pouvoir en faire son métier. Il jongle ainsi avec les mots depuis de nombreuses années. 
D'amour et d'ordure, son premier roman, a été publié chez Plon.




mardi 29 mai 2018

RGPD / relecture de 1984

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Cordialement,

Jean Jauniaux
jeanjauniaux@gmail.com 


Comme ce blog est essentiellement orienté vers la littérature, nous ne résistons pas à recommander la (re) lecture de "1984" ,  classique des dystopies, écrit en 1948 (d'où le titre ), et dont nous revient à la mémoire cette citation:

"Dans notre société, ceux qui ont la connaissance la plus complète de ce qui se passe, sont aussi ceux qui sont les plus éloignés de voir le monde tel qu'il est." 




samedi 26 mai 2018

Les quatorze "Chansons d'automne" de José Van Dam, accompagné de Rassinfosse et Collard-Neven...


Si vous êtes à Bruxelles, franchissez les portes du Théâtre des Martyrs, les 30 et 31 mai, ainsi que les 1er, 2 et 3 juin pour y écouter un récital donné par Van Dam interprétant Gainsbourg, Ferrat, Brel, et d'autres. C'est à cette découverte que nous invite Jean Lacroix, infatigable dénicheur de toutes les musiques, y compris ces inattendues de la plus belle eau. Les photographies qui ornent le CD "Chansons d'automne" ont été réalisées au Train World, l'occasion pour nous de prolonger l'invitation à écouter par celle de visiter ce lieu magique conçu par François Schuiten (que nous avions interviewé à l'inauguration de ce grand espace muséal).
Jean Jauniaux, le 26 mai 2018



José Van Dam dans un répertoire de chansons françaises ? Oh, la bonne nouvelle ! dont on mesure toute la portée en écoutant le CD que propose Radio France (FRF050) à notre émerveillement. Car retrouver cette voix qui nous manque tellement sur scène depuis bientôt huit ans est un nouveau bonheur après celui d’un détour par les tangos de Carlos Gardel en 2012. Van Dam y était déjà accompagné par Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et Jean-Philippe Collard-Neven au piano. La complicité est encore plus évidente ici, car si Van Dam a choisi des morceaux qui le touchent et qui parlent le plus souvent d’amour, ses deux comparses sont impliqués, tout d’abord par leurs arrangements, mais aussi par l’ambiance au sein de  laquelle ils soutiennent avec délicatesse le chanteur, comme pour lui donner un écrin digne de l’éblouissement suscité. Nous employons à dessein les mots si galvaudés d’« émerveillement » et d’« éblouissement », car c’est bien de cela qu’il s’agit. A mesure que l’on découvre ce récital, on est fasciné par la manière avec laquelle Van Dam chante, d’une manière si naturelle, si humaine et si engagée à la fois, et par la façon dont les instrumentistes s’investissent pour tisser un univers propice. 

Qu’entend-on dans ce CD intitulé Chansons d’automne, alors qu’il s’invite au printemps et nous met du soleil plein la tête ? Si c’est l’automne de Van Dam, il est radieux ! Quatorze chansons sont au programme : deux Gainsbourg (La chanson de Prévert et La javanaise, celle-ci réservée au duo contrebasse-piano), deux Ferrat (Mon vieux et La montagne), deux Brel (Le plat pays et Quand on n’a que l’amour), mais aussi Aznavour (La Bohème), Bécaud (Et maintenant), Brassens (Je me suis fait tout petit), Salvador (Syracuse), Nougaro (Le jazz et la java), Legrand (Les parapluies de Cherbourg, instruments seuls), Trenet (Que reste-t-il de nos amours ?) et Kosma (Les feuilles mortes). Quel panorama ! Celui de contrées que Van Dam parcourt chaque fois avec justesse, avec humilité, avec ce fin charisme qu’on lui connaît depuis si longtemps. Une préférence dans cet ensemble ? C’est un jeu de dupes : chaque chanson est devenue un monde à elle seule, un monde qui interpelle, dans lequel les trois protagonistes offrent le meilleur d’eux-mêmes. Rien que du plaisir… Nous avouerons malgré tout notre inclination pour une chanson qui nous a toujours ému plus que d’autres, le poignant Trenet : Van Dam y est bouleversant d’émotion contrôlée. La vraie chanson d’automne, elle est là.

Le livret est enrichi par des photographies prises au Musée Train World à Bruxelles ; le lieu est symbolique car c’est bien à un voyage que nous invite José Van Dam, un voyage intime, qui nous touche au plus profond du cœur. Le trio se produira dans ce répertoire, à Bruxelles, au Théâtre des Martyrs, les 30 et 31 mai, ainsi que les 1er, 2 et 3 juin ; ne le ratez pas, sinon il faudra vous contenter d’acquérir ce CD, une démarche qui s’impose, quoi qu’il en soit.

