dimanche 5 août 2018

"La tristesse des femmes en mousseline", le dernier roman de JD Baltassat

«  La tristesse des femmes en mousseline » 
Jean-Daniel Baltassat
aux Editions Calmann-Levy.
Sortie en librairie le 16 août 2018.

L'auteur sera l'invité de la rencontre littéraire de  PEN Belgique à Bruxelles le 10 septembre 2018.


Voici un roman majeur, définitif, intense. Clé de voûte de ce que Baltassat a déjà publié parmi ses « romans d’art », inspirés d’œuvres et d’artistes imaginaires ou réels, comme Le valet de peinture, Le divan de Staline.
La tristesse des femmes en mousseline produit la sensation vertigineuse de pouvoir déchiffrer la peinture, la littérature, l’art et la vie en disposant enfin d’une palette et d’un d’alphabet sensibles. Il n’est pas une page de ce grand livre où l’on n’ait envie de s’arrêter et de revenir pour souligner une phrase, pour entourer un paragraphe, pour annoter d’un point d’exclamation (point d’admiration) les formulations par lesquelles s’exprime, en fin de compte, la fonction de l’art, cet « excès d’amour » qu’évoque Berthe Morisot lorsqu’elle parvient enfin à répondre à la demande que lui avait adressé Mallarmé d’exprimer « un mot, une phrase qui dirait le poème de (sa) peinture ».
Le roman alterne, en les superposant, la perception qu’a Paul Valéry de la fin de sa vie, de l’épuisement des sens, de ce début d’indifférence aux réalités épouvantables du monde de février 1945, et le souvenir des rencontres fondamentales, un demi siècle plus tôt, du jeune Valery avec Mallarmé, et avec celles et ceux qui composaient sa cour fervente des « Mardis ». Il y a vu pour la première fois la peintre Berthe Morisot.
S’insèrent dans ce va-et-vient entre la réalité et ce que la mémoire nous en laisse, enchâssées au cœur du roman, les pages d’un carnet apocryphe de Berthe Morisot que recopie le poète pour nourrir le catalogue d’une exposition mise sur pied à l’Orangerie en 1941. Lorsqu’il s’y rend, en juin de cette année-là, Valery se fait accoster avec violence par une visiteuse indignée qu’il se soit associé à l’insolente exposition de la beauté, comme s’il ne savait pas « ce qui se passe dehors ! ».
Il s’agit là de la première partie de ce roman diptyque dont le deuxième panneau romanesque et imaginaire est fait du carnet de Berthe Morisot qu’invente et recrée pour nous le romancier. Il y a dans ce deuxième mouvement de l’œuvre un autre éblouissement dont l’écrivain enveloppe le lecteur, en lui donnant accès à cette part de l’intime où l’artiste puise son œuvre, cet énigmatique labyrinthe de sensations, de sentiments, de peurs, de doutes dont l’artiste ne cesse d’explorer l’inconnu. Ainsi en va-t-il de ces pages où Berthe Morisot raconte les séances de pose au cours desquelles Edouard Manet, son beau-frère, réalise une des œuvres les plus déroutantes de son temps, « Le Balcon ». Le romancier nous offre, par l’artifice d’un carnet imaginaire, une vision stupéfiante du tableau dont il reconstitue la genèse à partir des rêveries et des pensées d’un des personnages de celui-ci, peintre elle-même. Il y a là une mise en abyme sidérante de ce qu’un tableau nous donne à voir d’inépuisable.
Le roman se clôt par un retour au réel, dans l’appartement de Valéry. Nous sommes en 1945. Le réel s’incarne dans la personne d’Hélèna Brovner, jeune femme juive, cachée depuis trois ans, au visage « de pure couleur en guise de face ou de masque. » Il songe alors, le poète, à « ces visages aux traits effacés (…), rien d’autre que la peinture du silence de Morisot ».

