jeudi 26 septembre 2019

Les Créatures de Prométhée de Beethoven, version piano par Warren Lee


Dans moins de six mois, débutera la commémoration des 250 ans de la naissance de Beethoven. Même si la date exacte de l’anniversaire se situe en décembre 2020, il ne faut pas être grand clerc pour penser que nous devons nous attendre à une avalanche rapide de parutions et de rééditions en tout genre. Il serait bon aussi que de nouvelles études en français viennent enrichir notre connaissance de ce géant de la composition. Un CD nous met déjà l’oreille en phase d’attente.
En 2013, l’infatigable défricheur qu’est Cyprien Katsaris proposait le premier enregistrement intégral de la version pianistique, de la main même de Beethoven, du ballet Les Créatures de Prométhée qui date des années 1800-1801, entre la composition des deux premières symphonies. Il s’agissait d’une commande du chorégraphe Salvatore Vigano, dont la création eut lieu à Vienne le 28 mars 1801. Dès le mois de juin, un éditeur fit paraître dans la capitale autrichienne la réduction pour piano de la partition, que le compositeur dédia à la princesse Lichnowsky. Grâce au label Naxos (8.573974), c’est le pianiste originaire de Hong Kong, Warren Lee qui a rendu vie encore une fois à cette oeuvre, le 18 novembre 2018, dans les studios du Wyastone Concert Hall anglais de Monmouth.
Le seul ballet que Beethoven ait composé fut un succès immédiat, il y eut une trentaine de représentations, mais tout retomba vite dans l’oubli, le compositeur lui-même n’en faisant pas grand cas. Il en réutilisa cependant des thèmes dans ses Variations pour piano op. 35, de même que dans l’Héroïque et la Pastorale. La brève ouverture des Créatures de Prométhée est encore souvent programmée en salle de concert. De l’intégrale, il existe l’une ou l’autre version orchestrale, dont celle de l’Orchestre de chambre Orpheus, au milieu des années 1980.
L’œuvre se compose de l’ouverture et de deux actes, pour un ensemble de dix-huit mouvements. On ne reviendra pas sur le thème bien connu du parcours de Prométhée et du feu dérobé aux dieux pour le donner aux hommes. Mais il faut savoir que le chorégraphe Vigano souhaitait, par l’association de mythes, récits mythologiques et allégories donner au ballet une dimension politique, idéologique et esthétique. Vigano avait des intentions « révolutionnaires ». Ce que la France avait vécu avant l’arrivée au pouvoir de Bonaparte ouvrait à l’humanité la perspective d’accéder à la liberté et au bonheur. (1).
Le soliste du présent enregistrement, Warren Lee, a été un enfant prodige. Dès l’âge de six ans, il se produisait avec l’Orchestre Philharmonique de Hong-Kong à l’occasion d’un concert télévisé. Considéré comme un phénomène, il a remporté en 1995 le Premier Prix du Stravinsky Awards International Piano Competition et a été, la même année, Grand Prix du Concours Ivo Pogorelich. Warren Lee, qui est aussi compositeur, a publié chez Naxos des CD consacrés à des œuvres de Dun et Bernstein, a participé à la « Complete Music » de Liszt pour le volume n° 50, et a accompagné des violonistes dans des sonates de Schubert ou des concertos de Seitz. Sa vision beethovenienne bénéficie d’une noblesse d’accents et d’une imagination à la fois variée et imagée qui n’exclut pas l’âpreté du propos ni la grandeur qu’il accorde à cette oeuvre éminemment romantique. Il a le sens des nuances, de la couleur et de la projection, donnant à ces pages un intérêt constant et leur juste dimension d’équilibre et d’élan mesuré. Oui, voilà une belle mise en bouche pour la future commémoration ! 

Jean Lacroix


(1) Le lecteur désireux d’approfondissement lira avec intérêt les pages 211 à 223 que l’historienne Elisabeth Brisson consacre aux Créatures de Prométhée dans son Guide de la musique de Beethoven, paru aux éditions Fayard en 2005.