Jean Lacroix, 26 mai 2018

samedi 19 mai 2018

Domenico Scarlatti et Györgi Ligeti réunis par Justin Taylor

"Sans la musique, la vie serait une erreur": Jean Lacroix a emprunté à Nietzsche  le titre de sa  série de rubriques consacrées à l'actualité discographique sur "LIVRaisons". A chacune de ces occasions, il nous donne à découvrir une source nouvelle d'enchantement, comme il le fait ici en nous invitant à écouter "Continuum" le dernier CD en date de Justin Taylor. Un fragment de ce CD sur Youtube nous a accompagné lors de la "Mise en LIVRaisons" de son article. 
Jean Jauniaux

"Un CD jouissif, intitulé logiquement « Continuum », enregistré en décembre 2017, que Taylor a construit avec bon goût, intelligence et audace et qu’il mène à un train d’enfer sur un instrument superbe. On attend avec impatience la prochaine étape discographique de ce prodigieux soliste, dont l’avenir ne peut être que doré." 
Jean Lacroix




Le Français Justin Taylor, âgé aujourd’hui de 26 ans, a été plébiscité lors du Concours de Bruges 2015 réservé à la musique ancienne. Couronné par le Premier Prix, le Prix du public et deux prix spéciaux, ce jeune artiste originaire d’Angers, qui a fait ses études au CNSM de Paris, a très vite montré toute l’étendue de son talent de claveciniste dans un CD Alpha salué par la critique, consacré à la famille Forqueray en 2016. 

Pour le même label, il propose cette fois un couplage insolite  Scarlatti-Ligeti qui va sans nul doute recueillir tous les suffrages (Alpha 399). A commencer par les nôtres. Inscrire au même programme Domenico  Scarlatti (1685-1757) et Györgi Ligeti (1923-2006) pourrait paraître curieux, mais ici, le dialogue entre les deux compositeurs est si proche de l’évidence que leurs sonorités semblent se répondre à deux cent cinquante ans de distance. Taylor a fait un choix dans le vaste catalogue de Scarlatti pour interpréter une douzaine de sonates qu’il propose par blocs entrecoupés par une œuvre de Ligeti, dont le fameux Continuum de 1968. Au sujet de celui-ci, la notice du livret rappelle une citation du compositeur dans un ouvrage qui lui a été consacré : « C’est comme un paysage vu d’un train : les tranches sont les poteaux télégraphiques, mais cela n’empêche pas de voir le paysage comme une unité, un tout. » C’est une partition explosive, aux notes extrêmement rapides, dont la répétition crée une unité absolue. Placé en fin de récital, avant une dernière sonate Andante cantabile de Scarlatti qui clôture le tout en beauté, ce prodigieux feu d’artifice est comme l’aboutissement d’une fête de l’oreille et des sens. 
Ce CD est très « physique » dans la mesure où l’auditeur est emporté par une joie communicative dans les sonates de Scarlatti, qu’elles s’inspirent du folklore espagnol, des chants d’oiseaux ou de lignes mélodiques aux couleurs variées, et par les trois œuvres de Ligeti qui s’intercalent sans en briser l’unité, comme si elles les magnifiaient. C’est que là aussi, on est en phase de participation, Ligeti nous emmenant dans un rythme effréné qui fait appel à sa Hongrie natale, à un baroque sublimé et même à d’irrésistibles accents de jazz et de musique pop. 
Un CD jouissif, intitulé logiquement « Continuum », enregistré en décembre 2017, que Taylor a construit avec bon goût, intelligence et audace et qu’il mène à un train d’enfer sur un instrument superbe. On attend avec impatience la prochaine étape discographique de ce prodigieux soliste, dont l’avenir ne peut être que doré.


Jean Lacroix, 19 mai 2018
 




mercredi 16 mai 2018

Benvenuto Cellini de Berlioz sur Arte le 20 mai 2018 dans la mise en scène de Terry Gilliam

Benvenuto Cellini de Berlioz 
sur Arte le 20 mai 2018
dans la mise en scène de 
Terry Gilliam!!!


Au moment de "mettre en LIVRaisons" l'article de Jean Lacroix et de rechercher les liens utiles vers Youtube et les images pouvant l'illustrer,  je découvre les extraits de l'opéra dans la mise en scène de Terry Gilliam. L'occasion est trop belle pur ne pas évoquer ici  celui-là même qui nous donna les Monthy Pythons, mais surtout qui se battit pendant deux décennies contre l'adversité pour pouvoir mettre enfin un point final aux déboires de la production de son adaptation du Don Quichotte de Cervantès.  "The man who killed Don Quijote"    sera le film de clôture du Festival de Cannes et sera projeté dans la grande salle Lumière du Palais des Festivals le 18 mai prochain.) Merci à Jean Lacroix pour cette opportunité d'évoquer un des films les plus maudits de l'industrie du cinéma...

