Le label discographique allemand Orfeo Classic Schallplatten und Musikfilm
GmbH, fondé à Munich en 1979 et diffusé dès l’année suivante, célèbre en cette
année 2020 ses quarante ans. Un événement pour une production dont le catalogue
est riche d’enregistrements de tout premier plan. D’abord spécialisé dans la
musique vocale et des raretés provenant du Festival de Salzbourg, du Festival
de Bayreuth, des Opéras de Munich et de Vienne et de quelques autres maisons importantes,
Orfeo s’est ensuite lancé dans les enregistrements historiques, puis dans la
découverte de jeunes talents. De nombreux CD ont été salués par la critique
internationale et ont été récompensés. A l’occasion de cet anniversaire, le
label propose un formidable coffret de dix CD, auquel on a attribué à juste
titre l’intitulé « Legendary Conductors » (C200011). On y retrouve
des références célèbres de l’histoire du disque, comme la Symphonie n° 4
de Beethoven, dirigée par Carlos Kleiber à la tête du Bayerisches Staatsorchester,
une gravure en public du 3 mai 1982, au sujet de laquelle le Dictionnaire
des disques et des compacts (Paris, Laffont/Bouquins, 1991, p. 99) écrit :
« L’orchestre, chauffé à blanc, soutient de bout en bout la tension
folle que Kleiber imprime au texte. Poésie et virtuosité se conjuguent dans une
vision glorieuse. » Un autre dictionnaire, Les indispensables du
disque compact classique (Paris, Fayard, 1993, p. 116), ira même
plus loin dans son appréciation : « L’écho de ce concert public
révèle une interprétation survoltée, d’une souplesse rythmique et d’une
puissance de traits inimaginable. De loin, la plus grande 4e de
Beethoven reportée sur disque. ». Ce seul CD, couplé avec une Symphonie
n° 5 de Prokofiev, menée tambour battant (l’Allegro marcato est
foudroyant) et dans une dynamique mordante par Dimitri Mitropoulos, à la tête
des Bayerischen Rundfunks en juillet 1954, justifierait l’achat de ce
coffret-souvenir, qui est proposé, précisons-le, à prix doux.
Autre référence, la Symphonie n° 4 de Bruckner par le Philharmonique
de Vienne sous la direction de Wilhelm Furtwängler le 29 octobre 1951, qui
« illustre la dernière manière du chef, plus recueillie et moins
cataclysmique que pendant la guerre. Mais celui-ci habite toujours autant cette
musique, avec l’ampleur, le souffle et le lyrisme qui lui sont habituels,
notamment dans l’Adagio, sombre de propos, malgré les timbres de Vienne. »
(Laffont/Bouquins, o. c., p. 253). Ici aussi, cela justifierait l’acquisition,
comme la Symphonie n° 9 de Beethoven, menée par Karajan à la tête des chœurs
du Singverein et du Symphonique de Vienne, le 25 juin 1955, moins souvent citée
que les versions avec Berlin. Avec un plateau vocal de qualité : l’inoubliable Lisa
Della Casa, Hilde Rössl-Majdan, Waldemar Kmentt et Otto Edelmann. Ou comme la Sixième
de Tchaïkowski, la Pathétique, dont Ferenc Fricsay donne une lecture
poignante (l’Allegro molto vivace est du vif argent) en public le 24
novembre 1960, avec les Bayerischen Rundfunks (ce chef hongrois allait mourir
au début de 1963, âgé de quarante-huit ans). Chaque CD de ce coffret est
précieux : Wolfgang Sawallisch, avec le Bayerisches Staatsorchester,
propose une Cinquième de Bruckner du début des années 1990, à
l’architecture noble et exemplaire ; Hans Knappertsbusch et les Wiener
Philharmoniker, en public, dramatisent l’Héroïque (1962) et soulignent
toute la densité de Coriolan (1954) de Beethoven ; Otto Klemperer
est en démonstration, avec les Wiener Symphoniker, dans une large Troisième de
Brahms et une Septième de Beethoven, un peu lourde, du 8 mars 1956, en
live. On redécouvre Sergiu Celibidache en 1952, avec la même phalange, dans d’énigmatiques
Préludes de Liszt, très engagés, avant une somptueuse Première de
Brahms, ou encore Sir John Barbirolli, dans un concert public du 10 avril 1970
au cours duquel, avec les Bayerischen Rundfunks (quel orchestre !), il
livre une poétique Deuxième de Brahms et une symphonie d’un des
compositeurs qu’il a servi avec une fidélité exemplaire : Ralph Vaughan
Williams, dans son échevelée Sixième. Barbirolli en traduit l’audace et
la violence dans ce qui pourrait bien être, malgré la version de Sir Adrian Boult,
la gravure de référence, la morbidité de l’Epilogue/Moderato prenant ici
toute sa dimension tragique.
Une cerise sur le gâteau ouvre ce coffret tout à fait indispensable :
Karl Böhm, avec le même Bayerischen Rundfunks, en public encore, le 29 septembre
1973. Dans la Deuxième de Schubert, la fluidité du discours, la vitalité
et la lumière sont présentes. Vient alors Une Vie de héros de Richard
Strauss, dont on connaît la version fameuse de juin 1976, signée par Böhm avec
le Philharmonique de Vienne. Ici, le chef se livre à une autre fabuleuse
démonstration orchestrale, d’une grandeur à la dimension de son sujet,
inspirée, magnifiée, épique sans exaltation, grandiose sans grandiloquence. Ici
encore, naît la nécessité d’acquérir pour cette seule leçon de direction
l’achat d’un coffret à marquer d’une pierre blanche et qui rend honneur aux
quarante ans d’un label dont on attend encore monts et merveilles. On ne peut
passer sous silence le soin apporté à la réalisation technique globale, y
compris pour les moments des années 1950, dont la restitution sonore est à
saluer.
Pour information, le label propose dans le même temps un album de deux CD
intitulé « 40 Ultimate Recordings » (C200032), qui ne contient que de
courts extraits de partitions diverses. Le premier est réservé aux solistes et
aux chefs d’orchestre. Parmi ces derniers, on retrouve Böhm, Furtwängler,
Carlos Kleiber, Klemperer et Sawallisch, parfois dans une autre œuvre que dans
le coffret de dix CD, mais aussi Albrecht, Neeme Järvi, Kubelik, Nelssons ou
Neumann. Du côté des solistes, Maisenberg, Oppitz, Serkin pour le piano, Baiba
Skride, Sitkovetsky ou Arabella Steinbacher pour le violon, Pergamentchikow ou
Müller-Schott pour le violoncelle, et quelques autres, bénéficient d’une plage
d’un de leurs enregistrements. Sur le deuxième CD, consacré aux voix célèbres,
on retrouve, dans des airs d’opéras, Agnes Baltsa, Grace Bumbry, Dietrich
Fischer-Dieskau, Edita Gruberova, Jessye Norman, Lucia Popp, Julia Varady et
d’autres chanteurs ou cantatrices notoires. De quoi prendre conscience de la
richesse de ce catalogue Orfeo, dont l’ampleur et la qualité sont
indiscutables.
Jean Lacroix