(L'interview de Jean-Christophe Deveney est accessible à l'écoute sur soundcloud.) et en video sur Youtube
L'interview de Jean-Sébastien Bordas est accessible en video sur Youtube
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Entrelaçant la genèse du tableau peint par
Géricault et le récit hallucinant du naufrage de la frégate La Méduse, Deveney
et Bordas déploient un tableau dantesque de cette tragédie survenue au large du
Sénégal en juillet 1816.
C’est un fait-divers tragique qui a inspiré à
Géricault le tableau dont chacun d’entre nous a vu une reproduction ou la toile originale exposée au Louvre. D’un format hors-norme, elle raconte un moment de la
tragédie qui survint au large des côtes d’Afrique lorsque la frégate La Méduse
s’échoue suite à une erreur de navigation sur le banc d’Arguin, un banc de
sable à fleur d’eau, connu pourtant des marins aguerris et figurant bel et bien
sur les cartes marines.
La navire qui prend eau est abandonné par
l’équipage et les passagers : des soldats et des civils. Les chaloupes, en
nombre insuffisant, sont mises à l’eau. 170 passagers, principalement le
contingent des soldats, n’y trouveront pas place et embarqueront sur le radeau,
construit pour alléger le vaisseau lorsque l’on pensait encore pouvoir le
dégager du piège de sable.
Le radeau est ingouvernable. Au terme d’une
interminable dérive, il ne restera que 17 survivants !
Voilà ce dont le tableau nous donne à voir: un
instant, un fragment terrible de cette épouvantable catastrophe maritime.
Deux ans plus tard, sur base d’une recherche
documentaire détaillée et obstinée, le peintre Géricault entreprend de peindre
le moment où un des naufragés aperçoit à l’horizon un navire qui les secourera.
Deveney et Bordas ont consacré quatre années à
effectuer les recherches à l’instar de Géricault, à lire les archives du procès
qui fut intenté et qui permit d’entendre les témoignages des survivants et
d’entendre toute l’horreur vécue par ceux-ci, la violence inhumaine qui régna
sur l’esquif abandonné aux tempêtes, à la faim, au désespoir. Sur les traces du
peintre, ils ont été frappés par ce qu’ils découvraient de la personnalité et
la démarche de Géricault, mais aussi sur un épisode de sa vie privée qui le
bouleversa pendant la réalisation de son chef d’œuvre.
Jean-Sébastien Bordas évoque ainsi le tableau et le peintre :
" Le Radeau de La Méduse est une toile à message
de laquelle on peut tirer un fil narratif, dans une
lecture de gauche à droite, en trois mouvements, avec la tempête,
l’allégorie du cannibalisme au centre, et le sauvetage
ensuite. C’est toute une bande dessinée dans une image. Si
Géricault m’a très peu inspiré au niveau pictural, je retiens
l’artiste qui tombe amoureux de son sujet, ses élans passionnés,
son expressivité, et son caractère aussi transgressif en art que
dans sa vie intime."
Entrelaçant les deux récits, celui du naufrage de La Méduse et celui du peintre à l’œuvre, Deveney et Bordas nous donnent à
lire et à voir une œuvre magistrale tant par la force de la narration, que par
l’intensité dramatique de la représentation qu’ils nous donnent à ressentir.
On sort de cette lecture hanté par la tragédie
et ce qu’elle dévoile de la nature humaine, des conflits entre les classes
sociales, des lâchetés et des terreurs, de l’égoïsme et de la violence de
l’homme confronté aux situations extrêmes. On découvre la puissance de l’art
pour transcender par la vision quasi hallucinée qu’il en donne, la détresse de
l’humanité toute entière.
En lisant ce roman graphique aujourd’hui, alors
que l’humanité traverse la pire pandémie de son histoire, on se rend compte de
la force de ce récit tel qu’il nous est raconté : il devient métaphore des
constats qu’elle nous inspire, comme l’absence de solidarité sociale, l’abandon
des plus faibles, l’irresponsabilité des dirigeants incompétents (le capitaine
de La Méduse n’avait plus navigué depuis un quart de siècle !), le manque
de conscience morale collective…
Nous avons lu le livre au moment où se
déroulaient les funérailles de George Floyd à Minnéapolis. Le racisme, une des
effroyables réalités dont témoigne aussi le naufrage de La Méduse.
Formulons un vœu au terme de cet
article : que la pandémie, les fermetures des librairies, la crise
économique qui frappe si violemment,
n’empêchent pas les lecteurs d’avoir accès à ce grand livre, qui, comme
toutes les œuvres inspirées et sincères, touche à l’universelle et tragique
condition humaine et nous aide à l’appréhender en toute lucidité.
Jean Jauniaux, le 9 juin 2020
Le récit croisé d’un naufrage et d’un chef
d’œuvre de la peinture romantique
1816, les royalistes viennent de chasser du
pouvoir les héritiers de la révolution et de l’Empire. Le commandement de La
Méduse est confié à un noble qui n’a pas navigué depuis 25 ans. Incompétence,
suffisance, indiscipline se conjuguent pour conduire le navire tout neuf à sa
perte. Le 2 juillet, la frégate s’échoue sur un haut fond aux larges du
Sénégal. Les canots étant en nombre insuffisants, 170 passagers prennent place
sur un radeau de fortune abandonné à la dérive. Lorsqu’il est retrouvé deux
semaines plus tard, il ne reste plus que 17 survivants !
La révélation dans la presse du naufrage et
des horreurs commises sur le radeau va frapper l’opinion publique. Géricault
s’empare du sujet et y voit l’occasion de faire exploser les carcans classiques
de la peinture. Toutefois, la réalisation du tableau se révélera dantesque et
manquera d’engloutir l’artiste corps et âme.