samedi 30 septembre 2017

"KONG": le roman-monde de Michel Le Bris

"KONG": le roman-monde de Michel Le Bris

"La nécessaire mise en incandescence réciproque du monde et de la littérature."






En écoutant Michel Le Bris raconter, les yeux pétillants, la genèse du roman qu'il consacre aux deux réalisateurs et producteurs du chef d'oeuvre "KING KONG", on ne peut s'empêcher de penser que les huit années qu'il a consacrées pour ce roman aux recherches documentaires puis  à l'écriture ont été une sorte de jubilation exaltante comparable à celle, que nous avons éprouvée à la lecture des 900 et quelques pages de son dernier roman "KONG". Huit années au cours desquelles le créateur du festival "Etonnants Voyageurs", a exploré tout ce qui pouvait nourrir ce projet inscrit dans la continuité du précédent roman "La beauté du monde" (consacré aux cinéastes documentaires Martin et Osa Johnson, pionniers des films animaliers)

Michel Le Bris nous dit la collection complète des journaux (New York Times et Los Angeles Times qu'il a lus, les archives de la RKO qu'il a épluchées, les fiches de production du film qu'il a examinées pendant ces huit années au cours desquelles il alternait la constitution d'une formidable documentation et l'écriture du roman que l'on ne lâche plus une fois qu'on y a franchi le seuil de la première phrase.
On est alors emporté par le lyrisme du conteur, par le style enivrant d'une écriture maîtrisée de bout en bout, où chaque phrase possède sa musicalité essentielle et son rythme propre pour s'intégrer à la symphonie du récit consacré à Merian Cooper et d'Ernest Schoedsack, survivants de la Première Guerre Mondiale, dont ils sont, comme leurs frères d'armes, sortis hébétés d'avoir vu le gouffre du monde. 
La quatrième de couverture du roman nous dit ce qu'ils ont été, le roman nous raconte leur quête de survivant dans un monde transformé autant qu'ils le sont eux-mêmes: trouver le langage qui dira le réel, qui y mêlera les terreurs ancestrales de la part-monstre de l'homme, qui réussira à témoigner des abysses et y puisera un nouveau mythe dont nous n'avons pas cessé d'épuiser le sens et les mises en garde, qui nous entraîne dans les sidérants vertiges que les décennies qui nous séparent de 14-18 n'ont pas comblés.
Voici un livre inépuisable, dont une chronique de quelques lignes ou un entretien radio avec l'auteur ne peuvent rendre compte. 
Il faut lire, et on le ferait d'une traite si on n'aimait prolonger le bonheur de lire en s'en distrayant par le songe des images qu'il évoque, de ces lieux et de ces personnages qu'il nous donne à voir?, à lire?, non à vivre littéralement. 
Des tranchées de la guerre 14-18, aux studios de Hollywood, de la fausse après-guerre aux tournages de documentaires en Iran, au Soudan, en Abyssinie, ce sont, de 1914 à 1933 deux décennies qui nous sont projetées et nous laissent subjugués par l'art du conteur, par sa manière de camper les personnages réels (Outre Cooper et Schoedzak, il y a Selznick, Ruth Rose, Fay Wray, Marguerite Harrison...) et par cette démonstration qui éclaire chaque page du roman: la fiction seule peut dire le monde. 
Dans un entretien paru sur le site de Grasset, Le Bris s'en explique: « Toute mon entreprise, dans mes livres comme dans la création du festival Etonnants Voyageurs a été de m’opposer à cette vision de la littérature : un monde s’effondrait, un autre venait, et pour moi c’étaient les artistes, mieux que quiconque, qui disaient l’inconnu de ce qui venait, lui donnait un visage, son rythme, ses mots. Jamais la littérature ne paraissait aussi nécessaire ! »
Ainsi lorsqu'il inventait en 1993 le concept de « littérature-monde », insistait-il sur  "la nécessaire mise en incandescence réciproque du monde et de la littérature."

