lundi 12 octobre 2020

Une autobiographie de Richard Miller: "Moëlle Ritale"

 Dans le paysage politique, culturel et littéraire belge francophone, la silhouette de Richard Miller est familière. Homme politique, ancien ministre de la culture (une des rares occasions dans la vie politique de notre pays où un homme de culture est en charge de cette compétence si spécifique), nouvelliste, philosophe (on lui doit la création du concept d'imaginisation du réel auquel nous avions consacré déjà une interview toujours en ligne), cinéphile passionné, éditeur (il a créé avec son complice Jean Meurice les Editions du Cep , nous l'avions rencontré au lancement de cette nouvelle maison d'édition), créateur de revue ("Ulenspiegel" est la plus récente revue papier apparue dans le foisonnement médiatique virtuel...Richard Miller l'évoquait récemment à notre micro. ).

C'est dans la dernière livraison d'ULENSPIEGEL que Richard Miller publie la première partie d'un "Essai d'autobiographie imaginiste" sous le titre Moëlle Ritale"


On le sait, c'est dans l'enfance que réside une grande part de l'invention littéraire chez les écrivains. Dans le cas de Miller, l'exercice de l'autobiographie s'est présenté comme une nécessité d'écriture, à un âge et au terme d'une activité multiple comme en témoigne le premier paragraphe de cet article. Le recours à un langage nouveau, à une forme d'écriture inédite s'est peut-être imposée à l'homme public Richard Miller, par une sorte de pudeur ou de réserve. Le résultat en est d'autant plus saisissant pour le lecteur de cette vingtaine de pages, d'une densité émotionnelle sublimée par la sincérité et la liberté que le langage nouveau octroie à l'auteur. Le surgissement de l'enfance, marquée par un handicap physique dû à la poliomyélite et la misère sociale (dans la ville de Lodelinsale ou Lodelingesale Miller est issu de ce qu'il qualifie de sous-prolétariat) trouve toute son ampleur tragique dans la formulation imaginiste , libérant le narrateur de la simple réalité des faits, aussi cruels et injustes fussent-ils, pour en exprimer l'émotion à l'état brut. Comme si, au lieu de se trouver face à la photographie d'un état, on était immergé dans sa représentation la plus brutale. 

Citons un bref exemple de cet effet de libération des sens:

HÔPITAUX où le silence des larmes se répéta de la douleur inséminée dans le bras inutile de gauche douleur ampérée par une électrication médicalement cruelle‑! Électriser la myélite des os et des muscles «‑Courage‑! ça va réveiller ton bras‑!‑» [comment plus tard Richard apprit-il que le très militaire Frédéric Guillaume Victor Albert appelé GUILLAUME II (deux) endura lui aussi la dualité incompréhensible des + et des – dans son bras passé l’arme à gauche‑?]. Les portes battantes du couloir inHospitalier s’ouvrent sur un «‑Rien ne fut possible qui ne fût tenté‑».


Nous avons interviewé Richard Miller à propos de cette Moëlle Ritale et découvert à cette occasion le projet qu'il avait de prolonger ce récit au delà de ces pages-ci qu'il publie (comme un ballon d'essai) dans la revue Ulenspiegel dont le titre ne pouvait être meilleur réceptacle pour un tel texte qui explore le langage en le ré-inventant.

Au terme de cet entretien, notre espoir est d'avoir convaincu Richard Miller de poursuivre ce récit. Du romancier, Mauriac disait qu'il devait gratter jusqu'à l'os pour arriver à une forme de vérité. Dans le cas de Miller, on va au-delà: jusqu'à la moëlle...

Jean Jauniaux, le 10 octobre 2020.

Pour écouter cet entretien sur SOUNDCLOUD cliquer ICI

 

vendredi 28 août 2020

Un article de jean Lacroix: Interprètes finlandais pour Mahler et Lindberg



Commencée pendant l’été 1904 et terminée le 15 août 1905, la Symphonie n° 7 de Gustav Mahler est une œuvre qui ne se laisse pas appréhender à la première écoute. Elle se situe entre le romantisme et la modernité, avec des dissonances acerbes, voire caustiques, souvent corrosives, annonçant plus qu’à son tour l’expressionnisme, avec de fréquents changements d’éclairage et une orchestration fournie. 

