mercredi 25 octobre 2017

"L'amour et puis rien" , Luc Dellisse nous donne le récit à rebours du sentiment amoureux

"L'amour et puis rien"

Luc Dellisse 
Editions "L'herbe qui tremble"
Collection "D'autre part" 
© Jean Jauniaux
Pour éviter de publier, de bonne foi, une image dont les droits seraient réservés, LIVRaisons n'utilisera plus les couvertures ou photographies d'auteurs pour illustrer la recension des livres. Que les éditeurs et les auteurs veuillent bien nous en excuser.


La quatrième de couverture sur le site de l'éditeur:

"Ce livre met en scène des rencontres, des nuits, des chambres, des morsures, des pleurs, des baisers, des corps nus, des appels, des taxis, des vitres, des escaliers, des beaux visages, des mensonges, des jouissances rapides, des parfums qui flottent longtemps, des regrets, des moments de douceur inattendue, des draps tordus comme des lianes, des mains serrées, des regards qui se détournent et qui se perdent. Toute la vie du héros tourne autour d’un point unique qui est l’amour. Toutes les femmes qui sont évoquées semblent atteintes de la même et funeste folie. Le plaisir n’est rien. L’espérance n’est rien. Le bonheur n’est rien. Ce n’est pas cela qu’ils cherchent, mais autre chose, qui les brûle même s’il n’existe pas. À la fois carnet amoureux, journal d’une guérison impossible, tableau de mœurs modernes, l’Amour et puis rien est aussi une enquête menée à l’envers pour remonter à la source des passions. C’est un roman qui raconte comment une vie consacrée à un but unique, poursuivi en dépit de tout, finit toujours par récolter quelques fruits d’or. Le narrateur ment : il prétend n’être qu’un amoureux. Il est probable qu’il n’est qu’un écrivain."


La bibliographie de Luc Dellisse figurant en fin de son dernier ouvrage confirme la difficulté,  à  classer l'écrivain dans une catégorie littéraire: la poésie, l'essai, le roman alternent depuis son "Baptême du feu" daté de la fin du millénaire dernier. Avec "L'amour et puis rien", Dellisse brouille davantage les pistes, comme s'il voulait définitivement nous décourager de le situer à un endroit donné de l'espace créateur ou  à un moment donné de la trajectoire dont il investit les étapes avec  une inventivité renouvelée à chaque titre . Sans doute,  l'auteur de "Sorties du temps" (Le Cormier, 2015) pourrait-il se définir par cette incessante interrogation dont il fait un mode de vivre autant qu'un mode de créer? Surgirait alors un semblant de cohérence dans le cheminement de celui qui est aussi "professeur de scénario": une telle "profession" ouvre la voie à une énigme vertigineuse, dont le romancier a écrit les méandres déjà dans un roman éponyme  et dans deux essais, "L'invention du scénario" et "L'atelier du scénariste", tous trois parus aux Impressions Nouvelles, respectivement en 2006 et 2009.
Cette constante interrogation va investiguer l'identité de l'auteur (et celle du lecteur)  à travers ce que l'invention littéraire nous permet d'en savoir. Poésie, roman, essai (en particulier sur l'écriture) s'inscriraient alors dans une circonférence où, à l'instar du noyau d'une cellule, s'enrichissent entre elles les inspirations. A la manière d'un kaléidoscope, ce que nous y voyons ne cesse de se modifier, tout en étant contenu, apprivoisé mais mobile, changeant, altérable.
Le dernier opus de Luc Dellisse ne contredit pas la tentative d'encerclement à laquelle nous nous livrons. Il est à la fois ce kaléidoscope et chaque grain de lumière colorée qui le compose, le mouvement de ceux-ci, le regard qui les traverse, la main qui les fait tourner, et le coeur qui bat d'enchantement, de surprise, de découverte. Fondé sur le paradoxe (supposé) entre vivre et dire la vie, l'amour et la poésie de l'amour, exister et écrire , Dellisse nous donne la clé existentielle de ce livre, mais aussi de son essence, sa source, le vivier dans lequel il a puisé l'énergie de ce voyage à rebours: "la littérature est un pari fou sur la réalité absente; l'amour est un projet très concret, une alchimie sans mystère." (p.61).
Il n'est pas ici le lieu de dévoiler les étapes de ce récit initiatique qui, comme si nous lisions un Manga à l'occidentale, se déroule à l'envers, à rebours. L'auteur nous en décourage d'ailleurs, nous indiquant d'emblée, comme si ce n'était pas une évidence pour toute son oeuvre, comme s'il voulait nous donner, à l'entrée d'un cinéma les lunettes permettant de voir les trois dimensions, avec, en plus, ici, la dimension poétique qui enveloppe les trois autres, qu'"il ne s'agit pas (...) d'un témoignage sur l'amour: dans ce domaine il n'y a que de faux témoins. C'est une tentative pour retrouver la poésie par un chemin intime, interdit."
N'est-ce pas là une définition universelle de la poésie, de la fiction littéraire et de l'essai philosophique: un affrontement incessant avec l'insaisissable complexité de l'humain? 
C'est en tout cas ce qui fait de Luc Dellisse cet écrivain qu'on ne devrait cesser de lire, à rebours ou non.
"L'herbe qui tremble" et "D'autre part" 
Un livre n'existe pas sans un éditeur. Dans le cas de ce livre, l'assertion est d'autant plus indispensable que la collection où il est paru est dirigée par un des écrivains les plus rares et les plus stylés qui soit: Thierry Horguelin. Homme attentif à chaque élément dont il veille à ce qu'il s'inscrive dans la cohérence et l'originalité de la collection "D'autre part", écrivain raffiné s'appliquant à lui-même la rigueur et l'exigence qu'il attend des auteurs qu'il publie, être discret mais jamais en retrait de l'essentiel. Nous lui devons de trop rares ouvrages, dont chacun mérite l'attention que l'on porte à la vraie littérature. Nous l'avons rencontré à plusieurs reprise, ainsi que Luc Dellisse, pour la webradio www.espace-livres.be où leurs interviews sonores sont toujours accessibles.

Jean Jauniaux, Bruxelles le 24 octobre 2017


Sur la webradio espace-livres

Interviews de Thierry Horguelin:

Interviews de Luc Dellisse