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La Lituanie peut s’enorgueillir
de compter parmi ses gloires nationales Mikalojus Konstantinas Ciurlionis
(1875-1911), qui s’est révélé un artiste de premier plan dans le domaine de la
musique, mais aussi de la peinture. Né dans le sud du pays, Ciurlionis étudie
la composition au Conservatoire de Varsovie, puis à Leipzig avec Carl Reinecke,
célèbre pédagogue qui eut le soutien de Mendelssohn, connut Schumann et compta
parmi ses élèves Grieg, Albeniz, Stanford, Max Bruch ou Janacek. Mais la
peinture attire aussi le jeune artiste : Ciurlionis s’inscrit à l’Ecole des
Beaux-Arts de Varsovie en 1904 et s’y consacre de plus en plus. De retour à
Vilnius en 1907, il œuvre dans les deux domaines : il dirige un chœur, compose
(orgue, piano, orchestre en nombre limité, musique de chambre et pièces pour la
voix) et s’impose peu à peu comme un défenseur de l’identité nationale. Mais
isolé, accablé par les difficultés matérielles et de santé fragile, il décède
en Pologne en 1911, des suites d’une pneumonie. Il n’a qu’un peu plus de
trente-cinq ans. Dans le domaine pictural, il laisse environ 300 tableaux,
souvent d’inspiration musicale, dans la mouvance symboliste et de l’Art Nouveau
; il est considéré de nos jours comme l’un des précurseurs de la modernité.
Enfin reconnu dans son pays natal, le Musée National de Kaunas porte
aujourd’hui son nom et détient un grand nombre de ses toiles, en partage avec
le Musée de Vilnius. Le Musée d’Orsay lui a consacré une exposition au début de
notre siècle.
Il existe un certain nombre
d’enregistrements de ses compositions musicales, dont Messiaen avait un jour
vanté les qualités, notamment chez Naxos et chez Ondine. Ce dernier label (ODE
1344-2) rend justice à ses partitions orchestrales et en propose trois d’entre
elles, dont les fastueux poèmes symphoniques Dans la Forêt (1900-1901) et La
Mer (1903-1907), que l’on peut considérer comme des œuvres picturales mises en
musique, tant leur côté descriptif est en adéquation avec le sujet traité.
Elles sont présentées ici dans leur version originale. A l’audition, on
découvre une vaste ampleur instrumentale et une orchestration raffinée, à
dominante romantique, qui présente des analogies avec Richard Strauss, dans un
climat souvent poétique et bucolique très séduisant. L’expressivité est de
rigueur. Le poème symphonique La Mer est quasi contemporain de la partition de
Debussy, qui date de 1905. Mais chez Ciurlionis, cette vaste page de plus de
trente minutes, très évocatrice, fait appel à un orgue, à la manière d’Also
sprach Zarathustra de Richard Strauss, créé en 1896, et que le compositeur
lituanien put entendre à Varsovie sous la direction de Strauss lui-même. On
pense parfois aussi à Sibelius pour les grandes envolées qui font passer
l’auditeur des éléments déchaînés à la poésie des vagues apaisées. En
complément, la subtile ouverture Kestutis de 1902, ici en première mondiale
discographique, a fait l’objet d’une révision orchestrale et a été jouée pour
la première fois en l’an 2000. Un CD à découvrir afin de mieux appréhender
l’apport d’un artiste au double talent, d’autant plus que l’Orchestre
Symphonique National de Lituanie est conduit de main de maître par son
directeur musical en fonction, Modestas Pitrenas.
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De la Lituanie, on passe à la
Lettonie avec le compositeur Peteris Vasks, né en 1946, qui a étudié la
contrebasse et a été musicien d’orchestre, tout en se lançant dans l’écriture
de partitions. Après une phase que l’on peut qualifier de tendance
avant-gardiste, Vasks est revenu à la tonalité, en mettant l’accent sur les
aspects de transparence, mais en utilisant de forts contrastes qui
correspondent à sa conception d’un monde à la fois violent mais aussi capable
de spiritualité. Dans son œuvre, les oiseaux et la nature sont des références
de premier ordre. La qualité essentielle de cette musique inspirée est sa
capacité d’envoûtement, comme un récent Concerto pour alto et orchestre à
cordes de 2014-2015 vient encore de le démontrer (BIS-2443). Cette partition
fascinante est dédiée à l’altiste ukraino-britannique Maxim Rysanov, qui en est
l’interprète en soliste et à la tête de la Sinfonietta Riga, en couplage avec
la Symphonie pour cordes « Voix » qui a été créée en 1991. Le début de
l’écriture de cette œuvre emblématique correspond au moment où les citoyens des
pays baltes se révoltaient contre les chars soviétiques. Ici, la texture des
cordes, proche de l’univers d’Arvo Pärt, évoque tour à tour, au fil des trois
mouvements, le silence, la vie et la conscience, à travers des évocations
nerveuses ou lumineuses de la nature, au cœur de mélodies graves ou
jaillissantes, qui prennent souvent l’auditeur à la gorge, tant la charge
émotionnelle est intense, voire insupportable. Dans le Concerto pour alto, la
passion est sans cesse présente à travers les accents mélancoliques de
l’instrument qui exprime avec ardeur, chant exalté ou exubérance, cet accès à
la lumière que préconise le compositeur. Ces deux partitions, et plus encore
les « Voix », sont très éprouvantes sur le plan sensible ; elles s’adressent au
plus profond de l’intimité de l’auditeur, dans un espace-temps en
suspension. L’interprétation est
superlative.
ll est possible d’aller plus loin
dans la découverte de ce compositeur de premier plan avec un autre CD BIS-2352,
qui comprend notamment le Concerto pour violon et cordes « Lumière au loin » de
1996-97, dédié à Gidon Kremer, joué par Vadim Gluzman avec l’Orchestre
Symphonique de la Radio finlandaise dirigé par Hannu Lintu. C’est une
expérience quasi métaphysique à affronter, qui apporte la preuve que la musique
est là pour nous atteindre au plus profond de nous-mêmes. Les compositeurs des
pays baltes sont eux aussi des porteurs de messages transcendants !
Jean Lacroix