Longtemps demeurée dans l’ombre des autres fresques de Mahler, elle a pris ses lettres de noblesse avec les lectures de Bernstein, Tennstedt, Haitink, Solti, Janssons ou, à notre avis, encore plus avec Sinopoli, qui en a traduit toutes les contradictions et toute la nature équivoque. Une nouvelle version est proposée dans le cadre d’une intégrale en cours de l’Orchestre du Minnesota, sous la direction de son directeur musical depuis 2003, le chef finlandais Osmo Vänskä (BIS-2386), dont une intégrale Sibelius a été saluée il y a quelques années par la critique internationale. La Symphonie n° 7 est une « machine » en cinq mouvements de près de 80 minutes qui entraîne l’auditeur dans un univers qui se cristallise autour de deux grands Allegros qui enserrent deux Nachtmusik, au centre desquelles émerge un Scherzo aux allures grotesques. 

Le premier mouvement est vaste (22 minutes en moyenne) et enlevé, avec un Adagio initial qu’un cor ténor vient colorer par une mélodie qui a un arrière-fond de marche funèbre. L’Allegro qui suit se partage entre rythme de marche et vision sensuelle de la nature, dans un contexte d’abord souple puis conquérant. Osmo Vänskä entraîne les forces du Minnesota dans un dosage subtil de souplesse et de puissance. Il n’aborde pas la première Nachtmusik de façon imposante. Il se souvient sans doute de l’inspiration de Mahler qui, selon le chef d’orchestre Willem Mengelberg, se serait nourri de La Ronde de nuit de Rembrandt. Vänskä joue de ce clair-obscur, sans appuyer les cuivres, mais en valorisant des accents que l’on pourrait qualifier de pointillistes. La valse du Scherzo, qui réclame de la finesse dans ses rythmes chaloupés, évite la sentimentalité et montre à quel point les cuivres américains ont encore de beaux jours devant eux. La deuxième Nachtmusik, au cœur de laquelle une guitare et une mandoline, insolite emploi, créent une sorte d’intermède baroquisant, est menée comme l’indication andante amoroso le demande. Le cinquième mouvement, le Rondo-Finale, peut-être l’une des pages les moins convaincantes de Mahler, est un passage délicat pour chef et orchestre afin de ne pas sombrer dans la banalité. Cette pulsation qui associe les idées les plus élevées aux espaces à la limite de la trivialité trouve en Vänskä un défenseur de l’équilibre entre les extrêmes, grâce à une poésie sous-jacente et surtout par la construction rigoureuse, témoin de l’ambigüité du propos. Voilà, pour les réfractaires à cette symphonie qui est peut-être la moins assimilable de Mahler, une approche orchestrale contemporaine digne de tous les éloges, dans une prise de son transparente effectuée à Minneapolis en novembre 2018.

 


