Jacques De Decker et Albert Ayguesparse |
Aujourd'hui, plutôt que vous donner à lire un texte extrait d'une des 303 numéros de la revue Marginales, j'aurais aimé partager avec vous le poème A bouche perdue, publié en 1973 par le fondateur de la revue, Albert Ayguesparse. Il était à la fois poète, essayiste, romancier et nouvelliste...
Et aussi, vous donner à lire un bref historique de la revue...
MARGINALES est la plus ancienne revue
littéraire belge encore publiée. Elle a été fondée en 1945 par Albert
Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social,
romancier (citons notamment Simon-la-Bonté
paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche
notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche
(1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que MARGINALES se soit dès
l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social,
la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire,
et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants
très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
MARGINALES, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à
son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance
en 1998, lorsque Jacques De Decker - succédant à Albert Ayguesparse à
l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique – décide de
reprendre le flambeau et de donner une nouvelle impulsion à la revue. Il
propose d’en faire un rendez-vous littéraire où, par des fictions, les
écrivains sont invités à raconter le monde, l’Europe, la Belgique, la société…
Le n°230, sort en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait
bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule.
Jacques De Decker demandera en 2009 à Jean Jauniaux de devenir rédacteur en
chef de la revue et de l’assister dans
cette entreprise littéraire.
MARGINALES reprit ainsi son chemin par une
publication régulière de 4 numéros par an, édités aujourd'hui par les Editions KER.
Jean Jauniaux, le 2 avril 2020.
A bouche perdue (1973)
Je voudrais te parler à bouche perdue
Comme on parle sans fin dans les rêves
Te parler des derniers jours à vivre
Dans la vérité tremblante de l’amour
Te parler de toi, de moi, toujours de toi
De ceux qui vont demeurer après nous
Qui ne connaîtront pas l’odeur de notre monde
Le labyrinthe de nos idées mêlées
Qui ne comprendront rien à nos songes
A nos frayeurs d’enfants égarés dans les
guerres
Je voudrais te parler, ma bouche contre ta
bouche
Non de ce qui survit ni de ce qui va mourir
Avec la nuit qui déjà commence en nous
De nos vieilles blessures ni de nos défaites
Mais des étés qui fleuriront nos derniers
jours
J’ai tant de choses à te dire encore
Que ce ne serait pas assez long ce qui reste
de mon âge
Pour raconter de notre amour les sortilèges
Je voudrais retrouver les mots de l’espoir
ivre
Pour te parler de toi, de tes yeux, de tes
lèvres
Et je ne trouve plus que les mots amers de la
déroute
Je voudrais te parler, te parler, te parler (...)
Albert Ayguesparse