Voici un roman qui entre dans la légende et vient côtoyer, dans la bibliothèque de l'honnête homme, les romans de Stevenson, Conrad, Melville.

Qu'attendez-vous pour vous y plonger toutes affaires cessantes? 
Peut-être écouter l'entretien que Michel Le Bris nous a accordé et au cours duquel il nous en quoi la fiction indispensable.


Jean Jauniaux
Bruxelles, le 30 septembre 2017



Michel Le Bris est membre honoraire de PEN Club Belgique.

Interview de Michel Le Bris par Jean Jauniaux  (sur le site de la web radio espace-livres.be) 



Deux jeunes gens sortent sonnés de la Grande Guerre. L’un, Ernest Schoedsack, a filmé l’horreur dans la boue des tranchées  ; l’autre, Merian Cooper, héros de l’aviation américaine, sérieusement brûlé, sort d’un camp de prisonniers. Ils  se rencontrent dans Vienne occupée, puis se retrouvent à Londres où naît le projet qui va les lier pour la vie. Comment dire la guerre  ? Comment dire ce puits noir  où l’homme s’est perdu – et peut-être, aussi, révélé  ? Pas de fiction, se jurent-ils  : le réalisme le plus exigeant. S’ensuivent des aventures échevelées  : guerre russo-polonaise, massacres de Smyrne, Abyssinie, épopée de la souffrance en Iran, tigres mangeurs d’hommes dans la jungle du Siam, guerriers insurgés au Soudan…
Leurs films sont à couper le souffle. On les acclame  : «  Les T.E.  Lawrence de l’aventure  !  » lance le New York Times. Eux font la moue. Manque ce qu’ils voulaient restituer du mystère du monde. Déçu, Cooper renoncera quelque temps – pour créer avec des amis aviateurs rien moins que… la Pan Am  ! – avant d’y revenir.
Ce sera pour oser la fiction la plus radicale, le film le plus fou, pour lequel il faudra inventer des techniques nouvelles d’animation. Un coup de génie. Une histoire de passion amoureuse, mettant en scène un être de neuf mètres de haut, Kong, que l’on craint, qui épouvante, mais que l’on pleure quand il meurt… Le film est projeté à New York devant une foule immense, trois semaines avant qu’Hitler ne prenne les pleins  pouvoirs.

Sur un air de jazz mélancolique ou joyeux, entre années de guerre et années folles, Michel Le Bris nous offre une fresque inoubliable. On y  croise des êtres épris d’idéal, des aventurières, des héros, des politiques, des producteurs, des actrices, et bien sûr un immense  singe que l’on aime craindre et aimer, moins sauvage que l’homme…

lundi 25 septembre 2017

Droit de citer: un nouveau dictionnaire de citations de Schraûwen et Ziegler

"Dictionnaire de citations, pas comme les autres"
de Liliane Schraûwen et Yannick Ziegler



Les passionnés de littérature, - comme les auteurs de ce dictionnaire- , ont en partage la délectation de ces phrases glanées au fil des lectures, ces formulations proches parfois de l'aphorisme qui contiennent à la fois la signification absolue de ce qu'elles désignent mais, de surcroît, une esthétique, une plastique, un rythme qui les ornent d'une évidence jubilatoire. Les citations ont aussi cette vertu, partagée avec les livres dont elles sont extraites, de nous accompagner, de nous faire sentir moins seuls face  à ce que nous vivons ou subissons. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mot "Abandon" qui ouvre l'ouvrage : "Les morts ne nous abandonnent pas autant que les vivants ont coutume de le faire". Cette phrase, extraite du roman de Carmen Laforet, L'île et ses démons

La citation est aussi une fenêtre ouverte sur l'oeuvre d'un auteur et le livre dont la phrase citée est extraite. Poursuivons notre investigation de l'"Abandon", cette fois-ci en ouvrant un moteur de recherche (www.qwant.com  ) qui nous dit de Carmen Laforet, à la page consacrée à l'édition d'un de ses deux romans parus en traduction française, Nada : "Sous la dictature franquiste- Andréa débarque à Barcelone pour suivre des études de lettres à l'Université. Elle se heurte à une réalité aussi décadente que conventionnelle. Nada met en scène l'étouffante mesquinerie qui affecte la condition féminine dans l'Espagne de l'après-guerre. Ecrit en 1944 par une jeune femme de vingt-trois ans, Nada reçut l'année suivante le prestigieux prix Nadal. Symbole de la renaissance du roman espagnol, il marqua profondément toute la génération des écrivains ibériques de l'après-guerre." 

