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Pour cette sixième journée de (bonnes) nouvelles du confinement, nous avons choisi dans le numéro 231, « La coupe est pleine », un texte de Thilde Barboni.
Romancière, auteur de théâtre, traductrice et scénariste de bandes dessinées qui publia plusieurs nouvelles dans la revue: La crypte (Marginales 237), Où sont passés les points cardinaux ? (Marginales 242), La nuit de William (Marginales 256), Hiroshima 3045 (Marginales 259), Super Partes Kapitol I, II (Marginales 268). On doit notamment à Thilde Barboni les scenarii du roman graphique Rose d'Elisabethville dessiné par Séraphine et de la série Hibakusha, dont le dessinateur était le regretté Olvier Cinna.
Au sommaire de ce numéro daté de l'automne 1998, 18 auteur(e)s ont apporté une contribution originale, parmi lesquelles/lesquels: Françoise Houdart, Françoise Lison-Leroy, Liliane Wouters, Claire Lejeune...mais aussi Patrick Roegiers, Daniel Simon, Michel Torrekens.
L'éditorial de Jacques De Decker annonce les enjeux de ce numéro dédié à la coupe du monde de football de 1998... et admet : " (...) que le dernier Mondial du siècle est parvenu à passionner les plus irréductibles. Parce qu’il se déroulait en France, sans doute, cette France qui reste un grand dispensateur en valeur ajoutée, et qu’il a suivi un scénario qui, au surplus, a mené cette même France à la victoire. Les semaines de son déroulement ont été vécues avec une tension sans cesse croissante, jusqu’à se terminer sur ce prodigieux but marqué en 92e minute, d’autant plus beau qu’il était inutile, comme l’extraordinaire couronnement d’une vaste entreprise d’exaltation du réel, d’une gigantesque occultation du pire au profit de l’épopée programmée, diffusée comme aucun événement de l’histoire ne l’avait été jusque-là…
Extrait de l'éditorial (dont le texte complet se trouve ICI)
"Toute honte bue, Marginales aura dont sacrifié au Mondial. Et pourquoi la honte ? Parce qu’il est de bon ton, dans les milieux intellectuels, de mépriser le foot. Ce n’est qu’une idée reçue, que quelques grandes consciences de ce siècle, de Montherlant à Camus et de Handke à Montalbán, suffiraient à contester. Ils ont écrit sur le football, l’ont d’ailleurs aussi pratiqué, et s’ils le châtient quelquefois, c’est parce qu’ils l’aiment et détestent le voir dénaturer.
L'éditorial de Jacques De Decker annonce les enjeux de ce numéro dédié à la coupe du monde de football de 1998... et admet : " (...) que le dernier Mondial du siècle est parvenu à passionner les plus irréductibles. Parce qu’il se déroulait en France, sans doute, cette France qui reste un grand dispensateur en valeur ajoutée, et qu’il a suivi un scénario qui, au surplus, a mené cette même France à la victoire. Les semaines de son déroulement ont été vécues avec une tension sans cesse croissante, jusqu’à se terminer sur ce prodigieux but marqué en 92e minute, d’autant plus beau qu’il était inutile, comme l’extraordinaire couronnement d’une vaste entreprise d’exaltation du réel, d’une gigantesque occultation du pire au profit de l’épopée programmée, diffusée comme aucun événement de l’histoire ne l’avait été jusque-là…
En audience cumulée, le championnat de cette
année aura été suivi par plus de huit milliards de spectateurs. Rien que ce
chiffre justifiait déjà que l’on y revienne."
Aujourd'hui, aux premiers jours d'un confinement qui concerne l'humanité entière, combien semble prémonitoire la mise en évidence par l'éditorialiste de cette "gigantesque occultation du pire"...qui était encore à venir.
Jean Jauniaux, le 28 mars 2020.
Extrait de l'éditorial (dont le texte complet se trouve ICI)
"Toute honte bue, Marginales aura dont sacrifié au Mondial. Et pourquoi la honte ? Parce qu’il est de bon ton, dans les milieux intellectuels, de mépriser le foot. Ce n’est qu’une idée reçue, que quelques grandes consciences de ce siècle, de Montherlant à Camus et de Handke à Montalbán, suffiraient à contester. Ils ont écrit sur le football, l’ont d’ailleurs aussi pratiqué, et s’ils le châtient quelquefois, c’est parce qu’ils l’aiment et détestent le voir dénaturer.
Pourquoi la honte, devant une discipline qui
allie aussi subtilement la force et l’agilité, l’endurance et la vélocité, le
don de soi et l’esprit d’équipe, la rigueur du règlement et les innombrables
combinatoires possibles ? Pourquoi la honte devant un sport auquel les nations
du monde ont aussi massivement adhéré, faisant d’une des nombreuses innovations
britanniques en matière de « sport » – un mot anglais quoique de lointaine
racine latine – une réussite sans égale ?" Jacques De Decker
Extrait de la nouvelle de Thilde Barboni "La quête du Brool"
" Il brandit la coupe enfin restituée aux
Francs. Le mythe peut redevenir européen.
La bataille fut rude, longue et semée
d’embûches. Il n’a certes affronté aucune magicienne, n’a, à sa connaissance,
subi aucun sortilège. Cependant, la pression médiatique, surpassant tous les
dragons et les sorcières des temps obscurs, l’a épuisé dans cette course folle,
dans cet élan sous les lumières d’un stade trop ovale pour être rond.
Où est Arthur ? Où sont le Roi Pêcheur et
Galaad ? Il brandit la coupe, mais un vertige l’oblige à sourire tel un
automate détraqué. Se serait-il trompé d’histoire ? Il a combattu, s’est réuni
maintes fois en rond avec ses compagnons. Il a hurlé le cri de guerre, il a été
chaste, s’est efforcé de vaincre sa timidité légendaire. Il a même parlé au Roi
(mais était-ce le bon Roi ?), il a vaincu le mal, a cru s’élever vers Dieu
(toutes ces bannières, ces inscriptions sont-elles réellement adressées à Dieu
?). En tout cas, il a éprouvé un sentiment de communion, de fusion totale avec
l’univers tangible et intangible quand la clameur des Chrétiens l’a salué.
Pourquoi les larmes se mettent-elles à couler ? Pourquoi a-t-il soudain envie
de disparaître dans l’éther, emporté par le souffle d’un dragon
inexplicablement absent ?
Il brandit la coupe un peu moins haut. Un de
ses compagnons la lui dérobe pour l’exhiber à la foule. Il chancelle, recule
d’un pas et contemple le trophée. Il brille, il resplendit dans la lumière.
Est-ce le moment de poser la question sacrée ? Faut-il enfin tenter de percer
le secret ? Cette coupe dorée est-elle le talisman de l’autre monde, l’objet
magique, source d’éternité, auquel il a voué son existence ? (...)