Autre univers, plus déroutant, celui de Magnus Lindberg, compositeur finlandais né en 1958, qui a été longtemps marqué par l’école spectrale, avec des œuvres d’une grande violence très rythmique. Comme d’autres compositeurs de l’extrême, il semble évoluer vers une écriture à la fois néotonale, voire même néoromantique. Un nouveau CD Ondine (ODE 1345-2) en est un exemple frappant. On y trouve les Deux Episodes pour orchestre de 2016, commande pour les Proms londoniens de la même année. Destinée à précéder une interprétation de la Symphonie n° 9 de Beethoven, cette partition en deux parties reliées, de neuf minutes chacune, n’a de commun avec le maître de Bonn que la quinte qui conclut le deuxième épisode : c’est la même qui ouvre la page de Beethoven. Destinés à un orchestre traditionnel avec harpe, piano et percussion imposante, ces morceaux « de circonstance » illustrent l’habileté de Lindberg à combiner les timbres et à maintenir un discours au sein duquel les couleurs fortes et les nuances sont variées. Ce n’est pas la page la plus intéressante de Lindberg ; par contre, la première partie du programme est importante et marque un tournant vers l’écriture vocale. Il s’agit d’une partition impressionnante pour soprano et orchestre de 2014, intitulée Accused. Three interrogations. Le choix des textes, inattendus, éclaire trois moments de l’histoire politique. Le premier reprend un événement de la vie de Théroigne de Méricourt (1762-1817). Cette originaire de la région liégeoise, ardente féministe et partisane de la Révolution française au point de se rendre à Paris en 1791, est livrée aux Autrichiens par des émigrés et subit un interrogatoire au cours duquel elle défend les Droits de l’homme. Elle est relâchée sur pression de la France. Grand bond dans le temps pour un nouvel interrogatoire, dans les locaux de la Stasi en Allemagne de l’Est, en 1960, avec les réponses d’une personne à laquelle reproche est fait d’avoir lu à deux ou trois reprises le journal ouest-allemand Der Spiegel. Troisième volet : l’affaire Bradley (devenue Chelsea) Manning, qui a livré en 2010 à WiKiLeaks des secrets de la défense américaine. Frank Lamo, un hacker, dénonça Manning aux autorités. Lindberg a mis en musique les réponses laconiques et stéréotypées de Lamo à un enquêteur. Pour cette partition au contenu a priori disparate, trois langues interviennent successivement : le français, l’allemand et l’anglais, avec des intonations qui divergent et, pour l’allemand, des accents expressionnistes proches d’Alban Berg. Quant à l’orchestre, il est foisonnant : à côté des cordes et de la harpe, on trouve un effectif impressionnant de cuivres, de bois et de vents ainsi qu’une percussion abondante (dont la présence est courante chez le compositeur). C’est la cantatrice Anu Komsi qui est la voix de cette sorte de cantate très lyrique, aux côtés paroxystiques, soulignant les contextes judiciaires qui entourent le thème de la partition. Cette soprano, épouse du chef d’orchestre Saraki Oramo, est aussi généreuse dans l’investissement vocal que l’a été, aux dires de la critique, Barbara Hannigan lors de la création de la partition à Londres ; depuis, Lindberg a apporté de légères modifications à Accused. Il s’agit d’une expérience musicale très forte, dérangeante même, car la voix transperce les émotions ressenties pour mieux les susciter. La performance de la cantatrice est stupéfiante, soutenue par le formidable Orchestre de la Radio finlandaise, dirigé avec une énergie dévastatrice par le chef de haut niveau qu’est le Finlandais Hannu Lintu, un habitué de la musique de Lindberg. Un CD décapant pour découvrir de manière optimale la création de notre temps, dans tous ses aspects, troublants et séduisants à la fois.

 

 

    Jean Lacroix    

 

            

vendredi 17 juillet 2020

Un article de Jean Lacroix : Penderecki à Salzbourg, Respighi à Rome

Le Festival de Salzbourg aurait dû, en cet été 2020, briller de tout l’éclat de sa programmation éclectique. Pour les raisons sanitaires que l’on connaît, il aura bien lieu, mais avec une affiche réduite et des dispositions liées aux circonstances. La sortie d’un CD (BIS-2287) nous donne l’occasion d’un retour en arrière et de rêver que nous étions présents dans la cité de Mozart, le 20 juillet 2018, lors du concert inaugural du Festival. Ce soir-là, l’Orchestre Symphonique de Montréal s’y produisait pour la première fois, dans une des partitions les plus emblématiques du XXe siècle, la Passion selon Saint-Luc de Krzysztof Penderecki (1933-2020), en présence du compositeur (en photographie avec l’orchestre en milieu de pochette), dont c’était l’année de ses 85 ans. On le sait : Penderecki est décédé le 29 mars dernier, après une longue maladie. Nous ne reviendrons pas ici sur cette exceptionnelle carrière musicale, située entre avant-garde (parfois extrême) et tradition, mais aussi entre inspiration profane et mysticisme. Si l’on observe bien l’ensemble de l’œuvre de Penderecki, on y constate que les partitions à tendance sacrée y figurent en grand nombre. En réalité, le compositeur, né en 1933, a vécu pendant longtemps sous le régime communiste, mais n’a jamais cessé d’affirmer sa foi et ses convictions religieuses, l’expression de ses certitudes dans ce domaine se concrétisant par des pièces aux titres évocateurs : Credo, Canticum canticorum, Magnificat, Te Deum, Requiem polonais… En 1966, la cathédrale de Munster célébrait son 700e anniversaire ; à cette occasion, Penderecki, encore jeune compositeur, a écrit sur commande sa Passion selon Saint-Luc, créée dans le majestueux édifice le 30 mars de la même année, sous la direction de Henryk Czyz (il existe un enregistrement avec l’Orchestre de la radio de Cologne).

