lundi 27 août 2018

"Les Vêpres de la Vierge" de Monteverdi, la nouvelle version de Herreweghe

Dans cette neuvième recension parue sur LIVRaisons, Jean Lacroix nous invite à nous immerger dans  la musique sacrée de Monteverdi et à en écouter les Vêpres de la Vierge dans un récent enregistrement du Collegium Vocale Gent dirigé par Philippe Herreweghe. L'extrait video que nous avons vu de l'enregistrement est une introduction idéale à son écoute. L'occasion aussi d'entendre Philippe Hereweghe commenter l'oeuvre et ses origines. 
Jean Jauniaux

Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, la nouvelle version de Herreweghe


En 1986, Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale Gent proposaient, chez Harmonia Mundi, leur version des Vêpres de la Vierge de Monteverdi. Trente ans après, le chef récidive, avec le même ensemble, mais avec des solistes différents, par le biais d’un album de deux CD paru chez PHI (LPH029). Avant toute écoute, le mélomane s’attachera à l’intéressant livret explicatif écrit par Marc Vanscheeuwijck, de l’Université de l’Oregon, qui souligne que ces Vêpres, publiées en 1610 par le compositeur, encore employé à la cour des Gonzague à Mantoue, dont il cherchait à se séparer pour cause d’insatisfaction, est « un chef-d’œuvre musical révolutionnaire doublé d’un cauchemar musicologique ». L’auteur de la notice explique avec clarté les motivations de la publication, le contenu, la structure et le statut de certaines pièces reprises dans le recueil et qui lui sont antérieures parfois de quinze années, le style et l’impact de la musique, mais aussi les questions d’interprétation que l’œuvre pose concernant le nombre de chanteurs et de musiciens. Les options sont en effet variées, l’anarchie peut vite régner, la discographie en témoigne. Nous renvoyons le lecteur à ce texte très documenté avant de se lancer dans l’écoute de cette partition de vastes proportions.

Deuxième enregistrement, donc, pour Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Le premier, celui de 1986, n’avait pas tout à fait convaincu la critique. On n’y retrouvait pas l’aspect jubilatoire ni la verve ni l’engagement que d’autres y avaient mis avant lui (Savall, Gardiner ou Harnoncourt), l’option choisie relevant plutôt de la retenue, Herreweghe considérant sans doute que c’est l’aspect spirituel qui doit primer. Ce choix respectable entraînait une certaine froideur, et parfois même de l’ennui pour l’auditeur, frustré lors des passages grandioses, notamment dans le Magnificat, sans éclat et sans élan. La critique soulignait toutefois le chant superbe d’Agnès Mellon et de Guillemette Laurens. Cette version de 1986 n’est pas demeurée dans les mémoires comme une référence de premier plan.

Depuis lors, trente ans ont passé. Le nouvel enregistrement vient après bien des détours de Herreweghe, y compris par la musique romantique. C’est à l’église San Francesco de la cité toscane d’Asciano, au sud de Sienne, à l’occasion du Festival des Crete Senesi que les micros ont saisi la présente interprétation en août 2017. Et force est de constater que l’option n’a guère changé, la retenue est toujours au rendez-vous, comme l’apaisement et la sérénité. Pourtant, l’animation est plus souple, elle n’a rien d’excessif certes, mais elle se pare de couleurs douces et de rythmes contrastés qui entraînent l’auditeur dans une atmosphère recueillie. Le Magnificat a cette fois de l’élan, même si l’éclat en est toujours absent. Quant aux solistes, parmi lesquels on ne retrouve qu’un seul protagoniste de l’édition de 1986, Peter Kooj, qui n’atteint pas le même niveau qu’autrefois, on se régalera des prestations de la soprano  Dorothee Mileds et surtout de celle de Reinoud Van Mechelen, dont on admirera le style distingué. Les qualités de ce ténor sont toujours supérieures, quel que soit le genre de musique qu’il serve. Quant aux instrumentistes, ils sont parfaits, il ne leur manque que ce grain de folie qui sous-tendait à merveille le dramatisme de René Jacobs, la ferveur de Gardiner ou la virtuosité fastueuse du groupe Hesperion XX, auquel Jordi Savall insufflait son enthousiasme, et qui demeure notre préférence. L’album de Herreweghe plaira cependant aux partisans de l’excellent ensemble qu’est le Collegium Vocale Gent et à ceux qui voient dans ce magistral et complexe recueil que sont les Vêpres une partition dont la spiritualité doit être la grande ligne directrice.