Dans l'encyclopédie Wikipédia , nous en apprenons davantage sur la place de l'écrivain dans l'histoire et la littérature espagnoles: "Elle apparaît dans le monde littéraire en 1944 avec l'obtention de la première édition du Prix Nadal, pour son roman Nada (Rien en français). Nada représente un style nouveau de roman, situé dans l'après-guerre espagnole. Le narrateur est subjectif, plus témoin qu'acteur de l'action. La protagoniste est féminine et la thématique existentielle décrit une jeune fille pleine d'envie de vivre qui doit se confronter à la dure réalité de la vie. Presque toutes les œuvres de Carmen Laforet tournent autour de la confrontation entre les idéaux de jeunesse et la médiocrité du réel."
Les auteurs, tous deux enseignants, semblent au terme de leur texte d'introduction, réduire l'usage de leur dictionnaire aux seuls usagers de l'enseignement, élèves et professeurs. C'est faire de la modestie un usage immodéré. Leur livre est bien davantage une indispensable invitation à explorer ce qui en fait un ouvrage "pas comme les autres": Schraûwen et Ziegler ont "délibérément décidé de cantonner (leurs) recherches aux XXè et XIXè siècles en évitant autant que possible, les Camus, Sartre, Alain et autres philosophes trop souvent cités par ailleurs".

Autre qualité du dictionnaire: la présence en belle proportion d'auteurs non-Français, y compris des journalistes et écrivains belges francophones (Baronian, De Decker, Duplat, Van Troyen...), mais aussi australiens, britanniques, américains, espagnols,. 

Les citations provenant d'articles ou d'interviews constituent une autre particularité de l'ouvrage (dont les choix sont alors littérairement parfois décevants, il est vrai.)
Ces fragments d'articles critiques littéraires pourraient, qui sait?, inspirer une nouvelle publication: celle d'extraits de recensions littéraires (pensons aux dizaines de milliers d'articles publiés par les Tordeur, De Decker, Sion, Gascht dans les pages des quotidiens Le Soir et La Libre Belgique). Nous sommes persuadés qu'il y a là matière à un passionnant abécédaire anthologique.

Mais n'est-ce pas le lot de tout dictionnaire que de rendre les appétits insatiables?

Jean Jauniaux, Bruxelles, 25 septembre 2017

Quatrième de couverture
"Ce Dictionnaire de citations pas comme les autres est le fruit du travail de deux enseignants, tous deux passionnés de littérature… et souvent en quête de sujets de réflexion à proposer à leurs élèves. Un peu collectionneurs et grands dévoreurs de chose écrite par ailleurs, ils ont pris l'habitude de noter petites phrases ou grandes pensées au hasard de leurs lectures. Ce livre est le résultat de ce travail qui s’est étendu sur plus de quinze années. Plus de deux mille citations donc, en un recueil bien entendu subjectif dans ses choix, puisqu’il reflète les lectures et les goûts de ceux qui l’ont conçu. Dictionnaire résolument actuel également. En effet, à quelques rares exceptions près, il ne cite que des auteurs récents (c'est-à-dire nés au coeur du XXe siècle), tout en accordant autant d’intérêt à ce qu’ils ont pu dire ou écrire dans la presse qu’à leurs oeuvres proprement dites. Après une enfance africaine, Liliane Schraûwen a fait des études de lettres qui l’ont menée à l’enseignement et à l’écriture. Auteur de dix-huit ouvrages (romans, recueils de nouvelles, ouvrages historiques), dont certains ont été récompensés par des prix littéraires, elle a également travaillé dans l’édition, notamment en tant que directrice de collection chez Marabout. Né en 1979, Yannick Ziegler est professeur de français et d’histoire depuis plus de dix ans. Agrégé en Arts du spectacle, diplômé de la faculté Philosophie et Lettres, passionné par l’écriture, Yannick Ziegler est l’auteur de plusieurs nouvelles primées (Grand Prix de la Communauté Française, Prix de la RTBF, Prix de la Libre Belgique, Prix de l’AQWBJ)." 