Destinée à un grand orchestre avec solistes et trois chœurs mixtes, cette Passion, à la fois sombre, voire lugubre, puissante et déchirante, utilise des récits en latin de Saint-Luc, des versets de Saint-Jean, des lamentations de Jérémie et des Psaumes de David dans un contexte où l’on retrouve des structures sérielles, des dissonances ou des clusters traités en mélodies de timbres. L’œuvre est très spectaculaire, à forte composante émotionnelle (elle rappelle aussi l’horreur de la seconde guerre mondiale) et ses séquences narratives, ses airs et ses chœurs, tout en contrastes, sont une expérience musicale stupéfiante. Il en existe une version de 2002 chez Naxos que nous affectionnons pour sa force incantatoire, dirigée par Antoni Wit à la tête des forces de la Philharmonie de Varsovie, de solistes et de chœurs polonais très investis. 

A Salzbourg, où l’Orchestre Symphonique de Montréal se produisait donc pour la première fois en ce 20 juillet de l’an dernier, c’est le chef japonais Kent Nagano qui officiait, avec les chœurs de la Philharmonie de Cracovie, qui chantent dans leur arbre généalogique, un récitant (Slawomir Holland) et des solistes du chant émouvants et pleins de ferveur : la soprano chaleureuse Sarah Wegener, le baryton Lucas Meachem, au timbre séduisant, et la basse Matthew Rose. Penderecki et l’Orchestre de Montréal, c’est une histoire d’amitié : le compositeur, qui était aussi chef d’orchestre, l’a souvent dirigé et des liens se sont tissés au fil des années. Quant à Kent Nagano, Américain d’origine japonaise né en 1951, il a créé un grand nombre d’œuvres contemporaines (Adams, Rihm, Eötvös, Saariaho…). Il emmène les forces orchestrales et chorales de cette aventure à l’impact sonore impressionnant dans un élan qui, au-delà de la part de la modernité assumée de la partition relie celle-ci au passé et, inévitablement à Bach, pour le message délivré et pour l’expression de la foi, qui s’engage autant sur le terrain de la souffrance du Christ que sur celui de la détresse humaine. Comme toujours chez BIS, livret exemplaire, y compris en français. Une grande version en public, qui a rencontré un succès mérité à Salzbourg. La captation en direct ajoute une dimension de participation, mais elle n’est pas toujours d’une qualité maximale. Une version complémentaire à celle d’Antoni Wit chez Naxos, dont les tempi sont pris dans une respiration plus large et que l’on qualifiera de tragique ; elle demeure prioritaire pour cette Passion.

 

Dans un tout autre registre, on ne peut passer sous silence, sous label Tactus (TC 871804), un disque consacré à des œuvres pour piano à quatre mains d’Ottorino Respighi (1879-1936). Ce compositeur italien est d’abord connu pour son triptyque où il évoque la capitale de son pays : Les Pins de Rome, Les Fontaines de Rome et les Fêtes romaines. Des partitions superbement orchestrées, hautes en couleurs et en sensations sonores, qui sont de véritables démonstrations des qualités instrumentales de ce créateur né à Bologne. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il s’est rendu en Russie vers 1900, a été alto solo dans l’Orchestre impérial de Saint-Pétersbourg et a travaillé avec Rimski-Korsakov, ce qui explique la richesse de sa palette. Sur le présent CD, on retrouve deux de ces pages : Les Pins de Rome (1924) et les Fontaines de Rome (1916) dans leur version à quatre mains due au compositeur. Ce sont de bien agréables moments, sous les doigts de Gabriele Baldocci et Francesco Caramiello (dont on se souviendra qu’il a signé les deux rares concertos de Martucci avec Francesco d’Avalos, disponibles chez Brilliant), deux pianistes qui soulignent les nuances, les finesses et les saveurs de ces partitions. Même si l’on conviendra que l’orchestration sied mieux aux partitions dans leur paysage aux parfums incomparables, le voyage vaut le déplacement en termes de subtilité. C’est le cas aussi pour les Six petites Pièces et pour les deux suites des Danses antiques et Airs anciens, d’après des morceaux des XVIe et XVIIe siècles, dont les réminiscences anciennes ont un parfum léger et parfois badin. Un CD de fraîcheur, gravé en septembre 2016, à Ercolano (commune au pied du Vésuve où se trouvent les ruines de la cité d’Herculanum), dans la Villa Caramiello, qui date du XVIIIe siècle. Un lien avec l’un des deux pianistes, qui porte le même nom et est né à Naples ?

