jeudi 30 mai 2019

En mémoire de François Weyergans, un interview enregistrée en 2012

Ecouter François Weyergans

LIVRaisons est aussi une sonothèque que l'actualité nous invite parfois à aller re-visiter. Ainsi le décès de François Weyergans survenu le 26 mai dernier, nous a -t-il donné l'occasion de réécouter l'interview qu'il accordait à Edmond Morrel en 2012 à l'occasion de la parution du roman Royal Romance


Jean Jauniaux, le 30 mai 2019. 

L'interview de François Weyergans est aussi disponible sur Soundcloud: 

"Royal romance" de françois weyergans aux editions julliard

Royal Romance est le nom du cocktail favori de Justine, la jeune comédienne dont s’est épris le narrateur Daniel Flamm, un romancier sexagénaire Parisien, qui nous raconte sa liaison épisodique avec une jeune actrice rencontrée à Montréal. Emotion nuancée d’humour, tendresse désabusée, autodérision et dépression sont les ingrédients du cocktail ciselé par François Weyergans dans son dernier roman en date.
Dans cet entretien de près d’une heure que nous aurions pu prolonger encore de parenthèses en associations d’idées, d’évocation de livres, d’écrivains, de films et de cinéma, François Weyergans nous enchante par la façon faussement désinvolte avec laquelle il nous dit combien la littérature est vitale et essentielle. Il nous dit aussi comment s’est déroulée sa candidature à l’Académie française, évoque Mick Jagger et Claude Levi-Strauss, cite Cocteau et donne envie de lire Vigny, dévoile l’angoisse de se lancer dans l’écriture d’un roman, et nous propose une mini master-class sur les romans policiers.
"Royal Romance" est un grand roman, celui d’un auteur à la sensibilité exacerbée et au style magnifique de fluidité et de (fausse) simplicité.
A lire toutes affaires cessantes, après avoir écouté l’interview passionnant qu’il nous a accordé...

Edmond Morrel

Meeting a writer in exile: Asli Erdogan

After exile...?


Asli Erdogan with Jean Jauniaux during book fair in Bruxelles 2017


In the framework of the ICORN-PEN International congress, held in Rotterdam from 29 to 31 may 2019, we interviewed the turkish novelist and writer Asli Erdogan.
She tells us what is the meaning of writing and living in exile, since we last met her in 2018 after she was released from the turkish jail where she had been detained during months.
A sensible testimony about what is post trauma, losing language, finding ways of writing and living...but also expecting with anxiety the future, knowing that, despite her fame, the exile f Asli Erdogan is reaching an "administrative" end, in four months...

To be listened with empathy but also trying to provide answers to pragmatic questions avoiding Asli Erdogan to become an illegal migrant outside Turkey and no longer a writer in exile.

The interview is to be listened on the soundcloud of LIVRaison, the blog of PEN Belgique

Jean Jauniaux
30 May 2019

lundi 27 mai 2019

Reine Elisabeth 2019: Après le palmarès

Au lendemain d'un scrutin électoral historique à bien des égards, au niveau fédéral belge, européen, et tout simplement citoyen, la musique nous aide-t-elle à appréhender la complexité du monde à travers, notamment, sa dimension esthétique? Le langage de la musique, dont l'universalité est démontrée avec davantage de force lors de grands concours internationaux comme le Reine Elisabeth, nous éclaire sur une part d'humanité qu'aucune dérive vers les extrêmes n'occultera jamais. L'art et la culture, dans les régimes les plus totalitaires dont la mémoire historique surgit dans les programmes d'extrême-droite et d'extrême-gauche qui nous sont proposés aujourd'hui comme si l'Histoire venait de commencer en 2019, , ont toujours continué d'irriguer le coeur des hommes de bonne volonté. Le cinéma, la littérature, la musique, le théâtre, la philosophie continuent à nous éloigner de la tentation de désespérer. Peut-être faudrait-il relire Zweig qui écrivait lorsqu'il comprit l'irrésistible montée du nazisme: 

L’idée européenne n’est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l’appartenance à un peuple, elle n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée. Il lui manque d’abord entièrement l’instinct enthousiaste qui anime le sentiment patriotique. L’égoïsme sacré du nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que l’altruisme sacré du sentiment européen, parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintérêt." 

Jean Lacroix, avec raison, poursuit son exploration de l'actualité musicale et il nous semble important de continuer, avec régularité et sincérité comme il le fait, de rendre compte de cette actualité-là, ornée de sa devise qu'il puise dans Nietzsche: "Sans la musique, la vie serait une erreur" .