samedi 23 septembre 2017

Jean LOUVET: le quatrième volume de son théâtre paraît aux Archives et Musée de la Littérature

Jean LOUVET Théâtre 4


Quatrième volume de son théâtre  aux Archives et Musée de la Littérature 

Avec la parution du quatrième et avant-dernier volume de l'édition scientifique du "Théâtre de Jean Louvet" se trouvent réunies les pièces d'un des plus importants dramaturges de la francophonie contemporaine. Accompagnées d'un appareil critique, historique et biographique établi par Vincent Radermecker,  cinq pièces écrites dans les dernières années du XXème siècle, dont Louvet a été un témoin infatigable et intransigeant, nous sont données dans un ouvrage préfacé par Marc Quaghebeur. Chacune des pièces fait l'objet d'un minutieux encadrement permettant au lecteur d'apprécier le cadre, la genèse et la réception de chacune des pièces: "La nuit de Courcelles, "L'annonce faite à Benoît", "Le coup de semonce", "Madame Parfondry est revenue", "Devant le mur élevé" , "Pierre Harmignies, numéro 17".

Marc Quaghebeur (qui publie également ces temps-ci, le deuxième volume de son histoire de la littérature francophone de Belgique : "L'ébranlement", 1914-1944) nous invite dans une préface (hélas trop courte pour contenir l'érudition passionnée du directeur des AML) à parcourir quelques pistes de lecture des pièces. Le texte d'introduction salue aussi la mémoire du dramaturge décédé avant que l'ensemble de son oeuvre ne soir réunie dans la collection dont le titre n'a sans doute jamais autant justifié sa nécessité: "Archives du futur".

Certes l'édition "scientifique" d'une oeuvre implique l'assemblage autour du corps des textes, des notes et précisions qui en irriguent la connaissance. Mais la lecture du théâtre de Louvet peut également se réaliser en faisant table rase du corpus pour ceux qui souhaitent, simplement, s'immerger dans la puissance dramatique et la force d'un théâtre qui mériterait d'être porté sur les scènes des théâtres de façon régulière, comme il s'agit de "répertoire" au sens le plus noble du terme, une oeuvre qui ne s'épuise pas d'être fréquentée, lue, jouée tant elle éclaire les tourments universels du contemporain. "La nuit de Courcelles", "Pierre Harmignie" pour ne citer que celles-là sont des oeuvres  qui, partant d'événements historiques avérés (les massacres perpétrés par les Rexistes à la fin de la deuxième guerre mondiale) explorent, interrogent, exposent les racines d'un mal dont les surgissements ne cessent de menacer, aujourd'hui, les fragiles édifices des démocraties.

Saluons le travail accompli par Vincent Radermecker qui, en plus de l'exégèse de l'oeuvre, nous invite, dans les notes en bas de page et dans les textes de contextualisation, à une salutaire familiarité avec l'écrivain au travail. 

Jean Jauniaux, Lviv- Bruxelles, 22-23 septembre 2017.

A l'occasion de la parution du volume trois, également magistralement commenté par Vincent Radermecker, nous avions rencontré Jean Louvet. Il nous avait reçu longuement chez lui pour l'enregistrement d'un entretien radio (toujours accessible sur la web radio espace-livres) au cours duquel il évoque les événements marquants de sa vie, de son parcours d'écrivain et de dramaturge, mais aussi les souvenirs d'un engagement dont la sincérité et la cohérence n'a jamais été prise en défaut. Ré-écoutant la voix de Jean Louvet, les roulements de sa voix dans les méandres du français parlé par un Wallon, les bruits familiers de maison, je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'occupe pas encore dans les coeurs et dans les mémoires la place immense qu'il faudrait lui accorder.
( pour écouter cette interview il suffit de cliquer ici




dimanche 10 septembre 2017

Gérard Adam, l'homme de lettres.

