vendredi 20 avril 2018

"Lohengrin" au Théâtre de la Monnaie (avril/mai 2018)


LIVRaisons : de multiples fenêtres ouvertes sur le livre et la culture. 
Avec des articles et recensions de Jacques De Decker, Luc Dellisse, Jean Lacroix (musique), François-Xavier Lavenne (littérature), et d'autres;  
Au-delà des textes inspirés par  l'actualité éditoriale (littérature, essais, BD etc), le blog LIVRaisons ouvre dorénavant ses  pages à différentes disciplines artistiques et en confie les recensions  à de nouveaux commentateurs. 
Nous espérons ainsi, au fil des jours, faire de LIVRaisons un lieu de rendez-vous où s'exprimeront en toute liberté de ton, mais de manière toujours accessible,  les curiosités, les compétences, les éruditions.
Nous pensons ainsi faire de LIVRaisons un instrument répondant à sa multiple vocation: chambre d'écho de PEN Belgique (le centre belge francophone de PEN International), caisse de résonance de la web radio www.espace-livres.be, outil de mise en valeur de la revue MARGINALES ,  LIVRaisons sera aussi une porte d'entrée vers différents sites et blogs partageant l'infatigable curiosité qui anime chacun des contributeurs et des visiteurs de ce site multimédia.
Jean Jauniaux, rédacteur en chef de LIVRaisons, avril 2018 



Lohengrin

Ainsi,  en va-t-il des lignes figurant ci-dessous consacrées au Lohengrin de Wagner mis en scène à La Monnaie par Olivier Py. Nous avons assisté à la première représentation publique le 19 avril, dont voici une recension composée en toute liberté. Nous avons sollicité Jacques De Decker qui y évoque la mise en scène d'Olivier Py ("La version qu’Olivier Py  propose de « Lohengrin » à Bruxelles fera date dans les grandes interprétations wagnériennes."
Dans quelques jours, le critique musical Jean Lacroix nous proposera son propre commentaire. 



© Baus



Dans une mise en scène d'Olivier Py, le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles propose l'opéra  Lohengrin, du 19 avril au 6 mai 2018.


Quelques secondes avant le lever de rideau, le metteur en scène se présente au public pour partager avec lui le questionnement fondamental qui l'a guidé dans les choix que nous découvrirons bientôt, lorsque retentiront sous la baguette d'Alain Altinoglu les premières notes de l'opéra romantique inspiré à Wagner par le Parsifal de Wolfram von Eschenbach et le Lohengrin de Nouhuwius. 
La question que Py nous propose comme viatique à l'entrée de l'oeuvre se formule simplement: "y avait-il dans le romantisme allemand les germes du national-socialisme ?"

Au sortir de la première représentation, nous hantent encore ses multiples prolongements à la fois d'ordre poétique, éthique et poétique. Il s'agit bien sûr  de ne pas s'enfermer dans l'une ou l'autre dimension, mais de les envisager comme un ensemble organique, dont les circonstances (révolutionnaires: l'échec de la Révolution  de Dresde survient en 1849 ) et l'époque de la naissance ( Wagner écrit le livret en 1845 et compose la musique entre 1845 et 1849) ne doivent pas nous enfermer.
Comme pour toute oeuvre d'art, l'opéra de Wagner est contemporain de celui qui le regarde, le contemple, l'écoute. Une lumière spectrale éclaire le décor explicitement inspiré des images que notre mémoire conserve de l'"Allemagne , année zéro" et des reportages d'actualité filmés dans Berlin détruite (qu'incarne avec une force inouïe le choeur des femmes se passant de la main à la main les briques et pierres des édifices détruits, dans le Berlin de 1945). Le décor  évoque autant les ruines de la  Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, l'église du Souvenir, dont les murs et vitraux détruits ont été maintenus en l'état sur le Kurfürstendamm,  qu'une Tour de Babel s'élevant dans la nuit, tandis que les destins humains se déchirent  au nom du jugement de Dieu. L'enchaînement des enfermements derrière des vitraux éclatés, et des trappes où s'abritent les protagonistes menacés ou pourchassés, évoque autant de fuites éperdues face à la violence du monde. La sensibilité de chacun identifie ainsi l'émotion dont on ne sort pas intact. Ce conditionnement ouvre une voie royale à cette dimension à jamais inexplorée de notre inconscient: le cheminement bouleversant de la musique, dont le souffle transcende et porte toutes les interrogations, les balaie et nous laissent pantois face à cet "art total" auquel le Théâtre de La Monnaie nous convie.
Nous avons demandé à Jacques De Decker ses premières impressions au sortir de la représentation. Il y évoque en quelques lignes "l'esthétique littéraire propre à Wagner" dont la mise en scène de Pi a fait une démonstration éclatante:
  "La version qu’Olivier Py  propose de « Lohengrin » à Bruxelles fera date dans les grandes interprétations wagnériennes. Elle va plus loin qu’une simple illustration, elle est une lecture, une glose qui ne se limite pas à une analyse politique de la fable, prouvant que l’oeuvre est – sans doute malgré elle- une schématisation visionnaire du mécanisme d’accession au pouvoir. Il faudrait pour cela analyser le spectacle acte par acte et même scène par scène.
Mais la révélation dont nous fait bénéficier Py  éclaire l’esthétique dramatique de Wagner sur un plan jamais atteint : il révèle qu’il n’y a pas de dialogues chez Wagner, mais seulement des monologues et, qui plus est, des monologues intérieurs alternés. Son texte, dont il est l’auteur (Wagner, musicien de génie, est aussi un immense poète) est un tressage de « courants de conscience », ce qui apparaît manifestement au deuxième acte où, découpant l’espace de scènes en un échiquier (élément qui apparaît ailleurs littéralement dans le spectacle), il fait se mouvoir ses personnages dans leur propre labyrinthe intérieur.
A partir de cette approche, il y a moyen de revisiter chaque oeuvre (et, plus tard, la Tétralogie), selon son esthétique littéraire propre, qui n’avait jamais été élucidée à ce point-là. J’ai ce privilège – lié à mon  incompétence musicale - de tenir Wagner d’abord pour un dramaturge. J’en ai trouvé dans ce spectacle la plus stupéfiante démonstration." 