Jean Jauniaux, Bruxelles le 16 mai 2018  



Si vous êtes un oiseau nocturne, ou tout simplement un passionné d’opéra, vous ne raterez pas le programme de la chaîne Arte ce prochain dimanche 20 mai, un peu après minuit. Vous pourrez y visionner un opéra-comique rarement à l’affiche, le Benvenuto Cellini de Berlioz, dont la première fut donnée en 1838, sur un livret de Léon de Wailly et Auguste Barbier. En dehors de La Damnation de Faust, force est de reconnaître que les partitions pour la scène du compositeur de la Symphonie fantastique n’encombrent pas les plateaux, même si Les Troyens, cette immense fresque, commence à intéresser de plus en plus les metteurs en scène. Mais Béatrice et Bénédict ou Benvenuto Cellini demeurent des raretés.
Le hasard  veut que la firme Naxos édite un DVD de la production (Naxos 2.110575-76) que l’on pourra voir à la télévision, avec la même distribution. Ce label prospecteur avait déjà inscrit à son catalogue en 2011 la version de Salzbourg 2007, avec le Philharmonique de Vienne dirigé par Valery Gergiev ; quant à la marque Virgin, elle avait précédé Naxos en 2003 en proposant le National de France sous la baguette de John Nelson, avec des pointures comme Joyce di Donato ou Patrizia Cioffi. Ici, c’est une mise en scène qui date de 2014 que l’on pourra savourer. Elle est signée Terry Gilliam. Oui, c’est bien lui qui fut acteur et co-réalisateur dans la série des Monty Python. Ce personnage déjanté, qui débuta comme dessinateur, s’est lancé dans l’aventure de l’opéra, comme « stage director » en 2011 dans le Berlioz le plus joué, La Damnation de Faust. Ne gâchons pas votre plaisir de ce prochain dimanche en dévoilant trop de détails, mais vous vous régalerez pendant près de trois heures en découvrant l’agitation, l’excitation, l’exubérance, les nombreux gags, parfois farfelus, mais aussi les marionnettes géantes, les confettis et autres trouvailles de ce spectacle (très) haut en couleurs qui se transforme souvent, par la volonté de Gilliam, en opéra bouffe.
Par chance, c’est la version donnée par le Philharmonique de Rotterdam dirigé par Mark Elder qui sera diffusée à la télévision, et non celle de mars dernier à l’Opéra-Bastille ; cette dernière, avec une distribution modifiée par rapport à la Hollande, a été loin de faire l’unanimité. A Paris, par exemple, Laurent Naouri n’était pas présent alors qu’il était impeccable, déjà, chez Gergiev ou Nelson et encore cette fois, à Rotterdam, avec Elder. Ce baryton-basse est un habitué du rôle de Fieramosca, il est tout simplement idéal, comme l’est le ténor américain John Osborn dans la peau de Cellini ou la mezzo canadienne Michèle Losier dans celui d’Ascanio. Si l’une ou l’autre faiblesse apparaît chez d’autres protagonistes, l’ensemble tient la route, même si chanter la langue française n’est pas une évidence.
Il n’empêche : malgré une image sombre due aux aléas de la prise en direct qui enlève parfois de la netteté à la vision, voilà un moment musical à ne pas manquer pour l’originalité de la mise en scène, la rareté de la partition et les amours (romancées) du célèbre orfèvre et sculpteur de la Renaissance.  

Jean Lacroix

Sur le site de Naxos

Benvenuto Cellini - John Osborn
Giacomo Balducci - Maurizio Muraro
Fieramosca - Laurent Naouri
Le Pape Clément VII - Orlin Anastassov
Francesco - Nicky Spence
Bernardino - Scott Conner
Pompeo - André Morsch
Le Cabaretier - Marcel Beekman
Teresa - Mariangela Sicilia
Ascanio - Michèle Losier

Dutch National Opera Chorus
(chorus master: Ching-Lien Wu)
Rotterdam Philharmonic Orchestra
Mark Elder, conductor

Terry Gilliam, stage director and set designer
Aaron Marsden, set designer
Katrina Lindsay, costume designer
Paule Constable, lighting designer
Leah Hausman, choreographer


Recorded at Dutch National Opera and Ballet, Amsterdam, 15 and 18 May 2015