Jean Jauniaux, 27 mai 2019 

PS: pour rappel, d'autres articles ont été consacrés ici au Concours Reine Elisabeth et à Sylvia Huang . Le lecteur peut les retrouver en cliquant ICI.

CONCOURS REINE ELISABETH 2019 : LA BELGE SYLVIA HUANG OBTIENT LE PRIX DU PUBLIC


Le palmarès de la session violon 2019 du Concours Reine Elisabeth est connu. C’est l’Américaine Stella Chen qui remporte le Premier Prix, devant le Canadien Timothy Chooi et un autre Américain, Stephen Kim. Les autres lauréats classés de la quatrième à la sixième place, sont la Canadienne Shannon Lee, la Hongroise Julia Pusker et la Roumano-Allemande Ioana Cristina Goicea. Forte domination donc pour le continent américain, même si les quatre musiciens qui en proviennent sont d’origine asiatique. Selon la tradition, les six autres lauréats ne sont pas classés selon un ordre chiffré, mais sont cités par ordre alphabétique.

Quelques remarques face à ce palmarès. Cette session 2019  a été très élevée sur le plan de la maîtrise technique et de l’investissement des candidats. Les pronostics étaient difficiles à émettre. On constate une fois de plus que, parmi les quatre premiers lauréats, trois d’entre eux se sont produits au cours des soirées de vendredi et de samedi, confirmant cette étrange habitude de voir les derniers artistes sur scène se retrouver en haut du classement. Pour les trois premières soirées, deux lauréats seulement figurent parmi les six premiers. Ce phénomène qui se répète demanderait une fine analyse.
Vu la qualité globale du plateau retenu pour ces finales, le classement était difficile à déterminer, répétons-le. Faisons donc confiance au jury quant à sa capacité à discerner les infimes différences qui existent entre ces virtuoses. Ce qui ne nous empêchera pas de considérer qu’un concours, c’est-à-dire un palmarès, a quelque chose de discutable et de frustrant quand il s’agit de musique, qui, par définition, entraîne diverses possibilités interprétatives. Tout se joue sans doute à quelques détails près.
En ce qui nous concerne, nous sommes étonné de voir la Hongroise Julia Pusker ne figurer qu’en cinquième place, alors que sa version du concerto de Beethoven, l’un des plus délicats à aborder, était vraiment habitée. 
Nous sommes encore plus étonné de ne pas retrouver notre compatriote Sylvia Huang parmi les six premiers classés. Depuis le début de la « compétition », on ne cesse de souligner ses exceptionnelles qualités techniques, sa sensibilité, sa musicalité et sa mise au service des partitions. On n’a cessé de louer le fait qu’elle était une musicienne dans l’âme, fine et racée. A-t-elle été pénalisée par le choix du Concerto de Dvorák dont le charme et les fraîches mélodies sont loin des envolées de Tchaïkowski, des territoires ravagés de Sibelius ou des ardeurs romantiques de Brahms ? Ou son excès de modestie a-t-il pesé dans la balance ? Toujours est-il que le public ne s’y est pas trompé : il lui a octroyé le convoité Prix du Public, et lui a réservé, lors de la proclamation, une formidable ovation, qui était tout autant un message d’amour qu’une reconnaissance de son jeu magnifique.   
Une page se tourne. Un concours, en fin de compte, n’est jamais qu’un moment dans une carrière, important certes, mais qui n’est ni un gage de réussite future ni une sanction. Il faut le considérer comme une étape dans le parcours de ces douze finalistes, qui nous ont tous convaincu que « sans la musique, la vie serait une erreur ».

Jean Lacroix, 26 mai 2019.



mercredi 22 mai 2019

Christian Libens: sur les ailes de Simenon...

"Les seins des saintes" et "Une petite histoire du roman policier belge"
Christian Libens
Editions Weyrich



Avec Les seins des saintes et Une petite histoire du roman policier belge, les amateurs de Simenon (et des thrillers troussés à la belge) seront doublement enchantés par ce retour à l'écriture du romancier Christian Libens. 

