On sait de Jacques De Decker, décédé le 12
avril dernier, qu'il était multiple: écrivain, académicien, journaliste,
critique, dramaturge...
Pendant plusieurs années, il enregistra ce
qu'il appelait ses "Marges et contre marges" . Elles se déclinaient en trois versions: le texte
publié, le texte lu par l’auteur, et la "contre-marge", un
commentaire improvisé par Jacques De Decker au micro d’Espace-livres..
Nous publierons d'autres marges dans les jours
qui suivent. Une manière de ne pas oublier la voix d'une des figures de proue
de la littérature et de la culture en Belgique, en Europe et dans l'ensemble de
la francophonie.
Voici une des ces chroniques à lire et à
écouter, consacrée aux écrivains Bauchau, Claus et Boon. Elle date
de décembre 2012.
Jean Jauniaux, le 15 avril 2020
"La marge" de Jacques De Decker se
décline en trois versions. Le texte publié, le texte lu par l’auteur, et la
"contre-marge", un commentaire improvisé par Jacques De Decker au
micro d’Edmond Morrel.
Centenaires sans frontieres
Le premier aurait pu concerner le centième
anniversaire d’un écrivain qui aurait toujours été vivant, Henry Bauchau : il
aurait, de fait, passé le cap du siècle en février prochain. Il se fait qu’il
s’est paisiblement éteint dans son sommeil il y a quelques jours, et qu’il
n’aura donc pas eu le privilège, à l’instar de Charles Quint, d’être présent à
son rituel ultime. Les manifestations des cents ans de sa naissance, qui auront
donc bien lieu, seront dès lors plus classiques. Elles consisteront
essentiellement en des hommages académiques et universitaires divers, organisés
essentiellement par le professeur Myriam Watthée-Delmotte, la très dynamique
animatrice du Fonds Henry Bauchau abrité par l’Université de Louvain-la-Neuve.
L’autre se passe au Nord du pays, en l’honneur
de Louis-Paul Boon, auteur que la Flandre proposa quelquefois au Prix Nobel,
qui était une figure très populaire, célèbre par ses billets savoureux dans le
quotidien socialiste « Vooruit », en quelque sorte la préfiguration plus
engagée de l’actuel « Morgen », et connu par ses fréquentes apparitions à la
télévision, où sa verve et sa drôlerie, servies par sa langue colorée de
dialecte est-flandrien faisait des étincelles. Mais cette bonhomie cachait un
écrivain de grande lignée, l’un des plus géniaux que la Flandre ait produits.
Boon était, par exemple, l’écrivain de sa culture le plus admiré par Hugo
Claus, qui lui consacra même le seul essai littéraire qu’il ait jamais écrit.
Dans le cas de Boon, mort il y a plus de
trente ans, les festivités prennent un autre tour : marathon de lecture au KVS
de Bruxelles relayé par l’internet, fêtes populaires dans son patelin local,
Erembodegem à la lisière d’Alost, pages entières des grandes quotidiens,
concours et joyeusetés diverses.
Bref, l’enthousiasme de toute une communauté
autour de l’une de ses figures les plus populaires, auteur d’une œuvre où se
côtoient chroniques picaresques comme « La Rue de la Chapelle », la seule
fresque de lui qui fût traduite en français ( excellement, par Marie Hooghe),
biographies empathiques comme sa vie du père Daens qui fut portée au cinéma
avec le succès que l’on sait, roman expérimental comme « Menuet » qui existe
aussi en français, transposé par Lode Roeland, et par ailleurs utopies
politiques, contes érotiques et parodiques, récits comiques, bref une oeuvre
torrentielle moins connue aux Pays-Bas qu’en Flandre en raison des localismes
de sa langue, mais qui a cette particularité rare d’être aussi appréciée par
les lettrés que par le plus large public, et surtout par les jeunes.
Boon se mit à écrire durant sa captivité en
Allemagne, avant de joindre la résistance une fois revenu au pays. Bauchau, né
à Malines quelques semaines après l’Alostois, entra en littérature passé la
quarantaine, mais resta actif jusqu’à son dernier souffle, laissant des textes
qui paraîtront désormais à titre posthume, et n’accéda à la notoriété que dans
son grand âge. Apprécié par les nouvelles générations – il connut de son vivant
l’admiration fervente des gens de théâtre -, transposé à l’opéra à deux
reprises par Pierre Bartholomée, vivant à Paris depuis longtemps, après avoir
séjouné en Suisse après la guerre, il a, pour sa part, surtout lorsqu’Hubert
Nyssen l’accueillit chez Actes-Sud, conquis des lecteurs dans toute la francophonie.
Leurs destins littéraires à tous deux sont-ils typiques des deux parts de
Belgique qu’ils représentent ? En Flandre, un écrivain peut encore être un
héros du terroir, même si sa notoriété ne s’étend que peu en dehors de sa
région d’origine, en francophonie belge il a peu de chance d’être connu de
l’homme de la rue, mais peut être entendu partout où le français se parle. Il
est bon de s’en souvenir à la veille du sommet de Kinshasa…
Jacques De Decker
7 octobre 2012
Les "Marges" s’enchaînent sur
quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas
Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD
enregistré chez NAXOS des "Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri" interprétées
par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème
dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530