lundi 13 août 2018

Saténik Khourdoïan : le jeu magistral

Voici déjà la septième livraison inspirée à Jean Lacroix par l'actualité discographique "classique".  Avec simplicité et érudition, il nous démontre combien une écoute sensible peut mettre en évidence les artistes autant que les oeuvres. Le violon de Saténik Khourdoïan nous a enchanté autant que lui, qui nous en dit ici quelques pistes de lecture et d'écoute...


Jean Jauniaux, le 13 août 2018



 Saténik Khourdoïan et Alexander Gurning - Ysaÿe, Fauré, Saint-Saëns 


Saténik Khourdoian est Konzertmeister de l’Orchestre symphonique de la Monnaie. Elle signe son tout premier enregistrement, pour Fuga Libera (FUG747), dans un programme Ysaÿe, Fauré, Saint-Saëns, accompagnée au piano par Alexander Gurning. Et c’est un régal de virtuosité et d’expressivité ! Formée au Conservatoire de Marseille, puis au Conservatoire supérieur de Musique de Paris dans la classe de Jean-Jacques Kantorow, Saténik Khourdoian a été lauréate de plusieurs concours internationaux et a remporté le concours Katchaturian à Erevan en 2006. Elle joue sur un Guarnerius del Gesu, prêté par un mécène. Ce CD montre à quel point elle sait faire chanter cet instrument qui met en valeur sa sonorité chaude et pleine.

Il faut dire que le programme choisi lui convient à merveille. Le Poème élégiaque d’Ysaÿe est une partition au lyrisme intense, qui se déploie dans un univers racé, l’Extase du même est un poème plein de passion qui demande à l’interprète une grande maîtrise de soi pour ne pas tomber dans… l’extase. La soliste est parfaitement à l’aise dans ce répertoire, dont elle nuance toutes les difficultés avec sérénité. Comme elle l’explique dans le livret, elle a  voulu plonger dans les délices discrets, presque secrets, de ce souffle qui anime la sonate « française » à l’orée du vingtième siècle : méandres sinueux et séducteurs de la suggestion, de la rêverie ; geste rare, précis, élégant, mystérieux. Pari réussi avec une maîtrise et un charme évidents, qui s’accentuent encore dans la Sonate n°1 opus 13 de Fauré. Ici, Saténik Khourdoian prend à bras le corps une partition enflammée à laquelle elle insuffle une incroyable ferveur. Le paysage déployé par le duo qu’elle forme avec Alexander Gurning, dans une démarche où la complicité est une évidence, est un univers de beauté. On en arrive ainsi à  écouter, fasciné, ces deux artistes qui allient, dans ces œuvres inspirées, le sens du dialogue au lyrisme le plus exalté, sans négliger l’équilibre de la forme ni la splendeur plastique. La transcription par Ysaÿe du Caprice en forme de valse op. 52 n° 6 de Saint-Saëns complète avec panache ce témoignage d’une artiste engagée qui, espérons-le, nous permettra encore de savourer son jeu magistral à l’occasion d’autres moments discographiques.

Jean Lacroix