On sait de celui-ci la passion érudite qu'il nourrit à l'égard du père de Jules Maigret, mais aussi celle - qu'il partage avec un Baronian par exemple - des bouquineries où il aime à aller "chiner" les livres rares de la littérature dite "populaire" . Dans Une petite histoire du roman policier belge, un volume offert par les Editions Weyrich à l'achat d'un livre de la nouvelle collection Noir Corbeau, l'écrivain et essayiste mêlent leurs plumes respectives pour nous raconter plus d'un siècle d'édition "noire". Partant du premier livre policier édité en Belgique, Libens ouvre sa bibliothèque de polars aux curieux insatiables que nous sommes (ou que , grâce à lui, nous sommes devenus) en nous alléchant avec une somptueuse iconographie qui occupe les pages paires du livre. Ce sont de jeunes avocats bruxellois qui commettent le premier livre que l'on peut faire entrer dans la catégorie "policier" , sous le titre Maître Deforges, le livre paraît aux Editions Larcier. Ensuite, de façon continue, la Belgique francophone se fait remarquer dans le sillage des deux maîtres liégeois, Stanislas André Steeman et, bien sûr, Georges Simenon, usant de noms réels ou de pseudonymes (habitude prise à la Libération pour certains ou , pour d'autres, afin de se donner des airs anglo-saxons). Il serait fastidieux de les citer ici alors qu'ils sont si bien mis en évidence sous la jaquette noire du petit opuscule de Libens. 

A ce dernier, qui a orné son nom de l'initiale de son deuxième prénom, "O" pour Oscar, nous devons aussi le plaisir de découvrir un des trois premiers volumes de la nouvelle collection lancée par Olivier Weyrich (que nous avons évoqué par ailleurs) : Les seins des saintes.  En dépit de la noirceur du crime qui déclenche le récit - la découverte d'une femme dont les seins ont été atrocement mutilés - il y a dans la manière de Libens une jubilation d'écrire qui enchante. On devine le bonheur de l'écrivain inventant des personnages aussi excentriques que Georges Simon (inspecteur de police), un bouquiniste (sa librairie porte le nom simenonien en diable  Au pendu de Georges), un soixante huitard en guerre contre les quatre-quatre et autres envahisseurs de trottoirs, pour ce qui est des protagonistes principaux, escortés de personnalités plus secondaires mais aussi hautes en couleurs comme le juge et sa bonne dont il est souhaitable ici de laisser le lecteur découvrir la qualité de la relation.
Le lecteur est entraîné par la verve du narrateur, le regard amusé qu'il porte sur l'histoire, les lieux (Liège bien sûr) et les gens, la gourmandise avec laquelle il évoque son maître, Simenon, dans de savoureux échanges animés par le bouquiniste érudit...ou qu'il déploie en évoquant la salade liégeoise et l'agrément d'en achever la préparation avec un vinaigre bien choisi.

En fin de compte, il n'y aurait que du bonheur à lire ceci, n'étaient les crimes qui s'inscrivent obligatoirement dans tout roman policier, un récit rationnel dont le ressort dramatique est un crime..." écrivait Jacques Sadoul qui inaugure justement La petite histoire du roman policier belge...

Jean Jauniaux , le 22 mai 2019

"Libre comme Robinson" de Luc Dellisse

Le bonheur de la liberté...

Vers le site de l'éditeur


Il en va de certaines lectures, comme des grandes émotions : elles nous submergent, nous bouleversent et transforment le regard que nous portons à la fois sur nous-mêmes et sur le monde, l’intime et le lointain. Le dernier livre de Luc Dellisse, paru aux Impressions Nouvelles  donne à celui qui s’y immerge cette qualité-là de l’envahissement par la pensée, par l’esthétique et par la poésie d’une prose où chaque phrase vibre d’une clarté énigmatique autant qu’évidente. Nous avons été hypnotisé par le Petit traité de vie privée comme nous ne l’avions plus été depuis tant de rentrées littéraires. Il n’est pas une entrée de la centaine de courts chapitres qui constituent Libre comme Robinson qui ne nous ait effleuré de cette grâce singulière semblable à la démarche qu’adoptait Montaigne lorsqu’il s’observe non pour se comprendre, mais pour tendre à travers la sincérité qu’il s’inflige, un miroir intransigeant sur son prochain. Il y a aussi du Voltaire dans la démarche de Dellisse qui cite le philosophe de Lumières en exergue de son ouvrage : Je ne connais d’autre liberté que celle de ne dépendre de personne . Partant de cette conviction qu’il a mise en pratique dans sa propre vie, Dellisse nous prend par la main et nous entraîne dans le sillage d’un quotidien et d’une pensée qui nous apparaissent , une fois le livre refermé, tels un viatique à prendre en compte dans le chemin qui nous reste pour résister à la paresse de la pensée, au désengagement social, au dédain de l’autre.