Dans sa biographie de Wagner parue chez Gallimard ( collection Folio/Biographies en 2010; traduit en allemand en 2018), Jacques De Decker avait placé en épigraphe un propos d'Adorno  : "La pensée sur Wagner est comme maudite. L'esprit à son propos n'a pas encore accédé à la liberté"

A n'en pas douter, Adorno aurait aujourd'hui été apaisé à cet égard...

Jean Jauniaux, le 20 avril 2018



 LA MONNAIE / DE MUNT, 23, rue Léopold, 1000 Bruxelles — info@lamonnaie.be  

« En réalité, ce Lohengrin est un phénomène complètement nouveau pour la conscience moderne ! » Richard Wagner entrevit lui-même le caractère innovant de son sixième opéra, achevé en 1848, année marquée par les révolutions. Bien qu’encore classé parmi ses « opéras romantiques », cette œuvre annonce déjà clairement sa nouvelle vision du drame musical. La légende médiévale du Chevalier au cygne y devient une révélation sur l’amour véritable et inconditionnel. Notre directeur musical Alain Altinoglu, qui a précédemment dirigé cette œuvre à Bayreuth, sera le garant de la qualité musicale, tandis qu’ Olivier Py, déjà connu à la Monnaie pour ses prestigieuses mises en scène des Huguenots et de Hamlet, n’éludera pas la facette politico-révolutionnaire de Wagner. « On ne peut comprendre Lohengrin que si l’on parvient à se libérer de toute forme de représentation généralisante d’allure moderne pour voir le phénomène de la véritable vie », estimait Wagner. Un défi pour nous tous ?
SYNOPSIS
Au Xe siècle, à Anvers, le chevalier Telramund accuse Elsa, fille du duc de Brabant, d’avoir assassiné son propre frère, le dauphin Gottfried qui a disparu sans laisser de trace. La jeune femme appelle à l’aide le chevalier au cygne, Lohengrin, qui lui est apparu en rêve. Le miracle se produit : Lohengrin surgit en chair et en os et provoque en duel Telramund en guise de jugement divin. La victoire remportée, il épousera Elsa, à la condition qu’elle ne lui demande jamais ni son nom ni son origine. Mais, aiguillonnée par Ortrud, l’épouse jalouse de Telramund, Elsa finit par poser la question interdite. Lohengrin est alors contraint de révéler son identité et de quitter Elsa. Avant de faire ses adieux, il révèle qu’Ortrud est la véritable coupable qui a ensorcelé Gottfried. Alors que ce dernier réapparaît, Elsa s’affaisse à terre sans vie.

DISTRIBUTION

Direction musicale ALAIN ALTINOGLU
Mise en scène OLIVIER PY
Décors et costumes PIERRE-ANDRÉ WEITZ
Éclairages BERTRAND KILLY
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANI

Heinrich der Vogler GABOR BRETZ
Lohengrin ERIC CUTLER / BRYAN REGISTER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Elsa von Brabant INGELA BRIMBERG/ MEAGAN MILLER (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Friedrich von Telramund ANDREW FOSTER-WILLIAMS / THOMAS JESATKO (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Ortrud ELENA PANKRATOVA /SABINE HOGREFE (20, 24 & 27.04, 02 & 06.05.2017)
Heerrufer WERNER VAN MECHELEN

Pour revoir:

diffusion sur Klara & Musiq3
26.05.2018

en live sur ARTE Concert
26.04.2018

streaming sur
www.lamonnaie.be/fr/streaming
22.05 > 11.06.2018