Voici déjà la septième livraison inspirée à Jean Lacroix par l'actualité discographique "classique". Avec simplicité et érudition, il nous démontre combien une écoute sensible peut mettre en évidence les artistes autant que les oeuvres. Le violon de Saténik Khourdoïan nous a enchanté autant que lui, qui nous en dit ici quelques pistes de lecture et d'écoute...
Jean Jauniaux, le 13 août 2018
Saténik Khourdoïan et Alexander Gurning - Ysaÿe, Fauré, Saint-Saëns
Saténik Khourdoian est
Konzertmeister de l’Orchestre symphonique de la Monnaie. Elle signe son tout
premier enregistrement, pour Fuga Libera (FUG747), dans un programme Ysaÿe,
Fauré, Saint-Saëns, accompagnée au piano par Alexander Gurning. Et c’est un
régal de virtuosité et d’expressivité ! Formée au Conservatoire de
Marseille, puis au Conservatoire supérieur de Musique de Paris dans la classe
de Jean-Jacques Kantorow, Saténik Khourdoian a été lauréate de plusieurs
concours internationaux et a remporté le concours Katchaturian à Erevan en
2006. Elle joue sur un Guarnerius del Gesu, prêté par un mécène. Ce CD montre à
quel point elle sait faire chanter cet instrument qui met en valeur sa sonorité
chaude et pleine.
Il faut dire que le programme
choisi lui convient à merveille. Le Poème
élégiaque d’Ysaÿe est une partition au lyrisme intense, qui se déploie dans
un univers racé, l’Extase du même est
un poème plein de passion qui demande à l’interprète une grande maîtrise de soi
pour ne pas tomber dans… l’extase. La soliste est parfaitement à l’aise dans ce
répertoire, dont elle nuance toutes les difficultés avec sérénité. Comme elle
l’explique dans le livret, elle a voulu
plonger dans les délices discrets, presque secrets, de ce souffle qui anime la
sonate « française » à l’orée du vingtième siècle : méandres
sinueux et séducteurs de la suggestion, de la rêverie ; geste rare,
précis, élégant, mystérieux. Pari réussi avec une maîtrise et un charme
évidents, qui s’accentuent encore dans la Sonate
n°1 opus 13 de Fauré. Ici, Saténik Khourdoian prend à bras le corps une
partition enflammée à laquelle elle insuffle une incroyable ferveur. Le paysage
déployé par le duo qu’elle forme avec Alexander Gurning, dans une démarche où
la complicité est une évidence, est un univers de beauté. On en arrive ainsi
à écouter, fasciné, ces deux artistes
qui allient, dans ces œuvres inspirées, le sens du dialogue au lyrisme le plus
exalté, sans négliger l’équilibre de la forme ni la splendeur plastique. La
transcription par Ysaÿe du Caprice en
forme de valse op. 52 n° 6 de Saint-Saëns complète avec panache ce
témoignage d’une artiste engagée qui, espérons-le, nous permettra encore de
savourer son jeu magistral à l’occasion d’autres moments discographiques.
Jean Lacroix