En hommage : Jacques De Decker répondait aux questions de Jean
Jauniaux à l’occasion de la ré-édition de son roman
La ré-édition de ce livre paru initialement en 1996 lui restitue à la
fois son identité et sa fonction romanesques.
Inspiré par l’assassinat d’André Cools, qui avait bouleversé la société
et la vie politique belges en 1991, ce livre avait été perçu à l’époque comme
un roman à clés, un récit de circonstance.
Le relire aujourd’hui permet de vérifier qu’il n’en était rien. Le
roman se déploie dans sa vraie dimension littéraire : les personnages
deviennent des archétypes, les lieux n’ont plus de géographie identifiée (à
aucun moment la "Belgique" n’est mentionnée), les enjeux sociaux et
psychologiques deviennent de véritables destins humains, dans toute leur
complexité, l’écriture déclenche l’émotion onirique et esthétique.
Le lecteur d’aujourd’hui se retrouve confronté à des thématiques
universelles, celles que seule la littérature peut prendre à bras le corps, et
qui nous aide à lire le monde dans lequel nous sommes aussi bien que l’Histoire
que nous avons traversé. L’utopie fracassée de l’engagement politique du
socialiste Arille Cousin, l’illusion de l’ambition carriériste qui détruit la
vraie vocation - être écrivain - de Renaud Dewaele, l’omniprésence de la mort
dans la vie, comme des ténèbres dans la lumière...sont autant de thèmes que
"Le ventre de la baleine" éveille chez le lecteur.
La littérature, comme un couteau qui éviscère la vérité des êtres et la
réalité du monde ?
Nous avons rencontré Jacques De Decker et lui avons demandé ce que lui
inspire cette nouvelle édition de son roman.
Jean Jauniaux, Bruxelles
le 19 mars 2015
"Liège, juillet 1991, un ministre d’État gît à côté de sa voiture,
abattu par deux tueurs à gages. Mais qui a vraiment tué ce grand leader
politique ?
Le Ventre de la baleine raconte une histoire que chacun croit connaître
depuis l’assassinat d’André Cools, celle d’Arille Cousin, son double
romanesque. Il y a les questions du monde judiciaire et des médias, mais aussi
les vérités des hommes et des femmes qui ont côtoyé et aimé la victime. Ou qui
l’ont trahie…
Le romancier n’aborde forcément pas la réalité comme le ferait le
journaliste, le politologue ou l’historien. Une génération après les faits, ce
roman à clés, riche de regards multiples, propose au lecteur contemporain le
portrait d’une Wallonie du siècle passé, pas si lointaine que ça. "
Extrait de La Faculté des Lettres, une monographie consacrée à l'oeuvre romanesque de Jacques De Decker:
"Même s’il est le plus daté dans l’Histoire politique de la
Belgique et dans l’histoire privée de l’écrivain, « Le ventre de la baleine »
est le plus intemporel des romans de Jacques De Decker. Il s’inspire d’un fait
divers tragique dont une première lecture du roman donne l’impression d’un
ouvrage « à clés » : les personnages centraux de la fiction ressemble à
leurs originaux de façon explicite, à la façon des croquis réalisés par
les dessinateurs, seuls admis, lors de procès d’assises.
La Belgique des années 90 s’est réveillée le 18 juillet 1991 en
apprenant l’assassinat sauvage d’un Ministre d’Etat, une figure historique de
la vie politique belge, président du parti socialiste : André Cools,
surnommé « Le maître de Flémalle ». Cette nouvelle propagea ses ondes de
choc dans toutes les strates de la société, non seulement à cause de la
fonction éminente de la victime, mais aussi parce que la sauvagerie de cet
assassinat donnait à celui-ci toutes les apparences d’une exécution maffieuse
: André Cools, qui s’apprêtait à monter dans sa voiture sur le parking de
l’immeuble qu’il habitait a été abattu à bout portant par des hommes placés
en embuscade. Sa compagne a été blessée dans la fusillade. Dans le roman,
André Cools est devenu Arille Cousin, sa compagne, Thérèse. Dans l’entourage
d’André Cools, une figure marquante accompagne le « baron » dans la vie
politique : Alain van der Biest, intellectuel et écrivain, il est le « dauphin
» de Cools. Dans le roman il s’appelle Renaud Dewael. Ce ne sont ici que des
échantillons, les plus évidents et les plus importants, des clés qui
permettent une première lecture du roman : un bouleversement cataclysmique de
la vie politique inspire au romancier une tentative de « lire » ce qui s’est
passé en l’écrivant." (Jean Jauniaux, 2010)