mercredi 6 juin 2018

Le coffret du Reine Elisabeth 2018: à ne pas manquer

Dans les rendez-vous qu'il nous donne avec l'actualité discographique, Jean Lacroix ne pouvait omettre l'édition annuelle des CD produits à l'occasion des Concours Reine Elisabeth. Deux CD qui consoleront ceux qui n'ont pas eu l'occasion d'entendre les demi-finales et les finales de l'édition 2018 consacrée au chant. Nous retrouvons ici son commentaire enthousiaste à propos de cette célébration d'un des moments forts de la vie musicale internationale. Pour commander ces CD (et d'autres consacrés au reine Elisabeth) et pour en savoir davantage visitez le site du Concours.    Jean Jauniaux  le 6 juin 2016


A ne pas manquer: le coffret du Concours Reine Elisabeth de chant 2018 

Le coffret de deux CD du Concours Reine Elisabeth de chant 2018, qui s’est terminé le 12 mai dernier, est disponible chez les disquaires depuis le 19 mai, distribué par [PIAS]. Huit jours après, déjà ? C’est qu’on a mis les bouchées doubles pour réussir à proposer aux mélomanes un éventail représentatif d’une session qui fut d’un remarquable niveau et qui ne souffre guère de discussions au niveau du classement final des lauréats. Le journal Le Soir des 19, 20 et 21 mai a raconté les coulisses de cet enregistrement, article auquel le lecteur se référera pour connaître les détails de l’aventure.

Ce coffret de deux CD (QEC2018) est un bel objet, selon la bonne habitude prise depuis des années, et il bénéficie d’un livret illustré, rédigé pour la plus grande partie en anglais. Le premier CD est consacré aux trois soirs des finales ; le second à des prestations avec piano du premier tour et des demi-finales. On retrouve le splendide premier lauréat, l’Allemand Samuel Hasselhorn dans deux Mahler, extraits du Knaben Wunderhorn, et dans un air d’Elias de Mendelssohn. Avec son riche timbre de baryton, ce merveilleux chanteur a révélé une large palette sonore qui se déploie avec style et élégance aussi bien dans l’opéra, l’oratorio ou le lied, ce que confirmeront les morceaux (Schumann, Wolf, Brahms et l’Erlkönig de Schubert) tirés des tours précédant la finale. Un artiste complet, à la personnalité mûre et équilibrée. Parmi les cinq autres premiers lauréats, on retrouve avec plaisir la mezzo-soprano française Eva Zaïcik, classée deuxième, qui fut en février Victoire de la musique de la révélation lyrique ; elle a montré dans Bach, Rossini, Moussorgski ou Tchaïkowski toute l’étendue d’une superbe voix, dont la distinction et le panache ne sont pas absents. La basse chinoise Ao Li, troisième prix, sert Rachmaninov, Mozart ou Beethoven avec la même immense présence. Quant au quatrième prix, la soprano espagnole Rocio Perez, elle fait preuve d’une santé vocale éclatante et d’une grande virtuosité. On se souvient de son air de la Reine de la nuit que l’on aurait aimé réécouter, mais il n’a pas été repris ici : c’est Lakmé et la Gilda de Verdi qui sont mises en évidence. Marianne Croux, notre soprano franco-belge, est sixième et Prix du public de Musiq’3. Son enthousiasme et la chaleur communicative qui lui est naturelle se joignent à une voix de soprano aux multiples registres, elle aborde avec aisance Puccini, Strawinski ou Nadia Boulanger (un émouvant Soir d’hiver).

Grâce à un choix dont on saluera l’intelligence, on retrouve les autres finalistes dans le deuxième CD : les quatre barytons, à savoir l’Américain  Alex DeSocio, dont on ne nous rend pas l’extrait déjanté du Barbier de Séville qui avait amusé le public - c’est un touchant Schubert qui a été inclus -, l’Argentin German Enrique Alcantara, les Ukrainiens Yuriy Hadzetskyy et Danylo Matviienko, successivement dans Ortega, Grieg ou Sviridov, mais encore les sopranos : la Coréenne Sooyeon Lee dans un délicat Richard Strauss et la Belge Charlotte Wajnberg dans un harmonieux Bellini (avec orchestre, sur le premier CD). Notre compatriote, moins extravertie que Marianne Croux, a été récompensée par le Prix du public de Canvas-Klara, la chaîne de musique classique de la VRT.        

Mais il manque quelqu’un, direz-vous avec raison ! En effet, nous tenons à réserver une place particulière à la mezzo-soprano Héloïse Mas, qui a obtenu le cinquième prix. Cette cantatrice française, qui est promise à une brillante carrière, nous a profondément ému, pour ne pas dire bouleversé, lors de sa prestation finale. Quelle qualité de présence scénique, quelle noblesse sur le visage, quelle générosité dans l’attitude et la projection de la voix ! Elle bénéficie d’un timbre magnifique, rond, puissant, aux nuances intenses et surtout, elle touche l’âme de l’auditeur, ce que n’a pas manqué de confirmer l’immense ovation du public à la fin de l’air Où suis-je ? O ma lyre immortelle tiré de la Sapho de Gounod. Ce merveilleux morceau, qu’Héloïse Mas sert avec l’émotion et le charisme fervent d’une grande interprète, demeure l’un des points forts du présent coffret, à côté d’un Donizetti tout en finesse, et d’un Mahler déchirant, Ich bin der Welt abhanden gekommen, tiré des Rückert Lieder. Vous l’aurez deviné : sans remettre en cause en quoi que ce soit un palmarès logique, notre coup de cœur est pour cette future grande dame du chant, dont l’humilité est aussi grande que le talent.