                                                                                                                             Jean Lacroix       


Les références et liens de ce "Sans la Musique" n° 9 :  
et, sur le site de l'éditeur  une séquence video  accompagnée de cette présentation: 
"Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent livrent une version aboutie de l’un des chefs-d’oeuvre de la musique sacrée du XVIIe siècle. Composées peu après Orfeo et dédiées au pape Paul V, les Vêpres de Monteverdi ne cessent de surprendre par leur audace et leur grande puissance émotive. Stile antico et stile moderno se conjuguent à merveille dans ces pages où se côtoient tour à tour polyphonie de style renaissant, monodie accompagnée et style concertant. L’importance donnée au texte – un trait marquant chez Monteverdi –, la virtuosité du chant, l’indépendance des voix sont autant de caractéristiques de cette oeuvre étonnante. Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent se révèlent être des interprètes montéverdiens de premier rang. Leur lecture enlevée et rafraîchissante, rehaussée par huit solistes de renommée internationale, assurera le succès de cet album."

mardi 21 août 2018

Lucio Silla: Mozart en DVD ...

Dans cette huitième invitation à aimer la musique, Jean Lacroix dont on sait la vigilance quant à la qualité des productions discographiques ou des concerts en life (bientôt il se rendra à La Monnaie pour écouter "La Flûte enchantée" et nous en dire davantage sur cette nouvelle production du prestigieux opéra bruxellois), nous dit la difficulté de filmer l'opéra, d'en donner une version "captée" qui puisse devenir une version de référence. Celle-ci enregistrée au Teatro réal de Madrid ne l'a pas convaincu... N'y aurait-il pas ici matière à poser de manière plus structurelle la question de l'adéquation entre l'opéra et sa représentation hors les scènes vivantes? On se souvient de grandes versions cinématographiques, comme "La flûte enchantée", encore,  réalisée par Ingmar Bergman ou le "Carmen" de Francesco Rosi, par exemple: la réussite de telles entreprises ne vient-elle pas de l'adaptation des oeuvres au support sur lequel elles seront diffusées? C'est à dire à la syntaxe du cinéma?

Jean Jauniaux, le 21 août 2018

Lucio Silla de Mozart en DVD : de l’utilité de l’image ?

La question est moins anodine qu’on ne pourrait le croire. Pouvoir disposer, chez soi, de spectacles que l’on n’aurait pu visionner d’une autre manière que par le truchement du DVD est une aubaine. Mais il faut reconnaître aussi que le marché actuel de ce support précieux, qui nous a apporté déjà bien des richesses thésaurisées avec gourmandise (par exemple les productions de Ponnelle ou le cycle Mahler/Bernstein), est un peu à la peine. Ce Lucio Silla de Mozart, production de Paul Guth créée à Vienne en 2005 par Harnoncourt, sort-il du lot ?



La réponse est double. A la fois positive et négative. Il s’agit ici (BelAir BAC150) d’une reprise madrilène d’octobre 2017. L’argument est connu : dans la Rome antique, le dictateur Lucio Silla a fait passer pour mort le sénateur Cecilio, qui est en fait proscrit. Cecilio revient secrètement, inquiet du sort de celle qu’il aime, Giunia, convoitée par Lucio Silla. Après bien des péripéties, Cecilio est arrêté et condamné, mais Giunia obtient sa grâce avant que Silla n’accepte l’union des deux amants et n’abdique. Thème dramatique à souhait, pour lequel Mozart a écrit une partition, créée à Milan le 26 décembre 1772 (il avait seize ans !), à l’orchestration fine et élégante, pleine de subtilités d’écriture et d’harmonies audacieuses, avec des chœurs solennels et des airs douloureux, nobles ou grandioses. Mozart avait connu le succès avec Mithridate, créé dans le même lieu deux ans auparavant. Avec Lucio Silla, il accomplissait un pas de géant vers le grand théâtre musical. Cet opéra est bien plus qu’un jalon dans sa carrière, c’est un événement. C’est donc avec un vif intérêt que l’on s’installe pour savourer les images.

Celles-ci sont assez sombres, comme le montrent les photographies reproduites dans le livret. On y voit des murs carrelés, des costumes sombres (celui de Giunia tranche avec les cheveux flamboyants de Patricia Petibon) et une sorte de tour bétonnée qui incite plutôt à la déprime qu’à l’action glorieuse. Tout cela est en fin de compte assez tristounet. Quant au plateau vocal, il est inégal. Le Silla de Kurt Streit montre des signes de fatigue dans la voix, qu’il compense par une ardeur combative, alors que Silvia Tro Santafé, dans le rôle de Cecilio, affiche une santé vocale sans failles. Les autres protagonistes sont bons, sans plus, pas toujours aidés par la direction d’Ivor Bolton, qui n’enflamme guère un orchestre de qualité moyenne, celui du Teatro Real, mais il permet aux chœurs un déploiement satisfaisant. Reste la magnifique Patricia Petibon, pour laquelle nous avouerons un faible autant pour ses qualités de cantatrice que pour l’investissement qu’elle a l’habitude d’injecter dans ses prestations. A elle seule, elle ne pouvait sauver une production moyenne dans sa réalisation, il faut reconnaître qu’elle n’est d’ailleurs pas dans sa meilleur forme vocale. Il n’empêche : les accents qu’elle imprime à ses angoisses et à ses désespoirs sont déchirants et son talent de comédienne demeure intact. Le verdict est à mi-chemin : il y a trop peu de productions filmées de Lucio Silla pour négliger celle-ci. La version de référence en DVD est encore à venir, même si celle de la Scala de Milan dirigée par Minkowski en 2016 servait mieux la musique de Mozart.  