"Stille Nacht"

Gérard Adam

Editions MEO


S'agissant d'un auteur dont nous saluons depuis longtemps l'activité déployée dans le champ éditorial de la littérature française de Belgique, l'occasion de l'évoquer davantage nous est donnée avec la parution de son dernier roman en date "Stille Nacht". 


Gérard Adam appartient à cette espèce rare des hommes de lettres pour qui la littérature signifie un engagement réel dont les limites débordent de se propre production romanesque. Passons en revue les multiples personnalités de celui qui entra en littérature en 1988 avec un roman, "L'arbre blanc dans la forêt noire" qui lui valut d'emblée le Prix N.C.R. un des prix prestigieux.
Il a entrepris en 1995 de traduire du croate et du bosniaque une littérature dont il eut l'occasion de découvrir la diversité et la richesse lorsqu'il était médecin militaire et participait à des opérations humanitaires en Bosnie-Herzégovine. Avec plus de vingt ouvrages (poésie, romans, nouvelles) traduits, Adam a donné l'occasion au public francophone de découvrir des textes qu'il commença à publier dans sa propre maison d'édition M.E.O., ouvrant ainsi un nouveau chapitre de son activité dans le monde des lettres.
Lorsqu'il accéda à la retraite, il put se consacrer (aussi) à sa propre carrière d'écrivain, en alternant romans et recueils de nouvelles, dont il donnait parfois la primeur à la revue MARGINALES.
Nous avons eu à plusieurs reprise de le rencontrer et de l'interviewer, en tant qu'écrivain et en tant qu'éditeur. Ces entretiens sont toujours disponibles sur le site de la web radio espace-livres et permettent d'entendre un éditeur engagé, un traducteur attentif et un auteur nourri d'humanisme. 
Chaque fois nous avons abordé avec lui la place singulière qu'il occupe dans le paysage francophone de Belgique où, nous semble-t-il, il n'acquière pas la place qui devrait lui être réservée. Ainsi à l'occasion de la parution de son roman "Qôta-nïh" nous demandions à Gérard Adam de nous raconter son parcours à partir de ce fort roman, publié en 2009. Nous écrivions alors: "Voici un livre dense, beaucoup plus dense que ce que le nombre de pages ne peut indiquer...même si ce fort volume en compte 760 ! Se plonger dans sa lecture, c’est entreprendre un voyage, mais pas n’importe quel voyage…la traversée du livre est faite de méandres sinueux, de retours en arrière, de rencontres, de questions…
Dans cette rencontre, Gérard Adam raconte sa trajectoire d’écrivain, les raisons de son long silence éditorial (huit années), définit ou tente de définir son travail et son exigence de romancier... En effet, même si on peut considérer qu’une œuvre existe ou doit exister en dehors de la vie de son auteur, dans le cas de ce roman, certains éléments de la biographie de Gérard Adam peuvent servir de balises : son métier et sa pratique de médecin dans des conditions extrêmes, la rencontre avec Monique Thomassettie qui devient son épouse en 1967, la guerre ou plutôt les guerres où il accompagne en tant que médecin les forces de l’ONU, notamment l’expérience Bosniaque, la confrontation avec ce puzzle tragique que fut le démantèlement de la Yougoslavie."
Dans l'interview qu'il nous accorde à l'occasion de la parution de son recueil de nouvelles "Le saint et l'autoroute" (toujours chez M.E.O.) il évoque le catalogue de plus en plus riche de sa maison d'éditions à laquelle plusieurs prix littéraires sont attribués (En 2011, le nouvelliste recevra  le Prix Emma Martin pour "De l'existence de dieux dans le tram 56").
Le romancier nous revient cette année avec "Stille Nacht"  un roman sensible dont le narrateur, arrivé à l'âge des bilans, évoque sa trajectoire familiale tandis qu'il rend visite à "Mamma", installée dorénavant dans une maison de retraite où elle se croit "en vacances", comme le pensait trois décennies auparavant, le père du narrateur, travailleur immigré de l'après-guerre. A l'époque, la maison de retraite accueillait les mineurs dont les poumons avaient été ravagés par la silicose. On devine combien le narrateur (et c'est souvent le cas chez Gérard Adam) puise dans la mémoire vive du romancier lorsqu'il évoque la condition ouvrière, les différences de classe qui éloignent du progrès social les "pareils à nous" (c'est ainsi que "Mamma" désigne son milieu), l'opportunité de bénéficier d'une scolarité générale (et pas "technique" comme c'est la tradition pour les "pareils à nous"). Cette plongée dans le passé, confrontée aux questions d'aujourd'hui (la religion, les réfugiés, les "racines", la mémoire, l'Histoire...).
Ouvrez ce roman si proche du romancier, lisez ce qu'il donne à entendre au lecteur: un coeur vibrant auquel nul ne peut être insensible.