Dellisse, nous l’avons évoqué déjà, procède par chapitres courts. Il y alterne des considérations sur le monde et sur l’époque dont il a été depuis chacun des livres qu’il nous a donnés (poésie, nouvelles, romans, essais) le témoin inquiet, et d’autres sur le cheminement d’une vie, faite de voyages, de rencontres, de lecture et d’écriture, d’amours et de … quarante-huit déménagements. Considérant à côté du clavier où nous écrivons cette recension, le volume dont chaque page est recouverte de soulignements et de signaux d’alerte, appelant l’attention, lors d’une deuxième lecture, sur ces phrases qui sont autant d’aphorismes et que nous voudrions ici recopier, pour en garder davantage la mémoire vive et pour la partager plus tard, avec celles et ceux à qui nous dirons « J’aurais bonheur à être moi aussi libre comme ce Robinson-là ».
Du monde le philosophe aborde les grandes inquiétudes, surpopulation, usure des ressources, règne des machines intelligentes et sous-contrôlées, économie mondiale de la dette, pouvoir de destruction intégrale. Il a conscience de ce que nous vivons la fin du monde pour la première fois : c’est ce qui inspire les considérations sur l’aventure humaine dont l’avenir se referme et le passé se fait mensonge.
De sa propre vie, et de ses choix, l’écrivain-poète, nous dit ce qui en fait une démarche et un engagement de résistant, ce point de vue , la résistance, qui permet de mieux distinguer la part de liberté qui nous reste. Dellisse nous entraîne alors dans une double exploration du monde et de soi. De son passé personnel et de l’histoire de la société des hommes, il évoque, en les éclairant d’une lumière singulière, ce qui en a ôté la liberté. Il revendique alors, haut et fort la seule conquête qui en vaille la peine : le bonheur. Il mène avec jubilation cette croisade désarmée et nous donne quelques itinéraires qu’il a arpentés déjà, et quelques instruments dont celui-ci est sans doute le plus universel: L’un des grands attraits de l’existence tient aux couleurs qu’on lui donne, arbitrairement. Il s’ensuit tôt ou tard des effets de réel.
Des recettes de liberté qu’il s’est appliquées à lui-même, l’auteur témoigne sans fards ni prosélytisme. Il témoigne ainsi , en simple lucidité,  d’une pratique individuelle qui ne convient peut-être qu’à lui, et à laquelle il est arrivé après bien des errements (qu’il nous dévoile aussi). Cela nous vaut des pages savoureuses, faites d’humour et de gravité, de mise à distance faussement objective des événements et des circonstances.
Luc Dellisse propose à son lecteur ce qui constitue l’essence même d’une vie dédiée au questionnement du monde. C’est un livre du dévoilement – ce que l’auteur a expérimenté – et un guide de survie, une formidable boîte à outils dont le mode d’emploi est lumineux : (..) j’ai compris (…) que le but véritable, l’expérience véritable était la poésie : une sorte d’ajustement du regard, qui fait voir avec acuité ce qui était caché par sa banalité même. L’urgence, la beauté et la peur se combinent alors, et le monde sort de ses limbes. Les outils proposés sont accessibles à chacun: il suffit de vouloir en faire usage dans les choix de vie, au quotidien et au long cours. Le livre alors se déploie comme une carte marine. A chacun de nous, au gouvernail de nos existences, revient le choix de la route. 


Il faudrait citer chacun des chapitres pour rendre compte de la vision kaléidoscopique de l’auteur qui interroge notre mode de vie aussi bien à travers un Eloge paradoxal des hôtels Ibis que par le biais de la Reconstruction d’une bibliothèque.  De ces deux espaces, Dellisse fait un poste d’observation du contemporain, en interrogeant la vanité du besoin de confort matériel, autant que la régression de la langue telle qu’il la déplore dans les traductions nouvelles d’œuvres littéraires qui n’en sont que des appauvrissements délibérés.

Avec ce livre, l’envie nous vient de pratiquer la discipline que Dellisse décrit en fin de volume : la bibliothèque mentale, dont nous laisserons au lecteur de ces lignes la découverte de ce réflexe de lecteur organisé, qui porte en lui, comme des histoires d’amour, des impressions de voyage ou de combat, le souvenir de moments d’absolus.
De cette bibliothèque mentale, il cite quelques titres aux côtés desquels nous nous apprêtons à glisser son Petit traité de la vie privée, des livres dont nous savourons déjà de prochaines retrouvailles (Adolphe, Le chien des Baskerville, Une saison en enfer) ou la complicité ancienne (Les Essais de Montaigne), mais aussi l’énigme de celui-ci, qui peut-être est d’application pour Libre comme Robinson et dont Dellisse ne croit pas utile de préciser l’auteur (Charlie Chaplin, Casanova, George Sand, Taos Amrouche…ou celle de chacun de nous ?) : Histoire de ma vie .


