La nouvelle, ce genre si méprisé par celles et
ceux qui souvent ne se sont pas adonnés à sa lecture, ferait-elle partie
bientôt de l'inventaire des préjugés auxquels nous aurons renoncé lors du
confinement? Quelle bonne nouvelle ce serait...!
Pour encourager ce mouvement, je vous propose
chaque jour de découvrir une nouvelle publiée dans la revue MARGINALES.
Celle-ci, fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, est depuis 1998 dirigée par
Jacques De Decker.
Chaque trimestre, Jean Jauniaux, (rédacteur en chef de la revue
et auteur de nouvelles lui-même), envoie une lettre d’invitation décrivant la
thématique imposée aux écrivains qui sont libres de traiter à leur façon, mais
sous forme de fictions courtes, le sujet « imposé ». Sont passés ainsi en revue
aussi bien les grands dossiers de géopolitique mondiale, européenne ou belge
que des questions culturelles ou de
société.
L’ensemble des numéros de MARGINALES est
accessible sur le site www.marginales.be . Le prochain numéro proposera à ses
lecteurs des nouvelles sous le titre générique: "de virus
illustribus" (syntaxe latine délibérément erronée).
Jean Jauniaux, Rédacteur en chefle 24 mars 2020
La nouvelle que nous vous proposons de (re)lire aujourd'hui est extraite du numéro 283 de la revue, paru à l'été 2012: "Papy doc, Papy Blues" de l'écrivain (qui est ussi éditeur et médecin...) Gérard Adam.
Lise Thiry, Bernard Dan, Yves Wellens, Corinne
Hoex faisaient parie des contributeurs à cette livraison dont la couverture
était, comme chaque fois, illustrée d'une vignette de Roland Breucker.
En guise d'introduction, nous vous proposons
de lire ci-dessous la conclusion de l'éditorial de Jacques De Decker, écrit le
21 juin 2012, à ce numéro 283.
La démonstration y est faite, une nouvelle
fois, de l'inépuisable capacité de prémonition des sensibilités que publie la
revue littéraire belge.
Extrait de l'éditorial de Jacques De Decker (21 juin 2012):
"(...) Reconnaissons que le corps médical est, à
l’instar du corps enseignant, investi de responsabilités humaines sans
précédent. On n’a jamais autant attendu des pédagogues d’être des éducateurs
qu’aujourd’hui, dès lors que les familles, atomisées et aliénées par les
médias, n’assument plus que rarement leurs responsabilités en la matière. Il en
va de même de l’assistance aux malades, confiée aux professionnels alors
qu’elle devrait prioritairement relever de l’attention de l’entourage.
On le voit : une fois encore, la dénonciation
d’une dérive sectorielle renvoie à un malaise plus largement répandu, qui
affecte la société tout entière. Et l’on en vient à renverser la proposition :
une civilisation qui a cessé de regarder la maladie et la mort en face
n’est-elle pas elle-même atteinte d’un trouble profond ? Et comment
pourrait-elle remédier à cette lacune abyssale ? N’est-ce pas ce que le grand
chambardement où nous sommes nous forcera nécessairement de faire ? Cela
donnerait quelque sens à la déréliction ambiante. Car ce qui est grave, même
très grave, n’est pas nécessairement fatal."
Jacques De Decker, été 2012
Premières lignes de la nouvelle "Papy Doc, Papy Blues" de Gérard Adam, écrivain, éditeur et ...médecin.
"Promis juré, fermons les écoutilles et en
plongée, cette journée serait d’écriture.
Et puis, entre muesli et tasse de thé,
l’idiote sonnerie du téléphone. Une de ces emmerdeuses à l’accent exotique,
sans doute ! Bonjoureû, Meûsieû Addammeû, j’ai un câdeau… ? Comment cette fois
m’insurger ? Glacial ? Excédé ? Ordurier ? En tout cas sans illusions : rien ne
les arrêterait, ni elle ni ses clones, dans l’invasion de mon précieux temps.
Mais la voix de ma fille. Angoissée. Mona
malade. Plus de quarante. Respire mal. Appeler pédiatre ? Et puis la crèche…
Bouge pas, j’arrive !
Et me voici à veiller ma petite-fille de onze
mois. Seul. Sa mère au boulot, rassurée de me savoir au chevet de son trésor.
Moi pas rassuré du tout. La petite halète et
geint. Elle a refusé son bibi. Pas plus de succès avec l’eau. Ne faudrait-il
pas l’hospitaliser ? Mais en ce début d’hiver, des milliers de petits Belges
respirent aussi mal, que les hôpitaux ne peuvent pas tous accueillir. Un toubib
ordinaire, après son passage, laisse les parents dans leur désarroi, quand,
papy doc ne pratiquant plus depuis des années, j’en ai chargé mes épaules. Je
me vois en saint Christophe pas trop sûr de garder pied au milieu de la
rivière."