L’univers raffiné des œuvres
symphoniques de Henri Dutilleux
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En 2013, Henri Dutilleux nous quittait à l’âge de 97 ans.
Ce compositeur, dont la dimension apparaîtra de plus en plus grande dans
l’histoire de la musique à mesure que le temps passera, était réputé pour son
exigence créatrice, son perfectionnisme et sa volonté d’indépendance qui se
refusait à suivre les courants. Il a laissé un nombre de partitions
rigoureusement sélectionnées, au point de renier des œuvres de jeunesse ou de
les revoir ultérieurement avec minutie. Ce natif d’Angers qui travailla pendant
une vingtaine d’années à la Radio française se fit remarquer par un coup
d’éclat en 1951 lorsque sa Symphonie n° 1,
qui est sa première production orchestrale, fut créée par Roger Désormière,
avant d’être reprise par des chefs aussi renommés qu’Ansermet, Martinon ou
Munch. Ce dernier allait devenir un ardent défenseur des œuvres de Dutilleux.
Ses partitions regorgent de couleurs et d’atmosphère poétique ; en digne
héritier de Debussy, Ravel ou Roussel, Dutilleux déploie un geste musical dans
lequel la primauté du spirituel est une préoccupation majeure. Lorsqu’il
utilise des moyens modernes ou des timbres nouveaux, c’est pour les
transfigurer en nuances délicates, en harmonies raffinées, en effets sensibles.
La Symphonie n° 1 requiert un
orchestre imposant au sein duquel des passages solistes mettent en valeur les
instruments, dont la palette sonore est enrichie par le xylophone, le
glockenspiel, le célesta, la grosse caisse ou le tam-tam. En 1977, Jean-Claude
Casadesus en avait signé un enregistrement pour la firme Calliope, qui avait
obtenu le Grand Prix de l’Académie du disque. Il était alors à la tête de
l’Orchestre National de Lille. Il en donne une nouvelle version, flamboyante,
mûrie, intégrée, près de quarante ans après, à la tête du même orchestre,
« son » orchestre depuis quatre décennies, pour la firme Naxos
(8.573746), dans une prise de son lumineuse qui date de juillet 2016. L’œuvre
est en quatre mouvements, introduite par une Passacaille, forme ancienne de
danse peu utilisée dans les structures symphoniques ; elle ouvre un
univers rythmé qui va peu à peu engendrer une progression sonore d’une densité
qui culmine par un coup de gong avant de se dissiper dans une aura poétique
ouvrant la porte à un Scherzo rapide. Suit un Intermezzo sinueux au cours
duquel la mélancolie se confond avec l’élégie. Le Final se déploie en
variations, ponctuées par les percussions et les timbales, dans un climat qui
va permettre à la tension concentrée de diminuer pour se fondre peu à peu dans
le silence.
Le programme de ce CD est complété par les Métaboles de 1964 que Charles Munch
avait enflammées dans une gravure Erato légendaire, un incendie que Casadesus
porte à la même intensité. Cette commande de l’Orchestre de Cleveland à
l’occasion de son 40e anniversaire fut créée par Georges Szell en
janvier 1965. L’œuvre comporte cinq mouvements qui, comme le titre de Métaboles l’indique, implique des
changements de l’ordre du rythme ou de la mélodie tout au long de l’exécution,
qui se fait sans interruption. Dans chaque volet successif, une couleur
spécifique est distillée par un groupe de timbres différents, les bois, puis
les cordes, suivis par les cuivres et enfin par les percussions. La dernière
partie consiste en un tutti dynamique et chatoyant qui fait penser à une
mosaïque de couleurs.
Pour compléter ce disque magique, les Citations, en deux parties, écrites
l’une en 1985, l’autre en 1990, sont un hommage rendu à Britten et à son
interprète Peter Pears, à l’occasion des 75 ans de ce dernier, fondateur, avec
le compositeur de Peter Grimes, du
Festival d’Aldeburgh, puis à Jehan
Alain, ce jeune organiste et compositeur mort au champ d’honneur en 1940, à
l’âge de 29 ans. Dutilleux y ajoute une référence à Janequin. Ici, la sobriété
des moyens est de circonstance. Le hautbois, le clavecin, la contrebasse et les
percussions s’accordent et se répondent dans un univers symbolique au climat
résolument fluide et élégiaque.
Jean
Lacroix