samedi 16 mai 2020

Jacques De Decker à propos de son roman "Le ventre de la baleine" (Editions Weyrich, 2015)

En hommage : Jacques De Decker répondait aux questions de Jean Jauniaux à l’occasion de la ré-édition de son roman 



La ré-édition de ce livre paru initialement en 1996 lui restitue à la fois son identité et sa fonction romanesques.
Inspiré par l’assassinat d’André Cools, qui avait bouleversé la société et la vie politique belges en 1991, ce livre avait été perçu à l’époque comme un roman à clés, un récit de circonstance.
Le relire aujourd’hui permet de vérifier qu’il n’en était rien. Le roman se déploie dans sa vraie dimension littéraire : les personnages deviennent des archétypes, les lieux n’ont plus de géographie identifiée (à aucun moment la "Belgique" n’est mentionnée), les enjeux sociaux et psychologiques deviennent de véritables destins humains, dans toute leur complexité, l’écriture déclenche l’émotion onirique et esthétique.
Le lecteur d’aujourd’hui se retrouve confronté à des thématiques universelles, celles que seule la littérature peut prendre à bras le corps, et qui nous aide à lire le monde dans lequel nous sommes aussi bien que l’Histoire que nous avons traversé. L’utopie fracassée de l’engagement politique du socialiste Arille Cousin, l’illusion de l’ambition carriériste qui détruit la vraie vocation - être écrivain - de Renaud Dewaele, l’omniprésence de la mort dans la vie, comme des ténèbres dans la lumière...sont autant de thèmes que "Le ventre de la baleine" éveille chez le lecteur.
La littérature, comme un couteau qui éviscère la vérité des êtres et la réalité du monde ?
Nous avons rencontré Jacques De Decker et lui avons demandé ce que lui inspire cette nouvelle édition de son roman.
Jean Jauniaux, Bruxelles le 19 mars 2015


"Liège, juillet 1991, un ministre d’État gît à côté de sa voiture, abattu par deux tueurs à gages. Mais qui a vraiment tué ce grand leader politique ?
Le Ventre de la baleine raconte une histoire que chacun croit connaître depuis l’assassinat d’André Cools, celle d’Arille Cousin, son double romanesque. Il y a les questions du monde judiciaire et des médias, mais aussi les vérités des hommes et des femmes qui ont côtoyé et aimé la victime. Ou qui l’ont trahie…
Le romancier n’aborde forcément pas la réalité comme le ferait le journaliste, le politologue ou l’historien. Une génération après les faits, ce roman à clés, riche de regards multiples, propose au lecteur contemporain le portrait d’une Wallonie du siècle passé, pas si lointaine que ça. "

Extrait de La Faculté des Lettres, une monographie consacrée à l'oeuvre romanesque de Jacques De Decker:

"Même s’il est le plus daté dans l’Histoire politique de la Belgique et dans l’histoire privée de l’écrivain, « Le ventre de la baleine » est le plus intemporel des romans de Jacques De Decker. Il s’inspire d’un fait divers tragique dont une première lecture du roman donne l’impression d’un ouvrage « à clés » : les personnages centraux de la fiction ressemble à leurs originaux de façon explicite, à la façon des croquis réalisés par les dessinateurs, seuls admis, lors de procès d’assises.
La Belgique des années 90 s’est réveillée le 18 juillet 1991 en apprenant l’assassinat sauvage d’un Ministre d’Etat, une figure historique de la vie politique belge, président du parti socialiste : André Cools, surnommé « Le maître de Flémalle ». Cette nouvelle propagea ses ondes de choc dans toutes les strates de la société, non seulement à cause de la fonction éminente de la victime, mais aussi parce que la sauvagerie de cet assassinat donnait à celui-ci toutes les apparences d’une exécution maffieuse : André Cools, qui s’apprêtait à monter dans sa voiture sur le parking de l’immeuble qu’il habitait a été abattu à bout portant par des hommes placés en embuscade. Sa compagne a été blessée dans la fusillade. Dans le roman, André Cools est devenu Arille Cousin, sa compagne, Thérèse. Dans l’entourage d’André Cools, une figure marquante accompagne le « baron » dans la vie politique : Alain van der Biest, intellectuel et écrivain, il est le « dauphin » de Cools. Dans le roman il s’appelle Renaud Dewael. Ce ne sont ici que des échantillons, les plus évidents et les plus importants, des clés qui permettent une première lecture du roman : un bouleversement cataclysmique de la vie politique inspire au romancier une tentative de « lire » ce qui s’est passé en l’écrivant." (Jean Jauniaux, 2010)