C'est dans le numéro 275, paru à l'été 2010, que nous avons déniché un court texte de Julos Beaucarne.
Faut-il encore présenter le poète d'Ecaussinnes dont la voix mériterait d'être ré-écoutée en ces jours où la limpidité du coeur et la générosité de l'esprit sont plus nécessaires que jamais.
Il se présentait à sa manière en 2010:
" Je m’appelle Julos. Toute ressemblance avec des personnes ayant déjà vécu est purement fortuite. Je vis en compagnie de six milliards et demi de femmes et d’hommes. J’espère que je n’ai oublié personne.À bord du vaisseau spatial « Terre », j’habite de temps en temps au 2 rue des Brasseries à 1320 Tourinnes-la-Grosse, longitude 4°44′ 54″, latitude 50° 46′ 45″, en Brabant Wallonie Belgique. Les rayons du Soleil, quand il y en a, mettent huit minutes pour me parvenir. Vous savez tout sur moi maintenant."
Le texte Pour être dans le coup, écris un haïku que Julos nous offrit pour ce numéro, est suffisamment court pour que nous le publiions ici dans son intégralité, tout en vous invitant à aller vous aussi picorer dans ce numéro dont le titre générique est :" Déconstructions européennes". Parmi les autres récits, vous trouverez les textes de Philippe Jones, Colette Nys-Mazure, Alain Dartevelle, Dominique Costermans, Jehanne Sosson, Nadine Monfils, André-Marcel Adamek, Dimitri Dostkine...et d'autres encore
Dans son éditorial, Jacques De Decker évoque avec ferveur la capitale de l'Europe. Nous avons retenu ce fragment mais, bien entendu, le texte intégral mérite une relecture :
"Car l’une des bonnes idées — et il y en eut d’autres — à la base de l'édification (de l'UE) fut d’imaginer, sans décret ni ukase, d’installer son centre à Bruxelles, que l’histoire désignait de longue date pour ce rôle. Une ville d’où Charles Quint, sans satellite ni internet, estimait pouvoir gouverner un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais avait quelques atouts pour servir de point de ralliement aux membres du club européen, qui étaient six à l’origine et qui ne cesseraient de se multiplier depuis. Elle assuma ce rôle sans vanité aucune, et d’ailleurs s’accommoda longtemps d’un statut clandestin, se donnant le temps de s’imposer peu à peu comme une évidence, assurant autant l’intendance que l’art de vivre qui conditionne le succès.
Cela supposait que la ville, qui n’est pas cernée par une banlieue bétonnée, mais s’effrange délicatement dans les bocages et les forêts, puisse souplement se répandre dans ses abords. C’était compter sans le carcan que les Flamands entendaient lui imposer, au nom d’une pureté ethnique aux relents les plus délétères. Car il ne s’agit pas seulement, nous le savons maintenant, d’apprendre leur langue pour se faire accepter, mais de pouvoir faire état de liens consanguins avec la population élue… "
Jacques De Decker, été 2010.
A nouveau, l'actualité de ces fictions prouve l'intemporalité de l'imaginaire et son universalité.
Jean Jauniaux, le 31 mars 2020
Le texte de Julos Beaucarne:
Pour être dans l’coup, écris un haïku
Pour être dans le coup
Écris un haïku (prononcez haïkou)
L’Europe est à tes g’noux
C’est que j’en ai vu des volcans ! D’abord
dans le Petit Prince quand j’étions petit, ça ne fait pas un siècle mais
presque… quand même. De mémoire, jamais je ne vis un volcan aussi déchaîné que
celui-ci, tout d’abord, il avait un nom imprononçable… c’est un signe… J’ai vu
le Fuji Yama en Japonie, il était si tranquille qu’on se disait qu’on pouvait
l’apprivoiser, le caresser avec prudence car on nous avait dit à l’école que
les volcans, ça pouvait cracher comme les lamas à tout moment mais le Fuji Jama
n’avait aucune velléité, il ne crachait pas ses poumons de feu et d’acier. Mais
ce volcan terriblement islandais dont vous avez, je crois, entendu parler, à
moins que vous ne soyez totalement sourds, ce volcan se la pétait grave, il
crachait ses poumons de feu à longueur de jour et de nuit, il crachait et il
était ravi, il faut savoir que si les crachats du volcan rentrent dans les
tuyères des avions à réaction, ils peuvent provoquer l’extinction de la
motorisation : l’arrêt des moteurs en quelque sorte, l’avion plane encore… pas de
panique mais ça ne peut pas continuer durer… Avez-vous déjà entendu parler du
volcan BHV : c’est un volcan qui crache et vocifère, un volcan sorti de chez nous,
de notre terre, notre « terra nostra », il a jailli comme un geyser, il a poussé dans ce plat pays qui est
le vôtre et le mien, si vous le voulez bien. Ceux qui se sont autoproclamés BHV
ont un caractère volcanique… Ils veulent tout et surtout tout de suite, dans
BHV, il y a « hache », ils insultent à la porte de l’ancienne Belgique. Il en est un appelé
« démineur » qui devait être un facilitateur, il avait des réserves et pouvait
tenir encore mais exténué et tenaillé par la peur, il passa la main au premier
ministre pour qu’il fasse élégamment un dernier tour de piste. Et là j’arrive
au terme de ce petit billet, si la Belgique ferme que va-t-il se passer ?… Qui va
prendre le relais ? Les grands magasins Carrefour peut-être ? À suivre…
Dites, que se passerait-il si les oiseaux qui
chantent en français et en wallon traversaient à tire-d’aile la frontière
linguistique et faisaient leurs nids sur des arbres de Flandre comme l’ont fait
depuis longtemps les oiseaux qui venaient de Flandre et se posaient sur les
arbres wallons sans que personne n’y trouve à redire. La nature des oiseaux,
c’est de voler, de chanter et de faire leurs nids et d’avoir des petits. Dites ? Va-t-on
construire une grande muraille entre Flandre et Wallonie comme en Palestine ? Ce serait
beaucoup de bruit pour rien, beaucoup d’argent, avec cet argent dans un premier
temps, on pourrait payer des traductrices et des traducteurs, des médiateurs et
tout se passerait merveilleusement et la Belgique serait alors le vrai
laboratoire de l’Europe et qui sait même du monde. Si la Belgique ne fait pas
ce grand pas, elle se met en péril et l’Europe en son entier avec elle…
Et si nous devenions enfin des adultes ? Ne
déconstruisons pas l’Europe.