Jean Jauniaux, 22 mai 2019

Sur le site des Impressions Nouvelles, la quatrième de couverture:

" Le monde est en train de changer radicalement. Nos mœurs, notre langue, notre espace, notre vécu, nos machines, subissent des transformations inouïes. L’effet le plus insidieux de ce grand bouleversement est la réduction croissante de la liberté individuelle. Il suffit d’ouvrir les yeux pour le constater, autour de nous, et même en nous. 
Tout n’est pas joué pour autant. Une part de notre avenir et de notre destin dépend de nous. À condition de ne pas se payer de mots et d’agir là où nous avons une vraie marge de manœuvre : dans nos vies privées. Ce livre impertinent fait l’état des lieux et propose une série de solutions à la portée de chacun, tant en matière de logement, de famille, de relations amoureuses, de vie professionnelle et sociale, que de gestion de son temps, de son argent, de son réseau et de sa conscience. 
Le souvenir de Robinson, aménageant son île pour résister aux périls qui l’entourent, fournit un modèle mythique à cette réinvention du quotidien." 







Weyrich: de bonnes nouvelles de l'édition belge!


Noir Corbeau aux Editions Weyrich: un nouveau label belge et policier 


Dans les pages du blog LIVRaisons, comment ne pas saluer une nouvelle fois la dynamique qu'insufflent les Editions Weyrich dans le secteur de l'édition littéraire belge francophone. 

Alors que disparaissent dans une assourdissante discrétion du monde du livre les Editions Luce Wilquin, quelle stimulante initiative que celle d'Olivier Weyrich d'enrichir son catalogue littéraire (la collection Plumes du Coq réunit des auteurs de référence comme Eva Kavian ou Christian Libens et des nouveaux venus qui sont autant de belles promesses littéraires) d'une nouvelle collection: Noir Corbeau

Sous ce label, et une couverture jaune vif, zébrée du titre de trois ouvrages déjà, qui n'est pas sans rappeler délibérément la collection Le Masque, paraissent  trois premiers titres: Les seins des saintes (C.O. Libens), La grande fugue (Ziska Larouge) et Morts sur la Sambre (Francis Groff). 

Nous avons rencontré Olivier Weyrich qui dans l'entretien que l'on trouvera sur Soundcloud, nous dit l'origine et la dynamique de cette nouvelle aventure littéraire et éditoriale.
Les auteurs, sollicités pour écrire les premières enquêtes policières de Noir Corbeau, ont présenté leurs romans au cours d'une conférence de presse et éveillé l'appétit d'en connaître davantage sur Stanislas Barberian, Gidéon Monfort et autres personnages hauts en couleur qui traversent Bruxelles, Liège et Charleroi dans le sillage de crimes à élucider, dans la grande tradition des romans policiers, ces "récits rationnels dont le ressort dramatique essentiel est un crime vrai ou supposé..." (Jacques Sadoul).
La collection s'inscrit dans une lignée littéraire policière dont la Belgique a été prodigue, depuis 1901 - date de parution du premier roman policier belge - jusqu'à ce Noir Corbeau dont ne rougiraient pas les S.A. Steeman, Simenon, Baronian, Monfils, Fonteneau et consorts... tous évoqués dans un essai de Christian Libens, offert à l'achat d'un des trois romans de la nouvelle collection à laquelle nous souhaitons bon vol...

L'occasion était donnée aussi à Olivier Weyrich d'évoquer la parution du deuxième Mook 1944 , consacré au débarquement de 1944 et confié à la direction de Hugues Wenkin, in situ - sur les épisodes cruciaux de la deuxième guerre mondiale.
historien passionné qui a réuni un collège prestigieux d'experts pour présenter aux lecteurs un nouveau regard - nourri des dernières archives rendues publiques et de la recherche

Jean Jauniaux, mai 2019

Pour accéder à l'interview radio d'Olivier Weyrich cliquer ici



"Morts sur la Sambre"  de Francis Groff:

