Même si le programme de manifestations publiques qui devaient honorer
la commémoration des 250 ans de la naissance de Beethoven est plus que perturbé
par la pandémie qui a paralysé les salles de concerts, l’industrie du disque
n’a pas cessé de son côté la diffusion de nouvelles éditions, mais aussi
d’alimenter la connaissance de grands interprètes du passé dans ce répertoire
intemporel. Dans ce contexte particulier, le label SWR propose un coffret de
sept CD (SWR19089), à prix doux, qui rassemble les symphonies, à l’exception de
la 4e et de la 9e, mais aussi des ouvertures et des concertos. Le fil rouge,
c’est le chef d’orchestre Hans Rosbaud, né à Graz en 1895 et décédé à Lugano en
1962. Nommé en 1948 à la tête du Südwestfunk-Orchester de Baden-Baden, il a mené
cette formation vers les plus hauts sommets. Dans une série en cours, dont
chaque coffret est passionnant et qui contient déjà plus de quarante CD, le
label SWR nous rend les versions de Rosbaud de partitions de Brahms, Bruckner,
Haydn, Mozart, Schumann, Wagner, Chopin…, toutes marquées du sceau de
l’excellence. Rosbaud étudie à Francfort et à Mayence, avant de devenir chef à
la Radio de Francfort, à Münster, à Strasbourg puis à Munich. Défenseur de la
musique contemporaine à laquelle il accorde une belle place dans ses concerts,
il crée maintes partitions de Berio, Boulez, Henze, Honegger, Jolivet,
Messiaen, Stockhausen ou Xenakis. Il se fait connaître internationalement et de
façon éclatante au milieu des années 1950, en dirigeant des opéras de Mozart au
Festival d’Aix-en-Provence, des références toujours actuelles !
Vers le CD |
Les œuvres que contient le présent coffret Beethoven ont été
enregistrées entre 1953 et 1962, toutes avec sa phalange de Baden-Baden, sauf
les deux premières symphonies, gravées avec l’Orchestre de la Radio de Cologne.
Rosbaud s’inscrit dans une tradition de clarté et d’éloquence qui ne se dément
jamais et qui donne à chacune de ses interprétations son poids de grandeur et
de vitalité. Le développement, l’architecture, l’homogénéité, la maîtrise des
contrastes sonores ne sont jamais pris en défaut. Son Héroïque est épique, sa
Cinquième va droit au but, dans un élan sévère et rigoureux, la Sixième est
lyrique sans minauderie, la Septième dansante à souhait. Pour la Huitième, le
choix s’est porté sur deux versions, l’une de 1956, aux couleurs savoureuses et
à l’élan irrésistible, l’autre de 1961, plus lente, mais virtuose. Les
musiciens de Baden-Baden sont souvent subjugués par la concentration dramatique
qui soulève le discours. Avec Cologne, les Symphonies 1 et 2 ont moins de
souplesse, elles sont un peu en retrait. Un CD d’ouvertures complète ce
panorama : Egmont, Coriolan, Fidelio, Le Roi Stéphane et surtout une Léonore
III de feu sont un régal. Trois concertos pour couronner le tout : pour violon,
témoignage bien connu, avec une Ginette Neveu souveraine, l’Empereur avec un
Geza Anda très noble au piano et surtout, un Triple Concerto comme on l’entend
rarement, servi par le Trio de Trieste en état de grâce, dans un véritable
esprit chambriste, qui fait souvent défaut chez maints interprètes de cette
partition, qui demande une écoute mutuelle et respectueuse des partenaires. Ce
coffret Rosbaud, pour lequel un travail de restauration soigné a été entrepris
par les techniciens du son, malgré l’une ou l’autre saturation, est intéressant
: il permet de se souvenir qu’en ces années 1960, bénies pour la direction
d’orchestre, Beethoven a été très bien servi. Rosbaud est à classer dans la
grande tradition allemande, non loin de Klemperer ou de Knappertsbusch. Un
moment heureux dans le contexte du répertoire discographique.
Vers le CD |
Autre réédition Beethoven, moins réussie : pourquoi avoir repris cette
intégrale des concertos pour piano par Olli Mustonen, qui dirige du clavier le
Tapiola Sinfonietta (un album de trois CD Ondine ODE 1359-2T, également à prix
doux) ? Certes, les prises de son, effectuées entre 2006 et 2009, sont de
grande qualité. Mais la conception du Finlandais Mustonen, né à Helsinki en
1967, laisse perplexe. Ce brillant virtuose s’est beaucoup consacré, comme
Rosbaud en son temps, à la musique du XXe siècle, nourri sans doute par le
travail accompli pendant une dizaine d’années avec le formidable compositeur
que fut Einojuhani Rautavaara (1928-2016). Ce qui ne l’a pas empêché de
pratiquer la musique de chambre ni de prendre la tête d’orchestres pour diriger
ses propres créations. Ou d’enregistrer très bien Respighi, Scriabine ou
Prokofiev. En 2003, on le retrouve à la tête du Tapiola Sinfonietta, où il
succède à Osmo Vänskä et à Jean-Jacques Kantorow. C’est avec cette formation
d’une quarantaine d’instrumentistes qu’il enregistre la présente intégrale. Il
faut reconnaître que l’accueil de la critique a été mitigé au fil des
publications des cinq concertos. On a ciblé un travail peu complice avec
l’orchestre, trop chargé, une manifeste absence de légèreté, et surtout un soin
plus accordé par le pianiste à l’ampleur des mouvements rapides, traitant un
peu par-dessus la jambe le lyrisme des Largo, Adagio et autres Andante.
D’autres ont poussé la sévérité en parlant d’un ensemble « hors sujet ». La
réédition du coffret confirme que ces avis étaient justifiés. Mustonen aime
détailler le phrasé et se lancer dans des tempi surprenants. Veut-il inventer
un autre Beethoven ? Il accorde de fait plus d’attention au jeu pianistique
(les accords sans cesse appuyés) qu’au support orchestral qui apparaît
désordonné. On y ajoutera peut-être aussi une dose de narcissisme, de
l’agressivité et des ruptures de ton qui désorientent. Face à la concurrence
nombreuse et de qualité, on ne peut que se montrer réticent. Pour ne citer que
lui, l’Empereur est dénué de toute dimension du temps musical. La transcription
par Beethoven lui-même du Concerto pour violon est aussi décevante : Mustonen
entraîne son monde dans un univers scandé, dont toute poésie est exclue au
profit de l’avancée. On l’aura compris : voilà une intégrale à prendre avec des
pincettes et dont la réédition est discutable. Cet album est avant tout le
reflet de la personnalité de Mustonen, qui aime surprendre et dont
l’originalité ne peut guère être comparée à d’autres interprètes de notre
temps.
Jean Lacroix