A partir de cet entrelacement des temps, de ces surgissements de l’avant – jeunesse, art, beauté – dans le présent – les camps que l’on découvre et libère, la dévastation de l’humanité –, JD Baltassat tire les fils de ce jeu d’ombres et de lumières qu’il noue, tresse, et tisse. Il alterne les points de vue, use de ce « on » et de ce « nous » lorsqu’il nous place dans le regard de Valéry ; il déploie, à sa manière de peintre, toutes les nuances d’un phrasé dont les résonances nous laissent pantois d’émotion ; il développe, à sa façon de photographe, les images du réel en choisissant le cadrage et la lumière qui en feront ressortir l’essentiel, le presque dissimulé. Combien de fois, en le lisant, nous sommes-nous arrêtés au bout de la page, pour revenir à son début et, retenant notre avancée dans le livre, avons-nous exploré à nouveau l’espace littéraire de Baltassat ? Chacune de ces pages est un ravissement du sensible, de l’intelligence, de la littérature et de l’art. La tristesse… nous raconte certes ce que furent Berthe Morisot et Paul Valéry. Bien au-delà des apparences, Baltassat explore un questionnement universel : quelle est la place de l’art et de la beauté dans l’univers humain ? Cet « excès d’amour » n’est-il pas un leurre, un mensonge, une dissimulation, une escroquerie  lorsqu’il est confronté au réel ? A moins que ce ne soit l’inverse ? Et que l’art seul puisse exprimer les tourments qui nous constituent, refléter les émotions que le réel nous dissimule ?
Baltassat n’explore-t-il pas ici, une nouvelle fois, le questionnement central qui le hante : en écrivant comme il le fait sur l’art, poète-romancier ne nous rappelle-t-il pas que la littérature nous aide à appréhender le réel en explorant, avec nous, sa complexité qu’il éclaire à chaque livre ?  L’imaginaire se confond avec le réel, l’explore jusqu’au tréfonds et nourrit en nous cet insatiable questionnement, cette inlassable curiosité dont Baltassat aiguise avec voracité les enchantements. Lorsque Baltassat (sur le site de l’éditeur) dit de Berthe Morisot qu’elle peint « la transparence et la lumière », n’évoque-t-il pas inconsciemment sa propre démarche d’écrivain ?

Jean Jauniaux, Fichermont, août 2018.

Jean Daniel Baltassat sera l’invité de PEN Belgique le 10 septembre 2018 à 18h30 au Palais des Académies de Bruxelles. Il répondra aux questions de Jean Jauniaux au cours de la première rencontre littéraire de la rentrée. Pour en savoir davantage : https://www.penbelgique.com

Nous l’avons interviewé à plusieurs reprises avec la complicité d’Edmond Morrel sur le site de www.espace-livres.be

Nous l’avions également reçu dans le cadre des rencontres PEN à la sortie du film, Le divan de Staline, inspiré de son roman éponyme et réalisé par Fanny Ardant. 
On rêverait de voir Fanny Ardant incarner le rôle de Berthe Morisot dans une prochaine adaptation… 


Né en 1949, Jean-Daniel Baltassat a étudié l’histoire de l’art, du cinéma et de la photographie, et publié plus de vingt ouvrages, sous son nom ou sous pseudonyme. Son dernier roman, Le Divan de Staline, a été adapté au cinéma par Fanny Ardant, avec Gérard Depardieu et Emmanuelle Seigner. 


"Berthe, vous pouvez douter de tout,  mais pas de cela. Vous portez l’amour  en peignant. La main qui tient votre pinceau  est celle de l’amour. Rien ne pourra se faire  de beau sans lui. Qu’importe si vous  ne savez pas où cela vous conduira, pour qui et comment. Cela viendra  et ce sera votre oeuvre."

1945, à Paris. Paul Valéry, vieux solitaire indifférent  à la fureur des temps, doit en admettre l’horreur.  Cherchant la lumière, il rouvre le carnet hérité  dans sa jeunesse de Berthe Morisot, peintre du silence  et de l’absolu. Dans ses mots, il affronte l’exigence vitale  de beauté qui fut sa quête. Revient alors le souffle  de la vie, malgré tout.