                                                                                                                                Jean Lacroix

Références du DVD:


samedi 18 août 2018

Saint-Idesbald Station des Arts, Episode 3: "Left Luggage" de Willy Baeyens

©

"Left Luggage"  de Willy Baeyens






© Jean Jauniaux



Lors des deux précédents épisodes consacrés à Saint Idesbald « Station des Arts », nous citions Willy Baeyens dont l'exposition Left Luggage vous bouleversera dans la Kapel Star der Zee (église désacralisée "Etoile de mer"). 
Left Luggage développe dans la nef de l’église une succession de 100 valises ouvertes contenant des portraits monochromes de visages de  femmes, d’hommes, d’enfants, de vieillards. Alignées entre des tableaux muraux, ces valises semblent avoir été jetées au sol le long d’un parcours auquel le visiteur est invité, dans l’environnement sépulcral d’une musique poignante. On est saisi à la gorge par la force que l’artiste a pu donner non seulement à l’ensemble du dispositif, mais aussi à chacun des visages vers lequel nous nous penchons. Cette œuvre a été inspirée au peintre par une visite à la Caserne Dossin, ultime étape pour 25 484 Juifs et 352 Tsiganes Roma et Sinti déportés entre 1942 et 1944 dans les camps d'Auschwitz-Birkenau. Dans ce lieu de mémoire qu’est la Caserne Dossin, 25.846 photographies redonnent un visage et une identité à ces victimes de la barbarie. 
L’exposition de Wlly Baeyens et la perception que l’artiste nous donne de ce moment tragique de l’Histoire, le rendent universel et intemporel. Ne s’agit-il pas ici  aussi de nous montrer à travers ces visages, ces valises ouvertes, cette musique que la déportation existe toujours, aujourd’hui, autrement ? Ne retrouve-t-on pas dans ces regards le même bouleversant appel au secours que celui que nous montrent les images d’actualité ? 
C’est sans doute à cette dimension-là que nous donnent accès, au-delà de la mémoire de l’holocauste, les regards qui nous hantent encore.
(L'exposition se clôture le 19 août 2018. Il est à souhaiter qu'elle trouve bien vite un autre lieu où se prolonger. Elle est organisée par le service "Dienst Cultuur & Erfgoed" de la commune de Koksijde.  cultuur@koksijde.be    058 53 34 40)

Jean Jauniaux, Chapelle-Saint-Lambert, Saint Idesbald, 18 août 2018.

Willy Baeyens

Born in 1960 Belgium
© Jean Jauniaux 
Lives and Works in Coxyde at the Westcoast of Belgium.
Education, Academy of Arts, Art of drawing, Art of painting, graphic Art.
For thirty years a successful manager of his own Art- and publicity agency.
From 2014 full-time engaged in Arts.

Contact

Kazerne Dossin
Goswin de Stassartstraat 153   B-2800 Mechelen
+ 32 (0) 15 29 06 60  

kapel Ster der Zee Koninklijke Baan 266 8670 Koksijde 

Saint Idesbald Station des Arts, Episode 4: l'étonnant bestiaire de Guillemine Dutry

L'étonnante humanité de Guillemine Dutry

© Jean Jauniaux

© Jean Jauniaux - Collection privée


Décidément, Saint Idesbald a parmi d’autres innombrables vertus, celle d’attirer les créateurs. Guillemine Dutry expose chez elle (42, Pannelaan, Zeepannelaan dutryster@gmail.com ) .

© Jean Jauniaux Collection Privée 
Au hasard d’une promenade dans les parages inspirants du musée Delvaux, des créations sculptées d'argile et de coquillages, notre attention a été attirée par la porte ouverte d’un atelier invitant à découvrir un univers singulier constitué de dizaines de figurines de petite taille, imaginées par l’artiste à partir de terre et de coquillages. 

