samedi 15 décembre 2018

Isang Yun: un destin musical et politique exceptionnel

Isang Yun, le destin musical et politique d’un compositeur sud-coréen

La vie de Isang Yun relève du roman. Fils de poète, il naît en 1917 en Corée du Sud, alors sous domination japonaise. Il étudie aux Conservatoires d’Osaka puis de Tokyo. Politiquement engagé, il fait partie de la résistance contre le Japon pendant la deuxième guerre mondiale, est arrêté et emprisonné jusqu’à la fin du conflit. On le retrouve ensuite dans diverses institutions, notamment à l’Université de Séoul en qualité de lecteur. En 1956, il tente l’aventure européenne et se rend à Berlin où il côtoie notamment Boris Blacher et fréquente la Musikhochschule. Après un voyage effectué en Corée du Nord (il prônera toujours la réconciliation entre les deux entités), il est enlevé par les services secrets sud-coréens, mis en prison, torturé puis condamné en 1967 à la détention perpétuelle pour ses liens avec le communisme et pour haute trahison. Il sera libéré deux ans plus tard grâce à un mouvement international de protestation, mené par des compositeurs (Dallapiccola, Henze, Kagel, Stockhausen, Stravinsky…) et par des chefs d’orchestre (Karajan, Klemperer…). Il obtient la nationalité allemande en 1971 et enseigne à Berlin. Quelques années plus tard, il fonde à Pyongyang un institut musical qui porte son nom. Il décède en 1995. Isang Yun laisse une œuvre considérable : quatre opéras, de nombreuses partitions orchestrales, dont cinq symphonies, des concertos divers, de la musique de chambre et une kyrielle de pièces pour un ou plusieurs instruments. Sa production est tout à fait méconnue chez nous, pour ne pas dire inconnue. On ne peut donc que se féliciter de voir le label Pentatone proposer un panorama de sa production dans un coffret de 2 CD (PTC 5186 693), qui porte pour titre : SunriseFalling.

Ce coffret est un éventail significatif d’un langage insolite, mystérieux, voire même secret, qui fait souvent usage d’une écriture douloureuse et intense, aux contrastes fortement marqués mais qui peut aussi se manifester par une intériorisation proche du silence. On y trouve deux concertos, l’un pour violoncelle (1976), l’autre pour violon (1981) et la Fanfare et Mémorial pour orchestre qui date de 1979 et dans lequel une harpe déploie des arpèges. C’est le Bruckner Orchester Linz, dirigé par Dennis Russel Davies, qui officie pour ces trois partitions, les solistes étant Yumi Hwang-Williams pour le violon et Matt Haimowitz pour le violoncelle ; ils font corps avec les intentions d’Isang Yun, ce dernier expérimentant les ressources des instruments avec beaucoup d’imagination. La musique est fascinante, elle suscite un intérêt constant. Sa découverte est plus qu’une heureuse surprise : elle séduit par une inventivité de tous les instants et une richesse sonore qui interpelle, avec des expérimentations de timbres ou de tonalités, et de  temps à autre, mais en demi-teinte, des accents qui rappellent les origines orientales d’Isang Yun. Le reste du programme est dévolu à des instruments solistes : Kontraste (1987), deux pièces pour violon au lyrisme éperdu,  Glissées (1970) pour violoncelle, qui nous entraîne dans un monde ésotérique, un Interlude pour piano (1982), dont les arabesques sinueuses sont défendues par Maki Namekawa, et Gasa, référence à un genre littéraire coréen du XVIe siècle, une partition énigmatique de 1963 pour violon et piano, où l’on retrouve le chef d’orchestre au clavier. Les solistes sont les mêmes que pour les œuvres concertantes, ils s’investissent dans ce projet avec talent. Cette découverte d’un compositeur au destin si particulier est un parcours à accomplir sans a priori : il se révèle d’une profondeur et d’une intensité qui méritent que l’on s’y attarde.

Jean Lacroix