 

Jean Lacroix

 

 

 

samedi 11 juillet 2020

La musicienne Mel Bonis racontée par le philosophe et dramaturge Frank Pierobon

Je voudrais décrire l'état de l'âme à la fois si angoissant, torturant et délicieux, où me plonge la musique - celle que j'aime - je devrais pouvoir le faire, j'ai tant éprouvé cette sensation aiguë jusqu'à la douleur, même tout enfant (je pourrais dire surtout étant enfant). C'est alors comme une agonie d'aspiration vers le bonheur, une tension de tout être sensible, cordial, vers une chose qui nous sourit et se dérobe à la fois.(Mel Bonis) 

Dans un seul(e)-en-scène que l'on a pu voir à Bruxelles pendant trois soirées à la sortie du confinement au théâtre de la Clarencière, et que l'on espère voir reprogrammé bien vite,  le dramaturge Frank Pierobon (qui est aussi philosophe et musicien),nous offre une soirée de théâtre, d'humanité et de musique. 


Le texte qu'il a donné à la comédienne Sophie de Tillesse se déroule dans une fluidité narrative et stylistique incarnant avec empathie le destin de la musicienne Mel Bonis (et à travers elle de toutes les femmes dont les vocation et talent ont été contrariés par la pression sociale qui fait prévaloir le masculin en tout ce qui est création). Il y a dans la manière d'écrire le théâtre de Pierobon, qui est aussi un musicien érudit et sensible,  un souci constant de préserver la qualité du texte et de maîtriser son expression dans une mise en scène sobre et limpide.  

L'entrelacement des trois vocations ou compétences de l'auteur (la musique, l'écriture et la philosophie) équipent Pierobon de tous les instruments nécessaire à restituer un portrait si humain, si sensible, si vrai d'une artiste, dont l'art se fracasse sur les obstacles des convenances de son siècle. On aurait aimé entendre davantage sa musique (les extraits diffusés ont enchanté la public et donné envie d'aller à la découverte d'un répertoire  dont on a entendu quelques fragments énumérés ci-dessous). Frank Pierobon évoque ici la pièce qu'il lui consacre: On redécouvre aujourd’hui avec ravissement l’œuvre de la compositrice Mélanie Bonis (1858-1937) qu’on enregistre de plus en plus. L’on s’intéresse dès lors aux péripéties de son difficile parcours et l’on prend meilleure conscience aujourd’hui de ce qu’il était pratiquement interdit aux femmes, au dix-neuvième siècle, d’exister par elles-mêmes, de décider de leur vie et de faire œuvre créatrice. Chacun(e) mesurera le chemin que les femmes auront dû parcourir pour accepter l’idée qu’elles ont le droit de décider de leur destin, le devoir de le revendiquer et l’urgence de le faire respecter. L’exemple de Mel Bonis fera prendre conscience, nous l’espérons, du rôle que l’art et la créativité peuvent puissamment jouer dans la réinvention de soi. 

On a hâte de revoir ce spectacle dans un confort de vrai théâtre (hors confinement) pour en apprécier davantage encore toutes les modulations  d'un coeur battant et apprécier avec la distance nécessaire le jeu subtil de la comédienne Sophie de Tillesse. Cette dernière qui mêle une double formation de comédienne et de cantatrice était l'artiste idéale pour ce rôle qui nécessite davantage que d'être joué. Il s'agit ici, en effet, d'incarner un destin dont l'écho nous parvient de l'au-delà, d'une âme blessée à laquelle la comédienne insuffle la force de donner le récit. 

Des enregistrements musicaux alternent avec des fragments de textes extraits d'un livre de souvenirs écrits par Mel Bonis, mais pas publiés (encore ?). ceux-ci sont mentionnés dans la biographie de Mel Bonis écrite par son arrière-petite-fille Christine Géliot ("Mel Bonis, femme et compositeur, 1858-1937", L'harmattan, 2009

On ne peut que recommander au lecteur d'aller voir, dès qu'elle figurera à nouveau au programme d'un théâtre ce bel éventail  d'émotions vraies que  nous offre, une nouvelle fois, le théâtre de Frank Pierobon.

Edmond Morrel, le 11 juillet 2020

On peut voir des fragments de la pièce sur un trailer.


Interprétation : Sophie de Tillesse / Texte : Frank Pierobon /Production Crescendo ASBL