Encadrées ou placées sur des socles, ces figures d’une dizaine de centimètres, s’assemblent en une énigmatique succession d’expressions que chacun leur attribuera, de la joie à la consternation, de la jubilation à l’effroi en passant par toute la palette des sentiments que les visages de cette étonnante galerie de portraits  inspire
 au visiteur.

Guillemine Dutry vous accueille dans son atelier-exposition et vous raconte avec bonheur la genèse de cette étonnante création


Jean Jauniaux, Chapelle-Saint-Lambert, Saint Idesbald, août 18.

mardi 14 août 2018

Saint Idesbald, station d'arts, Episode 2 : Henri Sarla, la mémoire et la mer...

Henri Sarla, peintre de l'instant magique



Nous avions rencontré Henri Sarla il y a quelques années. Cet Hennuyer, installé à Oostduinkerque, nous avait intrigué par sa palette nostalgique des années soixante, sa manière d'éveiller la mémoire de l'enfance et la mer (paraphrasant ici la chanson phare de Léo Ferré, La mémoire et la mer, un des textes les plus envoutants et énigmatiques de la chanson française), sa façon de dévoiler la lumière impalpable de la mer du Nord, ce gris-vert que le soleil vient embaumer d'embruns de sable. Nous avions été ému par le tableau L'horloge qu'il exposait déjà à l'époque aux cimaise de Yesartgallery, où nous retrouvions, tel qu'en notre souvenir, ce lieu aujourd'hui détruit. Il était sur la digue le lieu de rendez-vous des amours adolescentes, le point de repère des enfants perdus et le salon de dégustation gourmande des adultes avalant des "crèmes glacées" ou des gaufres de Bruxelles au sucre impalpable...

De ce tableau nous avons orné la couverture d'un recueil de nouvelles, L'année dernière à Saint Idesbald dont le titre mémoriel semblait appeler cette illustration.









En relisant ce que sous la plume d'Edmond Morrel nous écrivions alors, il ne nous semble pas devoir retirer le moindre mot à ce texte intitulé "Henri Sarla peintre de l’instant magique", qui accompagnait l'enregistrement sonore de la rencontre avec l'artiste.


Certes Saint-Idesbald, Koksijde et Oostduinkerque ne forment plus qu’une seule entité administrative. Mais cette fusion n’enlève rien à l’identité de chacune de ces stations balnéaires du Nord, en particulier à Saint Idesbald qui est un espace pictural en soi. Suffisent à le démontrer les Paul Delvaux, Taf Wallet et Walter Vilain dont les noms ont traversé les frontières.
Aujourd’hui il convient d’ajouter celui d’Henri Sarla.
Nous l’avons rencontré dans son atelier.
Au hasard d’une promenade dans le Strandlaan, à quelques rues de l’"Horloge", qui s’élève dorénavant dans un gris aussi moderne que triste, un tableau exposé dans la galerie YES Art Gallery éveille dans le coeur du passant une émotion nostalgique. Une toile signée Henri Sarla a restitué l’exacte émotion nostalgique de ce qu’est Saint Idesbald et tant d’autres lieux au long de la côte. Dans la magie de l’émotion nourrie de l’enfance, le peintre a saisi l’essentiel : une architecture de briques jaunes et de ciment blanc, que les lumières de chaque saison mettent en valeur, des lignes aux rondeurs dunaires, des courbes automobiles qui font fi de l’aérodynamisme, des envahissements de sable sur les briques rouges de la digue, des corps en vacance qui se désaltèrent de soleil et d’embruns.
Henri Sarla est un de ces peintres dont vous conservez longtemps dans le coeur cette sorte d’innocence mélancolique à laquelle il vous abandonne dans le miroir de ses tableaux.
Ses oeuvres récentes explorent dans la lignée d’un Hopper le quotidien que lui inspirent d’anciennes photos de famille. Il en explore la gestuelle figée et souriante de ces modèles de l’instantané, il extrapole la maladresse des cadrages, il va ainsi dans la lumière des êtres et il nous émeut.
Si vos pas vous mènent à Saint Idesbald ou dans l’une ou l’autre exposition qui accueille les oeuvres d’Henri Sarla, interrompez la marche du temps et entrez dans son univers. L’émerveillement est au rendez-vous.
Edmond Morrel

Pourquoi ne pas franchir à nouveau la porte de la Yesartgallery et y prendre un peu de cette lumière  dunaire si proche de l'imagerie de l'enfance...

Jean Jauniaux, Ficheront-Bruxelles-Saint-Idesbald, le 14 août 2018

Vous pouvez voir les nouvelles toiles d’Henri Sarla aux cimaises de la Yes Art Gallery à Saint-Idesbald jusqu'à la fin du mois de septembre 2018.
Adresse : 
Strandlaan, 239c
B-8670 Koksijde
patrick@yesartgallery.com