mardi 23 octobre 2018

Les grandes voix: Hvorostovky, Hannigan, Behr...quelques invitations à l'écoute


Lorsque la voix nous enchante…


Dmitri Hvorostovsky...
A tout seigneur, tout honneur ! Le baryton Dmitri Hvorostovsky est décédé le 22 novembre 2017 d’une tumeur au cerveau. Il était âgé d’à peine 55 ans. Une perte irréparable pour le chant, car cet artiste qui bénéficiait d’un legato très dominé et était passé maître dans l’art de la respiration était l’incarnation même de l’élégance et de l’art russe. Ses prises de rôle dans Mozart, Bellini, Rossini, Prokofiev, Verdi ou Tchaïkowski étaient des chefs-d’œuvre, tant ses effets dramatiques étaient d’une absolue pertinence. On se souviendra avec émotion de ses débuts dans Rigoletto, de ses concours gagnés à Toulouse (en 1988, ce qui lui valut un premier engagement pour La Dame de pique) ou à Cardiff, de son comte Almaviva à la Bastille ou de son Germont dans La Traviata, mais aussi de récitals au cours desquels dominaient son impeccable ligne de chant et les couleurs de sa voix. Le label Orfeo (C 966 181 B) lui rend hommage en publiant un CD qui propose un choix de ses prestations à l’Opéra de Vienne entre 1994 et 2016, dans des airs de Bellini, Rossini, Verdi ou Tchaïkowski (une grande partie de son répertoire à eux deux), sous la baguette de Placido Domingo, Seiji Ozawa, Jesus Lopez Cobos et de quelques autres. Un CD à thésauriser parce qu’il montre l’étendue d’un talent hors du commun et l’ampleur d’une voix magnifique, mais surtout pour se convaincre que Hvorostovsky continuera de vivre dans la mémoire des mélomanes.
Lulu par Barbara Hannigan 
Barbara Hannigan, Vienna 



Barbara Hannigan...

On n’en finira jamais de découvrir Barbara Hannigan, ni de succomber à l’enchantement qu’elle suscite en nous !  Alors que sa carrière s’oriente vers la direction d’orchestre et la mise en place de projets scéniques, elle nous offre (car c’est un cadeau précieux) un récital intitulé Vienna fin de siècle (Alpha 393). Il regroupe des lieder de Schoenberg, Webern, Berg, Zemlinsky, Alma Mahler et Hugo Wolf, tous inscrits dans la période 1890-1910, apogée d’un romantisme tardif à la limite de la tonalité. On sait que cette soprano à la grande sensibilité dramatique a incarné une Lulu troublante à la Monnaie en 2012 (disponible sur DVD). Ici, les moments riches et intenses au cours desquels on retrouve un nombre conséquent de poèmes de Dehmel, mais aussi de Lenau, Rilke, Heine, Goethe, Morgenstern et quelques autres écrivains du XIXe siècle, sont servis par une voix émouvante, qui ravit l’oreille par la beauté de son expressivité et un pastel de couleurs sans cesse renouvelées. La voix est parfois fragile, certains diront : « pas toujours celle qu’il faudrait », mais elle traduit, à travers sa fragilité même, un goût parfait et un absolu respect du texte. Pour ces compositeurs, il s’agit de partitions de jeunesse, à l’exception de Wolf, la frontière entre l’harmonie et la dissonance est mince et elle nourrit le propos musical avec les questions que l’on se pose à leur écoute. Ces questions sont vite balayées par la qualité d’une interprétation superbe, servie par un duo qui collabore depuis de longues années. L’accompagnateur, on devrait dire le complice, est Reinbert De Leeuw, pianiste, chef d’orchestre et compositeur. On peut parler ici d’osmose entre les partenaires, l’émotion de l’apport mutuel est toujours présente. On se souviendra de leur Socrate de Satie de 2016, si juste, si mesuré. Dans le livret du nouveau CD, deux photographies montrent De Leeuw, âgé de 80 ans, serrant sur son cœur Hannigan, qui n’a que 47 printemps. Des images qui se passent de commentaires, car elles sont le symbole même de cet enregistrement qui a tout juste un an. Elles donnent un sens à ce que la musique apporte au texte : un surplus de beauté.  

Julien Behr...
Julien Behr, Confidence 

Le ténor Julien Behr aurait pu s’inscrire au barreau de sa ville natale de Lyon dans l’université de laquelle il a obtenu un master de droit des affaires. Mais le chant était sa voie et dès 2009, il débutait à Aix-en-Provence dans Offenbach. Ce fut ensuite Mozart, Haendel, Lehar, Fauré,
Rameau, Gluck, Verdi ou Donizetti, dans l’Hexagone mais aussi en Allemagne, en Suisse, à Londres ou à New York. Une délicieuse Ciboulette de Reynaldo Hahn, enregistrée en février 2013 à l’Opéra-Comique avec Julie Fuchs, est un régal à ne pas manquer, puisque la firme Fra Musica a eu la bonne idée de la mettre à la disposition des mélomanes sous la forme d’un délectable DVD. Aujourd’hui âgé de 35 ans, Julien Behr propose au disque un premier récital (Alpha 401), dans lequel sa voix aux inflexions souples et limpides fait merveille. Sous le titre général de « Confidence », accompagné par l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sous la direction attentive de Pierre Bleuse, il déploie un indiscutable talent et la séduction d’une diction claire et précise. Au programme, des airs bien cernés : de Gounod à Messager, Thomas, Joncières ou Godard, le répertoire français domine, en particulier dans des extraits qui lui vont comme un gant. On mettra en évidence un Delibes méconnu, Jean de Nivelle (1880), ouvrage qui montre aussi la facette héroïque de Julien Behr, une subtile Jolie fille de Perth de Bizet ou un adorable extrait de La Veuve joyeuse. Tout cela est fin, racé et respire l’intelligence du choix (même si le Trenet final, « Vous qui passez sans me voir », ne convainc pas face à l’original). Le CD est complété par des intermèdes orchestraux peu courants, qui tissent entre les airs une toile ludique : La Nuit et l’Amour de Augusta Holmès, la Habanera de Chabrier et Aux étoiles de Duparc. Un récital bien venu, au cœur duquel le goût et la fraîcheur dominent.     

Jean Lacroix