Du 9 au 26 mai 2019, à l'affiche du Théâtre de la Valette se jouera la pièce de Pascal Vrebos "L'homme descend du songe".
Le site du théâtre est accessible ici |
Sous l'aphorisme du titre, Pascal Vrebos nous propose une plongée bouleversante dans la vie du personnage central de la pièce, écrite sous forme de monologue et portée de bout en bout sur le fil d'une intense émotion par Jean-Philippe Altenloh.
Comme tous les grands textes de théâtre, celui-ci développe différents niveaux d'émotions et de narrations. Le décor représente une pièce dont tous les murs, objets et mobilier sont peints en blancs. S'agit-il d'une chambre d'hôpital psychiatrique ? D'une cellule de prison? Les deux à la fois? Il importe peu de le déterminer. D'emblée cet espace est hanté par le monologue du Professeur Boulanger, un professeur de physique qui au terme d'une carrière dont il fait le bilan désabusé, adresse au mur de sa chambre une dernière leçon. C'est un véritable règlement de compte halluciné que déploie devant ses étudiants, qu'il interpelle un à un, un homme usé, aigri, par un enseignement et des travaux de recherche qui n'ont pas été reconnus par la communauté académique. Au fil du récit, Boulanger se laisse aller à des confidences personnelles et familiales qu'il jette en pâture à ses étudiants qu'il n'hésite pas à associer à sa détresse, à cet échec d'une vie qui se confesse dans la douleur et la révolte. Porté par sa confession, l'homme plonge plus profond encore dans l'événement qui a fait basculer sa vie et lui a donné conscience de la vanité de toutes choses en ce monde. C'est à l'évocation de sa fille Coralie, et d'un événement tragique que l'homme désespéré s'effondre littéralement de chagrin, d'angoisse et de révolte. Mais il n'a personne à qui adresser cette révolte, dont on fait l'hypothèse alors qu'il la retourne contre lui, et à travers lui c'est l'humanité toute entière qu'il convoque au tribunal désespéré dont il est à la fois le seul juge et le seul accusé.
Les mots manquent pour dire la fulgurance de ce texte, joué une première fois il y a vingt ans. Ces deux décennies semblent avoir nourri l'actualité désespérée de Boulanger, dont la vie telle qu'il nous en dit le parcours, est jalonnée d'événements et de circonstances qui continuent de hanter nos vies: les licenciements sauvages, l'indifférence à l'autre, la misère de l'enseignement, le burn out, les tentations suicidaires, la détresse matérielle et morale, l'absence de valeurs, l'angoisse devant la mort et l'injustice, le manque de spiritualité, quelle qu'en soit la formulation... Mais il y a, avant tout, la solitude d'un homme face à une vie dont il s'est persuadé de ne pas avoir été le protagoniste, mais la victime. Cet homme instruit, est dévasté soudainement par la prise de conscience ou par la folie (y a-t-il une frontière imperméable entre ces deux états?) de sa vie : une imposture qu'il ne peut supporter sauf à s'en exiler, quelle que soit la forme de cet exil...
Le texte de Vrebos, que l'on peut trouver en PDF sur le site de l'auteur, est traversé par une conscience implacable qu'il nous livre en humaniste lucide et profond, sensible à la détresse et à la fragilité, ne la jugeant pas mais nous la proposant telle qu'elle est. A l'instar d'autres oeuvres de Pascal Vrebos que nous avons évoqué déjà à la publication de son Théâtre complet , celle-ci nous laisse bouleversé et nous habitera longtemps encore, comme tous les grands textes de la bibliothèque de l'honnête homme où nous le rangeons à côté de Camus et de Simenon.
La mise en scène de Michel Wright, le nouveau directeur du Théâtre de La Valette, a exploré et mis en valeur toute la palette d'expression et de sensibilité du monologue halluciné et tragique du personnage de Boulanger.
Ce dernier est incarné par un comédien au mieux de son talent. Que ce soit dans la colère ou dans le chagrin, dans le sarcasme ou dans l'angoisse, dans l'effondrement ou dans la révolte, Jean-Philippe Altenloh a bouleversé le public par la force et la justesse de son jeu, par la palette aux multiples valeurs avec laquelle il interprète un homme seul, enfermé en lui-même autant que dans cet asile aux murs blancs, que nous regardons comme un frère inconsolable. Nous l'avions vu dernièrement dans "Le souper" et "Petits crimes conjugaux". Dans le rôle de Boulanger, Altenloh entre dans un de ses plus poignants personnages qu'il étreint littéralement avec la puissance incandescente des acteurs hors norme lorsqu'ils deviennent ce qu'ils incarnent.
La pièce est jouée jusqu'au 26 mai dans un théâtre situé à quelques encablures de Bruxelles: il s'agit de s'y précipiter toutes affaires cessantes.
Jean Jauniaux, Ittre, le 11 mai 2019