Le label Alpha met en valeur son catalogue pour
le clavier par l’intermédiaire de deux coffrets distincts : le premier
honore le Russe Alexei Lubimov, qui bénéficie d’un regroupement de sept CD
(Alpha 570) ; le second, intitulé « Les maîtres du piano » est
riche de onze CD et est consacré à six autres virtuoses du piano : Edna
Stern, François-Frédéric Guy, Alexander Longuich, Nelson Goerner, Eric Le Sage
et Anna Vinnitskaya (Alpha 443). Les amateurs vont se régaler !
Né en 1944 à Moscou, où il étudie auprès du
légendaire Heinrich Neuhaus, qui eut notamment pour élèves Emil Gilels,
Sviatoslav Richter, Iakov Zak ou Radu Lupu, Alexei Lubimov entame une carrière
de soliste, mais aussi de chambriste ; Oleg Kagan ou Gidon Kremer sont alors
parmi ses partenaires. Il acquiert vite une réputation de haut niveau. Attiré
par la musique de son temps, il joue Boulez, Cage, Ives, Stockhausen,
Penderecki… au point de fonder un festival de musique d’avant-garde. Mal
considéré par le régime soviétique, il se voit signifier l’interdiction de
sortir d’URSS pendant les années 1970 et au début des années 1980. Il se
passionne aussi pour la musique baroque, dont il devient rapidement un
spécialiste sur instruments d’époque, révélant ainsi un talent éclectique qui
couvre une grande partie de l’histoire du clavier. Ce coffret Alpha montre
l’étendue de son répertoire de façon très équilibrée et très élaborée. Il débute
par une fascinante version des Sept dernières paroles du Christ en Croix de
Haydn sur clavicorde. Six sonates de Beethoven, les n° 14, 17 et 21, sur un
piano Erard de 1802, fac-similé Clarke de 2011, et les n° 30 à 32, sur un
pianoforte Graf restauré de 1828, montrent ses affinités profondes avec
l’univers du maître de Bonn. Lubimov fait équipe avec Yuri Martynov dans un
grisant CD Mozart, encore sur pianoforte, pour la Sonate K 488 et
d’autres pièces. Quant à Schubert, le virtuose inscrit ses Impromptus op. 90
et op. 142 dans un univers mélodique d’une grande lisibilité, en les
faisant vibrer d’un chant très dépouillé. Une merveille ! Le XXe siècle
bénéficie de deux CD : Strawinsky (Dumbarton Oaks, Concerto pour
deux pianos) et Satie (Socrate et Mercure) pour commencer, dans
des transcriptions pour deux pianos ou à quatre mains, sur des instruments
Gaveau de 1906 et Bechstein de 1909 ; ici le complice est Slava Poprugin.
L’intérêt de Lubimov pour Ives (Sonate n° 2), Webern (Variations op.
27) ou Berg (Sonate op. 1) est illustré par un dernier CD, un live
de 1997 et 1999. Les autres enregistrements ont été effectués entre 2009 et
2015. Toutes les interprétations sont de premier ordre ; elles ont été
largement saluées par la critique. Un coffret à prix cadeau à ne rater sous
aucun prétexte !
Le coffret de onze CD « Les maîtres du
piano » est tout aussi passionnant. Qu’il s’agisse d’Edna Stern - qui a
étudié notamment à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth -, dans des partitions
de Bach, de François-Frédéric Guy dans des sonates de Beethoven, la Sonate de
Liszt ou les Harmonies poétiques et religieuses, d’Eric Le Sage dans le Carnaval
ou les Kinderszenen de Schumann, ou d’Alexander Longuich dans les Sonates
D. 946 et D. 960 de Schubert, la barre est placée haut. On retrouve aussi
Anna Vinnitskaya, qui remporta le Concours Reine Elisabeth en 2007, sur trois
CD : dans des concertos, un Deuxième de Rachmaninov racé, et ceux de
Shostakovitch, brillants, mais aussi dans d’intenses pages de Brahms. Cerises
sur le gâteau : Nelson Goerner distille des Chopin de rêve (les 24 Préludes !) et des Debussy d’anthologie (Etudes et Images). Ici aussi, le prix est attractif. C’est le moment de se faire
plaisir !
Jean Lacroix