Bibliophile passionné, Stanislas Barberian parcourt la France et la Belgique à la recherche de pièces rares. En visite à Charleroi, au cœur du Pays noir où il est né, il se trouve mêlé à la mort accidentelle d’un juge d’instruction à la réputation sulfureuse. Accidentelle ? Voire… Le bouquiniste met le doigt sur un élément troublant, au grand dam du commissaire chargé de l’enquête et qui goûte fort peu l’intrusion d’un « civil » dans ses affaires.
Persuadé qu’il y a eu crime, Stanislas mène ses propres investigations et croise une ex-épouse mutique, des truands violents, des escort girls, des enquêteurs au comportement étrange…

"Les seins des Saintes" de Christian Libens

Boston a son étrangleur, Mons, son dépeceur, et voici que Liège est victime d’un dévoreur… Au pays de Simenon, le bout du siècle vingtième s’étire dans le gris et le fil des jours y apporte son lot de cadavres. Un bouquiniste, un flic et un glandeur poète résistent au spleen ambiant à coups de cœur, à coups de gueule et à coups de rouge. C’est que la librairie « Au pendu de Georges », qui réunit les trois amis, est une île idéale pour refaire le monde. Un monde qui en a bien besoin…
Un polar parodique, humoristique et amoureusement sexué !

"La grande fugue" de Ziska Larouge

A  l’issue d’une répétition au Flagey, prestigieux espace culturel bruxellois, une musicienne est retrouvée morte sur la scène du Studio 4, son archet planté dans la carotide.
La fantasque juge d’instruction Victoire Overwinning dépêche pour l’occasion son meilleur enquêteur, Gidéon Monfort, fraîchement sorti de convalescence après un tir qui l’a cloué dans un fauteuil roulant.
Une occasion pour l’inspecteur principal de s’imposer face à son ennemi intime, le commissaire Poutrel, et de retrouver son coéquipier de toujours, André Mozard et ses bonnes manières d’ancien séminariste.


mardi 21 mai 2019

Walter Vilain: Les aquarelles du chroniqueur au concours Reine Élisabeth

Walter Vilain: Les aquarelles du chroniqueur au concours  Reine Élisabeth

LIVraisons ouvre volontiers ses colonnes à cette évocation par François-Xavier Lavenne du peintre et musicien Walter Vilain qui avait coutume de saisir à l'aquarelle des instantanés des répétitions et des éliminatoires du concours Reine Elisabeth. Une évocation tout en attention et admiration pour celui qui nous a quitté en janvier de cette année.
Dans d'autres articles de LIVRaisons nous avions rendu hommage à cet artiste aussi attachant que talentueux dans chacun des arts où il excellait, peinture, sculpture, musique...mais aussi, simplement, art de vivre et d'irradier autour de lui une simplicité allègre et bonhomme. Le lien vers interviews se trouve ICI.   Jean Jauniaux 


Le concours Reine Élisabeth a recommencé, mais il manque, cette année, une présence dans la salle. Walter Vilain, qui fut durant vingt ans son chroniqueur patient et passionné, n’est pas là avec sa boîte de peinture et ses pinceaux. Ils sont nombreux les violonistes, les pianistes et les chanteurs des quatre coins du monde qui gardent comme souvenir de leur séjour à Bruxelles pour le concours, une peinture que Walter Vilain leur a donnée en les croisant par hasard dans l’escalier du Conservatoire ou à la sortie de Flagey. Walter rêvait de leur offrir cet instant de leur vie où ils étaient sur scène, seuls avec la musique, transportés par elle. Voici une évocation de l’une des journées qu’il passait au Conservatoire lors des éliminatoires du concours.

