Pour cette cinquième journée de chronique de
confinement, nous avons choisi dans le numéro 243, « A l’est
toutes ! », une nouvelle de l’écrivain Dimitri Dostkine, qui ne
publia qu’une seule fois dans la revue. Il proposa un texte qu’il attribue à l’un de ses
lointains descendants qui jouera un rôle majeur dans l’élargissement de l’Union
européenne à la …Russie. Cette fiction deviendra-t-elle réalité un jour ?
Dostkine imaginait (en 2001) qu’elle se produirait en mai 2020…Son descendant racontera l'histoire 100 ans plus tard...
La nouvelle, L'histoire vraie de la dernière adhésion à l'U.E. , débute par une lettre (datée de 2101) adressée à "Madame Wilquin", arrière-arrière petite fille de l'éditrice de la revue. Le lecteur découvrira comment, lors d'un sommet décisif au Berlaymont, les manoeuvres d'un interprète indélicat permirent l'adhésion de la Russie. Cet interprète provenait d'une longue lignée de traducteurs qui avaient élevé les traductions erronées au rang d'instrument idéal de pacification des politiques, aussi antagonistes fussent-elles. Ainsi trouve-t-on, par exemple, un Dostkine dans le bureau ovale occupé par Kennedy à l'époque de la fameuse crise des missiles qui l'opposa à Kroutchev...
Jean Jauniaux
27 mars 2020
" Lettre à Madame Wilquin
Datée de Région Euro-Bruxelles, le 14 août
2101
Chère Madame,
Ayant appris que vous consacriez le prochain
numéro de « Marginales » au processus d’élargissement de l’Europe, je me
permets de soumettre à votre comité de lecture le récit « Histoire vraie »,
consacré à un épisode méconnu de la construction de l’Union Européenne.
Cette histoire appartient à notre tradition
familiale. Mon parent Alexander Dostkine y a joué un rôle décisif mais
inattendu.
À titre d’anecdote, et sans que cela influe
sur votre décision de publier, je ne peux m’empêcher de vous signaler que
Alexander compte parmi les premiers abonnés de « Marginales ». Lorsque la revue
réapparut à la fin du siècle dernier, il en avait conservé quelques numéros
dont « À l’Est, toutes ! » — titre ô combien prémonitoire —, que vous aviez
publié vingt ans avant ce grand événement que représente l’entrée de la Russie
au sein de l’Europe enfin achevée !
Alexander appréciait beaucoup Luce, votre
dynamique aïeule (ils avaient eu l’occasion de se rencontrer pendant leurs
études linguistiques). Il lui donnait à lire, de temps à autre, des récits et
nouvelles. Certaines furent publiées, notamment dans un
des numéros consacrés à la « Wallonie », devenue dans l’Europe actuelle la «
Région Euro-Wallonie ».
En vous souhaitant plein succès pour ce
nouveau numéro de « Marginales », je vous prie d’agréer, Chère Madame,
l’expression de mes civilités empressées,
Dimitri Dostkine
Saint Idesbald
Région Euro-Flandres"
En voici un fragment:
(...) Les Européens de l’Ouest se rendaient à l’Est,
jadis, c’est-à-dire avant ce que les Allemands appellent pudiquement le virage
(« die Wende ») : ils y allaient soit en sympathisants programmés pour
applaudir les réalisations du régime, soit en vérificateurs sarcastiques de
l’utopie inaboutie. On lira des récits de ces voyages très connotés dans ce
numéro. Ils y retournent aujourd’hui, pour se désoler très cyniquement de la
banalisation : qui n’a pas connu Budapest ou Prague au milieu des années
quatre-vingts ne sait pas ce qu’était une certaine douceur de vivre,
n’osent-ils pas encore dire aussi explicitement.
Mais le vrai fait nouveau, ce sont les gens de
l’Est (les « Ossies », comme disent les Allemands), qui viennent en Occident.
Dans l’ivresse, d’abord, de la circulation possible qui, pour ceux qui ont
souffert des réglementations anciennes, était déjà un acquis en soi. Ce premier
sentiment est passé, un désenchantement lui a souvent succédé. Celui de
l’impossibilité de s’intégrer dans une société que justement cette ouverture à l’Est
contribue à complexifier. Et où se font entendre des voix qui mettent en doute
le bien-fondé d’une soumission sans réserve aux lois du marché. Adhérer à
l’Europe, dans ces conditions, revient à partager les valeurs d’une société que
l’on contestait jadis et dont on découvre qu’en vertu du débat démocratique,
elle se conteste elle-même. Ce tissu d’ambiguïtés inspire forcément des doutes,
des malaises. Ils sont perceptibles dans les textes réunis dans ce numéro qui
montrent une fois encore que rien ne vaut la fiction pour tenter de démêler des
situations inextricables. Cela donne un ensemble impressionniste, un peu
tremblé, comme une photographie qui n’a pas pu faire le point. Mais nul ne
connaît, au moment où nous écrivons, le fin mot de cette Histoire dont la
chronique n’a même pas encore commencé de s’esquisser. " (Jacques De Decker, septembre 2001)