La présente recension serait incomplète si le travail de l’Orchestre de la Monnaie, placé sous la direction d’un Alain Altinoglu attentif à la moindre intention des chanteurs, n’était mis en évidence lors des finales. Le parcours des musiciens dans un répertoire aussi multiple que varié, est à souligner pour son ampleur et son remarquable niveau. On n’oubliera pas non plus les pianistes accompagnateurs du premier tour et des demi-finales, dont on retrouvera les noms dans le livret pour chacune des prestations ici reproduites. Nous avons vécu un Concours de chant 2018 qui demeurera dans les annales pour les performances et l’investissement de tous les artistes. Le présent coffret est là pour nous permettre d’en perpétuer le souvenir émerveillé.

Jean Lacroix


lundi 4 juin 2018

"Le soupir de la paruline", deuxième roman de Philippe Marchandise

Un roman de l'Amérique : 
"Le soupir de la paruline" 
Philippe Marchandise
Editions Mols



Avec "Le soupir de la paruline", Philippe Marchandise signe son deuxième roman paru aux Editions MOLS dont nous avons déjà ici souligné le dynamisme éditorial tant en littérature générale (avec notamment les romans d'Elise Bussière et de Michel Goldblat), que dans la bibliothèque des essais, avec les livres remarquables de pertinence et d'érudition critique de Jacques Rifflet. Nous avions rencontré ce dernier lors de la parution de la première édition de ses "Mondes de l'Islam".

Autant le premier roman de Marchandise ("Le jour de l'amélanchier" )s'inscrivait dans l'intime et le singulier, nous racontant le retour à la vie du narrateur, survivant d'une lourde intervention chirurgicale et retrouvant petit à petit le goût et l'essence de l'existence, autant "Le soupir de la paruline" quitte le particulier pour embrasser large et vaste. 
L'île de Hilton Head, en Caroline du Sud, est le point de départ et de convergence des souvenirs que convoque le personnage central du roman, Shirley. En trois parties encadrées d'un prologue et d'un épilogue, permettant au romancier d'alterner les points de vue, Marchandise explore ce qui, depuis  l'arrivée des premiers passagers du Mayflower, a construit l'Amérique. L'esclavage, la ségrégation, la guerre de sécession, mais aussi le Macacartysme, le procès Rozenberg, les attentats du 11 septembre à New York et tant d'autres événements déposés dans notre mémoire collective surgissent au fil des souvenirs de Shirley. A la fin de sa vie, elle interroge les choix sur lesquels elle a bâti sa famille, mais aussi ce qui a déterminé ces choix: la pression sociale, la pré-éminence d'une soeur, la rupture avec un amour de jeunesse... Tout aurait pu être autre. 

De ce roman fleuve, portrait ambitieux d'une Amérique dont on devine combien l'auteur est proche, on retient au fil de la lecture, des figures attachantes, comme celle de Maybel, descendante d'esclaves dont elle incarne le destin et la fierté, celle de John le mari aimant de Shirley, d'Arthur, l'amour de jeunesse et des personnages engendrés par ces vies. 

Surgissent aussi, une fois le livre refermé, ces images de l'île de Hilton Head, la passion pour le golf, mille et un détails de la sociologie américaine qui font de ce roman un instrument d'exploration sensible d'une histoire et d'une géographie, celles du nouveau continent, qu'il nous aide peut-être à comprendre en ces temps troublés d'une présidence dépourvue de cohérence.

Jean Jauniaux, le 3 juin 2018

Nous avons rencontré Philippe Marchandise pour évoquer à la fois son oeuvre et sa passion de l'Amérique.  Une rencontre en français et/ou en anglais à écouter sur le site sonore de LIVRaisons 





Quatrième de couverture

D’une plume fine et érudite, Philippe Marchandise dresse le portrait d'une certaine Amérique et d'une femme aux prises avec ses souvenirs, sur une île de Caroline du Sud aussi enchanteresse que marquée par la Guerre de Sécession. Peut-on aimer deux fois ? est une des grandes questions qui parcourt ce roman à la fois intimiste et social.


Le chatoyant plumage jaune de la paruline illumine les paysages de la Caroline du Sud à chaque printemps. Sur l’île d’Hilton Head, ce passereau migrateur chante à tue-tête toute la journée pour séduire sa belle.
« Ai-je aimé mon mari ? Ai-je épousé mon amour ? » s’interroge Shirley. Les événements du 11 septembre 2001 ont bouleversé le monde entier et la vie de cette Américaine, veuve depuis peu. Bien qu’entourée par ses enfants pour son soixante-dixième anniversaire, Shirley soufre de la solitude et craint pour son pays, confronté au terrorisme, à la haine raciale et aux inégalités. Un peu par hasard, elle renoue avec Arthur, l’amoureux de sa jeunesse, et hésite à le revoir.


Avec cette interrogation, c’est tout le passé qui rattrape Shirley : ses années de collège en Pennsylvanie, sa rencontre avec le footballeur roux aux oreilles chiffonnées, l’incompréhensible lettre de rupture, sa sœur Margaret si distante, son mariage avec John… Et puis quarante-quatre années de bonheur ont passé dans cette Amérique qui évolue, qui change et qui chante, et ces années ne s’effacent pas d’un trait. Mais l’île somptueuse d’Hilton Head où ils ont profité des fairways de golf, des tables de bridge et des balades au bord de l’océan lui paraît soudain trop étroite. Trouvera-t-elle la force d’aimer encore une fois ? N’est-il pas trop tard ? La paruline réenchantera-t-elle à nouveau l’ile par son hymne à l’amour ?