            Alors le silence s’est fait. Pas un de ces silences immenses et solennels, lourds, compacts, aigrelets ou torturés de nerfs ; non, un petit silence creux comme un coquillage. À peine a-t-on entendu dans la partie supérieure gauche de ce silence, un léger frottement et personne n’a vu la feuille qui se posait sur le rebord de velours du balcon. 
            Une jeune violoniste, dans le tourbillon jaune de Naples de sa robe, s’est figée. Elle a échangé un regard avec le chef, la baguette levée, soudain rendu pareil à l’ange peint par Van der Weyden. 
            Ce silence a succédé au bruissement futile et amical, agitation des programmes en éventail, reconnaissances lointaines de rangs en rangs – tous attendent la note comme l’instant suprême, le début du concours – un seul y survivra, l’avenir lui est promis. 
            Walter se tient les yeux clos, le pinceau suspendu. Il sait que l’âme va se révéler dans l’attaque de l’archet sur la corde, du doigt sur l’ivoire de la touche, du souffle qui emplit le palais – un monde dans une note, il faut savoir sentir l’émotion qui se voile, le tremblement léger, l’inclinaison d’un charme ou l’excès de la fougue. Walter cherche le juste poids dans sa main, la pression exacte du pinceau pour que la musique se prolonge sur la feuille, que le trait soit au diapason de ce que vit le musicien, de cette magie à fleur de doigts qui l’ensorcelle. 
            Chaque journée du concours suit le même rituel. Dans l’atelier du Sablon, Walter prépare les fonds – bleus, ocres, jaunes, gris, rarement verts. Ce sont les tonalités qu’il sent d’instinct dès les premières mesures. Parfois, il prend dans son carnet une page blanche pour multiplier les esquisses au rythme d’un scherzo. Le morceau dicte le format de la feuille, les couleurs, l’énergie du mouvement. La musique est le seul maître, un maître de liberté. Les heures n’existent plus, elles deviennent abstraites. La musique est le temps – plus lent ou plus rapide – et ce qui crée l’espace. 
            Walter entre toujours le dernier dans la salle. Il ne faut pas qu’un regard se détourne, qu’une oreille se perde. À couvert, sous les applaudissements, il plie son matériel, se faufile demi-courbé pour changer d’angle derrière les spectateurs ou dans les balcons désaffectés. Il a reçu l’autorisation d’être ce fantôme, fantôme animé seulement de musique, seul à emprunter l’escalier périlleux interdit au public. 
            Enfant des dunes, il écoutait le concours sur la vieille radio enrouée dans la cuisine de la petite maison, auprès de sa grand-mère. Élève de la Cambre, sa logeuse l’emmène, à 16 ans, pour la finale au Palais des Beaux-Arts. Il a rencontré bien des candidats qui logeaient à Anvers chez Willy et Théa, connu les pianistes belges élèves de Robert Steyaert. Il sait les répétitions sans fin, les journées passées sur une seule mesure. Il est devenu le chroniqueur du concours en 1997 ou 1998 alors que les giornatas, qui avaient incarné sa renaissance après son lymphome, commencent à lui paraître peu à peu tyranniques, avec leur mélange de colle et de peinture, leurs coulées, leurs séchages multiples et leurs écaillements. Walter le dit, il a besoin d’instant. Il n’est pas d’instants plus purs que ceux de la musique. Il lui faut des bouffées de sonates, de pleines bordées de concertos, tant de féeries en cadences pour disperser l’incendie qui a ravagé l’atelier, réduit ses toiles en cendres... Ne plus laisser le temps à la vie d’abandonner le bal… 
Les Reine Élisabeth demandent une disponibilité pour que la musique trace son rêve en soi. Parfois, quelques taches un peu disjointes font surgir par surprise le musicien ; parfois son corps se multiplie, emporté au ballet de lui-même pour n’être que musique. Ailleurs, le déploiement de la mélodie emmène le pinceau musarder dans des sculptures d’espace, des strapontins de rêve. L’architecture de la salle du Conservatoire inspire Walter au point qu’on la sent affleurer, comme par accident, dans les dessins faits à Flagey. Dans le petit théâtre en ruine planent les grandes heures d’autrefois. La fin du siècle pèle des lambris et trouve, on ne sait trop comment, des inédits de grâces, des prodiges d’épuisement. 
            Walter a tracé sur sa feuille le rideau cramoisi ; la loge royale, presque engloutie. Au centre de la scène, la violoniste jaune de Naples rayonne – avec un crayon, il crée un léger relief sur le grain du papier, comme une vibration. Il s’apprête à continuer, mais soudain, le silence se fait, l’aquarelle est finie. 
C’est un silence rond d’émotions en goguette, brutalement soufflées par la bourrasque crénelée des applaudissements. 
            Walter écrit au bas de la feuille le nom de l’interprète. Il relève les yeux, la scène est déjà vide. Il ne reste plus que trois petites notes, vives, espiègles, dans l’air. Elles appellent le peintre, elles veulent elles aussi être sur la feuille. Alors, Walter pose trois points légers sur le dessin. Les notes se voient. Les deux premières sont satisfaites, partent danser à l’autre bout de la salle. 
La dernière note ne se reconnaît pas. Walter la regarde avec douceur. C’est une note boiteuse, foirée dans l’émotion, tapée par erreur au milieu d’un trait – elle n’était pas dans la partition. 
Walter voudrait la consoler. Il estompe la petite tache, l’incurve doucement. La note n’est toujours pas contente ! Walter sait qu’il faut parfois qu’une note soit fausse pour que les autres sonnent plus juste, qu’une touche d’ombre est nécessaire pour que le blanc soit blanc, et que les fausses notes d’aujourd’hui sont les harmonies de demain… 
La note enfle, s’agite. Si des bras lui poussaient, des milliers d’yeux, des serres ? Les diables qui grimpent en barbelés aux pignons de l’église ne sont-ils pas des notes en repentir, celles qu’on a damnées, jamais voulu entendre ? Ces notes délaissées, qui tournent en mineur, vous martèlent les nuits. Il faut les reconnaître, tout au fond du silence, harmoniser ce qui peut encore l’être des bouts stridents de vie. 
La note veut sa place, Walter cherche comment la satisfaire. Il frotte le pinceau sur le rouge le plus vif et le laisse tomber, sec, dans un nuage d’ocre. Ce sera l’imprévu, l’accent qui donne vie à la feuille. Et la petite note, enfin satisfaite, s’est diluée dans l’air. Puis, le crayon a noté quelques phrases au milieu du nuage d’ocre sous la petite tache. 
            Minuit sonne ses coups au cadran de l’église, Walter sort du Conservatoire. Il continue vers le Sablon, vous le voyez descendre avec son chapeau, sa canne, sa boîte de peinture et sa farde sous le bras. Près du cercle des statues, un groupe hésite sur le chemin à prendre dans cette ville que la soirée dilue. Walter s’approche. Il a reconnu la violoniste jaune de Naples, maintenant jeune fille, jeans, T-shirt et baskets. Il ouvre sa farde à même le trottoir, il lui tend la peinture. Elle la glisse dans la caisse de son violon. 
            La lumière s’est allumée dans l’atelier de la rue Bodenbroek, Walter étend sur le sol la moisson du jour. La musique n’a pas fui, elle est là – tous ses instants tendus sur les pages. 
            À la terrasse d’un café, dans l’anse de la place, la violoniste songe à cette note ratée dans le trait final. Elle ne voit plus qu’elle, cette note l’obsède, elle oublie toutes les autres notes jouées ce soir. Elle tire, nerveuse, sur une cigarette. Ce trait devait être son sésame, celui qui ferait se lever d’un bond le public, le jury, et même le Roi, la Reine, les Princesses et le Prince ! Quelques poussières de cendre brûlante s’éparpillent dans le vent et s’éteignent. Autour d’elle, ses amis parlent du programme des demi-finales. Elle ouvre la caisse de son violon, regarde le dessin que lui a donné tout à l’heure cet homme étrange, demande au garçon, qui vient pour les commandes, de lui traduire ce qu’il y est écrit.

