"Les seins des saintes" et "Une petite histoire du roman policier belge"
Christian Libens
Editions Weyrich
Avec Les seins des saintes et Une petite histoire du roman policier belge, les amateurs de Simenon (et des thrillers troussés à la belge) seront doublement enchantés par ce retour à l'écriture du romancier Christian Libens.
On sait de celui-ci la passion érudite qu'il nourrit à l'égard du père de Jules Maigret, mais aussi celle - qu'il partage avec un Baronian par exemple - des bouquineries où il aime à aller "chiner" les livres rares de la littérature dite "populaire" . Dans Une petite histoire du roman policier belge, un volume offert par les Editions Weyrich à l'achat d'un livre de la nouvelle collection Noir Corbeau, l'écrivain et essayiste mêlent leurs plumes respectives pour nous raconter plus d'un siècle d'édition "noire". Partant du premier livre policier édité en Belgique, Libens ouvre sa bibliothèque de polars aux curieux insatiables que nous sommes (ou que , grâce à lui, nous sommes devenus) en nous alléchant avec une somptueuse iconographie qui occupe les pages paires du livre. Ce sont de jeunes avocats bruxellois qui commettent le premier livre que l'on peut faire entrer dans la catégorie "policier" , sous le titre Maître Deforges, le livre paraît aux Editions Larcier. Ensuite, de façon continue, la Belgique francophone se fait remarquer dans le sillage des deux maîtres liégeois, Stanislas André Steeman et, bien sûr, Georges Simenon, usant de noms réels ou de pseudonymes (habitude prise à la Libération pour certains ou , pour d'autres, afin de se donner des airs anglo-saxons). Il serait fastidieux de les citer ici alors qu'ils sont si bien mis en évidence sous la jaquette noire du petit opuscule de Libens.
A ce dernier, qui a orné son nom de l'initiale de son deuxième prénom, "O" pour Oscar, nous devons aussi le plaisir de découvrir un des trois premiers volumes de la nouvelle collection lancée par Olivier Weyrich (que nous avons évoqué par ailleurs) : Les seins des saintes. En dépit de la noirceur du crime qui déclenche le récit - la découverte d'une femme dont les seins ont été atrocement mutilés - il y a dans la manière de Libens une jubilation d'écrire qui enchante. On devine le bonheur de l'écrivain inventant des personnages aussi excentriques que Georges Simon (inspecteur de police), un bouquiniste (sa librairie porte le nom simenonien en diable Au pendu de Georges), un soixante huitard en guerre contre les quatre-quatre et autres envahisseurs de trottoirs, pour ce qui est des protagonistes principaux, escortés de personnalités plus secondaires mais aussi hautes en couleurs comme le juge et sa bonne dont il est souhaitable ici de laisser le lecteur découvrir la qualité de la relation.
Le lecteur est entraîné par la verve du narrateur, le regard amusé qu'il porte sur l'histoire, les lieux (Liège bien sûr) et les gens, la gourmandise avec laquelle il évoque son maître, Simenon, dans de savoureux échanges animés par le bouquiniste érudit...ou qu'il déploie en évoquant la salade liégeoise et l'agrément d'en achever la préparation avec un vinaigre bien choisi.
En fin de compte, il n'y aurait que du bonheur à lire ceci, n'étaient les crimes qui s'inscrivent obligatoirement dans tout roman policier, un récit rationnel dont le ressort dramatique est un crime..." écrivait Jacques Sadoul qui inaugure justement La petite histoire du roman policier belge...
Jean Jauniaux , le 22 mai 2019