Yvon Lammens: le documentaire sensible
Portraits d'artistes
"Pierre Célice"
Le documentariste Yvon Lammens réalise sans désemparer des films documentaires dont il choisit les sujets en toute indépendance. Travaillant souvent seul - il a mis au point un matériel de prise de vues et de sons qui lui permet cette liberté -, il a à son actif des films inspirés par ses engagements humanistes (une série notamment à propos d'Amnesty International), son attachement viscéral à l'Afrique (on se souvient de " L’or noyé de Kamituga", un film réalisé avec Colette Braeckman) et sa fréquentation des écrivains (on attend avec impatience les films qu'il consacre à Jacques De Decker et à Philippe Jones) et des artistes plasticiens (Panamarenko, Ianchelevici )
Avec ces derniers il développe une complicité construite à travers l'admiration envers l'oeuvre et la curiosité envers l'artiste. Ces deux éléments lui permettent d'approcher l'acte de création sans fard, forfanterie, ni morgue. Pédagogue né, Lammens a la générosité de ceux qui aiment partager leurs rencontres et donner la parole, en s'effaçant délibérément derrière leur sujet. Cette démarche l'a conduit à réaliser le film consacré à Pierre Célice que nous avons vu hier lors d'une projection au Point Culture Le Phare à Uccle. Ce film est le premier d'une série de 19 portraits auxquels le cinéaste va consacrer un documentaire.
Avec ce premier film (d'une série de 19 portraits auxquels le cinéaste se consacre dorénavant) Lammens nous donne à voir et à entendre en une cinquantaine de minutes Pierre Célice, attachant, disert ("pourtant il a la réputation d'être un ours", nous dit le réalisateur), en joie de raconter les souvenirs de son enfance, la découverte de sa vocation, la volonté de l'imposer à sa famille qui lui réservait un autre destin professionnel. La caméra est au plus près du visage lorsque Célice évoque son enfance (il est né au début des années trente dans une famille bourgeoise), la propension à rêver au lieu de s'intéresser aux matières scolaires, la découverte du dessin puis de la peinture, le premier atelier, la fréquentation des écrivains et artistes à Montmartre. Il raconte tout cela avec la légèreté des confidences que l'on fait à un ami, et Lammens n'en perd pas une miette de cette amitié qu'il a construite, on le sent, bien avant de placer caméra et micro devant l'artiste.
La confiance entre l'artiste et le cinéaste contribue à n'en pas douter à créer cette proximité à laquelle nous sommes conviés lors de la vision du film. Mais il y a davantage: en abordant la réalisation de l'oeuvre plutôt que sa signification, Lammens donne à Célice l'occasion d'en dire bien davantage sur son art que s'il lui en avait demandé une interprétation. L'artiste n'hésite pas à clamer "il ne faut pas expliquer une oeuvre!"
Ce portrait sensible né d'une complicité véritable entre deux artistes, le cinéaste et le peintre, progresse par touches successives, par strates semblables à ces collages grâce auxquels Célice nous dit préserver la pureté des couleurs. Le cinéaste, lui, nous offre la pureté d'un regard et d'une sensibilité jamais prise en défaut.
Si d'aventure vous avez l'occasion de voir ce film, n'hésitez pas une seconde, ne manquez pas cette joie que donne l'art lorsqu'il est raconté avec jubilation!
Edmond Morrel, Bruxelles, le 20 novembre 2015