François Xavier Lavenne , le 21 mai 2019





Né à Saint-Idesbald en 1938, Walter Vilain y a rencontré Paul Delvaux durant son enfance avant de devenir son élève à La Cambre. Il a peint avec lui la « Carte littéraire de la Belgique », qui se trouve à la Bibliothèque royale. Il a continué sa formation auprès d’Octave Landuyt à Gand, de Johnny Friedlander à Paris et de Marino Marini à Milan. L’une de ses premières œuvres monumentales, une fresque, a été réalisée pour l’Exposition 58. Dans les années 60, il fut l’un des animateurs du groupe Helikon à Hasselt,  où il réalisa une sculpture monumentale « Narcisse ». Il a reçu le Prix de la jeune peinture et a été Président du Conseil national belge des arts plastiques. La pédagogie a toujours occupé une grande place dans sa vie, ce qui l’a poussé à fonder et à diriger l’Académie du Westhoek à Koksijde, ville dont il devint l’ambassadeur culturel. Il fut aussi professeur de dessin et de peinture à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers avant d’en devenir le directeur dans les années 90. Durant les années 2000, il a donné des cours à la Scuola Internazionale di Graphica à Venise. Il est décédé le 7 janvier 2019 à Bruxelles.


Sculpteur, peintre, compositeur et poète, il laisse une œuvre d’une grande variété : abstraction lyrique, marines, aquarelles des dunes, collages, installations, performances…
Dans ses « Giornatas », il crée des murs du Temps, dans lesquels se croisent les fantômes de Van der Weyden et des fresques du trecento italien… Il a composé des œuvres pour orchestre ainsi que des pièces pour piano et soprano, dont une suite en hommage à Delvaux intitulée « Delvauxiana ». Il cherchait la transposition musicale de la peinture et la transposition de la musique en peinture.