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jeudi 29 décembre 2016

"Prison à vie": ce que risque la romancière Asli Erdogan



December 29, 2016
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Ce 29 décembre s'ouvre à Istanbul le procès d'Asli Erdogan.

Elle encourt une peine de prison à vie pour ce que nous appelons, dans les pays démocratiques de l'Union européenne, un délit d'opinion.

J'ouvre régulièrement, pour en lire quelques lignes et ainsi songer à elle, "Le bâtiment de pierre" un court recueil de récits, publié chez Actes Sud, qui accompagne les chroniques que la romancière publie dans Ozgur Gündem, journal pro-kurde. Ce bâtiment de pierre désigne  la prison de Bakırköy à Istanbul dans laquelle la romancière est incarcérée depuis le 16 août.

Voici, page 53, quelques lignes extraites du récit "Le coeur du labyrinthe" que je recopie en songeant à elle:

"En cheminant dans les méandres déserts du bâtiment de pierre, au long des couloirs secrets enfouis dans une pénombre bleutée, en franchissant des portes qui s'ouvrent et se referment promptement sans retour possible, comme des tourniquets, tu atteins le coasse du labyrinthe. Un coeur vaste, bien réel, dut comme un coup de poing. C'est une salle vide, froide, blanche, comme une pierre tombale, semblable à toutes les salles verrouillées de ta mémoire"

Ce matin, à Bruxelles, capitale de l'Union européenne, le ciel est bleu et nous pouvons le voir; l'air est glacé, et nous pouvons le respirer.


Jean Jauniaux



Asli Erdogan est membre d'honneur de PEN Club Belgique, le centre belge francophone de PEN International. 
Sur le banc des accusés se retrouveront aussi, ce même jour, la linguiste Necmiye Alpay, les journalistes Inan Kizilkaya et Zana Kaya. Cinq autres intellectuels, qui ont échappé à la police turque, seront jugés par contumace. 
Le procès se tient à la 23e chambre de la cour d’assises du palais de justice de Cagayan. Les dimensions de la salle d'audience dans laquelle se déroulera le procès est trop petite pour que puissent y assister les représentants des associations des droits de l'homme, les journalistes, les diplomates étrangers, les amis ou les parents. 




vendredi 30 octobre 2015

"J'habite un pays fantôme" une pièce de Kenan Gorgün mise en scène par Daniel Simon



C'est à partir de trois de ses récents livres que le romancier et réalisateur Kenan Gorgün a composé la pièce "J'habite un pays fantôme" , mise en scène par Daniel Simon.
Nous avions rencontré l'écrivain belgo-turc à la sortie du premier volet de ce qui deviendra une trilogie: "Anatolia Rhapsody" (Editions Vents d'Ailleurs). 
Nous sommes allés au théâtre "Le Public", à Bruxelles,  voir la pièce qui sera, à nouveau jouée en janvier à Liège.

De Kenan Gorgün nous savons qu'il est écrivain (sa première nouvelle publiée l'a été dans la revue littéraire MARGINALES  qui exerçait là avec on ne peut plus de justesse sa vocation de découvrir et de valoriser de nouveaux talents), qu'il est scénariste (primé) de cinéma et réalisateur. Avec "J'habite un pays fantôme", nous découvrons deux nouvelles  facettes de cet auteur protéiforme: comédien et dramaturge. 

Cette pièce, mise en scène par l'écrivain Daniel Simon (dont on doit une nouvelle fois déplorer le peu d'intérêt et d'attention que son oeuvre d'écrivain et son travail d'éditeur rencontrent parmi les critiques et observateurs de la vie littéraire) met en scène trois personnages. Le premier est le double de Gorgün (et joué avec une maturité étonnante dans le jeu de comédien)   jeune homme turc, écrivain en devenir, s'essayant à créer un univers, persuadé que l'écriture lui donnera les clés de compréhension du destin qu'il veut se donner et lui permettra de sortir du carcan de la tradition familiale - celle de sa famille d'origine ancrée au village d'Anatolie dont elle est issue depuis des générations. Le deuxième est le personnage qui naît de ses premières tentatives romanesques, mais en même temps le  miroir  de ce que l'écrivain voudrait devenir interprété par le comédien Othmane Moumen,. Ce dernier, grâce à un un  jeu subtil, nuancé et toujours juste, fait apparaître les doutes qui entourent le projet de son créateur, les difficultés qu'il y a à sortir de la feuille de papier et des mots pour s'arracher à son destin, prendre la route, aller à la ville d'abord, puis plus loin, à l'étranger, chercher un pays d'accueil pour y vivre, pour y écrire, pour y épanouir son identité et la libérer de la pression des traditions de la Communauté, du village et de la famille. Celle-ci est incarnée par le troisième personnage, un mannequin représentant le père, le Pater Familial devrions-nous dire, présence muette et oppressante dont il faut bien se détacher pour vivre, mais qui reste toujours, immobile et silencieuse comme le subconscient, dans un retrait obscur de la scène et de la vie, de la réalité et du rêve.

Gorgün assume avec émotion le risque d'une certaine fragilité. Après tout, il joue doublement sur scène: à la fois sa vie et son texte. En cela, Daniel Simon a fait des miracles de dramaturgie. Le lieu scénique (au Public la pièce se joue dans la petite salle, au sous-sol) est nu hormis côté Jardin, une table à repasser et, côté Cour, une table, une chaise et une machine à écrire. Chaque lieu est investi d'une fonction symbolique - le village d'un côté, le rêve de l'autre - . Le père, assis sur un tabouret haut, comme un arbitre des destins, veille sur la ligne de partage entre les deux mondes, cette ligne de fracture qu'alternativement l'un et l'autre des protagonistes essaient de franchir. Le travail irremplaçable sur la lumière,  la musique, le chant (Gorgün, dans un moment particulièrement émouvant de la pièce, psalmodie un chant populaire dont l'écho n'a pas de sitôt cessé de nous envoûter) contribuent à faire de cette pièce une réussite tout à fait originale, née de la qualité du jeu, et, à n'en pas douter, de la complicité entre l'écrivain et le moteur en scène.

Si vous n'avez pas eu l'occasion de voir cette pièce à Bruxelles, prenez date pour les représentations qui auront lieu à Liège en janvier 2016. 


Edmond Morrel, au Théâtre Le Public, le 30 octobre 2015



Nous avions interviewé alors Kenan Gorgün: cet entretien est bien sûr toujours accessible sur la webradio www.espace-livres.be  .

Voici ce que nous écrivions à propos du livre:

"Ce récit hors normes apporte un regard d’écrivain sur l’immigration turque en Belgique dont on commémore le cinquantième anniversaire. Appartenant à la deuxième génération, Gorgün aborde - pour la première fois dans son oeuvre de cinéaste et d’écrivain - un vécu qu’il nous restitue dans toute sa vérité et sa complexité. En filigrane, le portrait émouvant et sensible de son père et de sa famille emprisonnés dans la nostalgie et l’"exil immobile". On dit parfois que seule l’écriture littéraire dévoile vraiment la part de l’indicible : Gorgün en fait une bouleversante démonstration."
Edmond Morrel