Jean Jauniaux, Bruxelles le 29 novembre 2017 


samedi 9 septembre 2017

Les "Leçons de ténèbres" de Corinne Hoex

Leçons de ténèbres
Corinne Hoex

Editions Le Cormier



L'oeuvre de Corinne Hoex, bientôt célébrée par l'entrée de la romancière et poète à l'Académie royale de langue et littérature française de Belgique (elle succédera à Françoise Mallet-Joris) , s'étend sur deux versants d'une inspiration sensible et dense. 

Lumière et ténèbres alternent dans une bibliographie partagée entre romans et recueils de poésie. Il est vrai, la face noire de la lumière a jusqu'à présent prévalu, comme si elle nourrissait d'une énergie paradoxalement salutaire l'écriture de Corinne Hoex. Dans quelques nouvelles et roman, l'interstice de lumière a éclairé des titres comme "Valets de nuit" où l'auteure s'abandonne aux délices des phantasmes érotiques de sa narratrice et dans d'autres textes où l'abandon aux vertiges de la férocité est délectable.

Ici, la poète nous entraîne de l'autre côté,  vers La face noire de la lumière. Sa souffrance. Son vertige. 
Le recueil se partage en cinq mouvements, qui à travers le Noir, les Solitudes, le Vide, les Crépuscules nous attirent comme un soleil noir vers la "dévoration" insatiable de la souffrance. Le recueil culmine dans l'évocation du compositeur Carlo Gesualdo, Prince tumultueux./Sulfureux./Meurtrier./Prince jaloux./Vengeur./Tourmenté. 

Par quels cheminements de l'âme poétique le musicien de la Renaissance italienne, dont les musicologues et les historiens ont retenu la "légende noire" (une malédiction née de la vengeance meurtrière perpétrée par Gesualdo à l'encontre de sa femme et de l'amant de celle-ci) , a-t-il ouvert à la poète un chemin si dépouillé et d'une telle intensité qu'on aimerait un jour qu'il fut orné de musique et saisi par le chant polyphonique. 
Voyez s'il est une souffrance/semblable à la mienne exhale Gesualdo à Hoex, au-delà des siècles et de l'Histoire. 
La voix de la poésie, entrelacée à la musique serait-elle la lumière éclairant l'autre versant, vertigineux: Et cette joie pourtant/Joie d'être là dans le vide sublime. Ivresse de ne pas être.

On ne se lasse pas de lire et relire ce bref recueil dont les entrées sont multiples. Interrogation sur le repentir, exploration de la conscience, vertige de la solitude, ivresse de la souffrance nous sont apparues à la lecture répétée de ces Leçons de ténèbres au plus profond desquelles résonne longtemps encore la ferveur poignante d'une poésie essentielle.

Jean Jauniaux, le 9 septembre 2017.

L'éditeur:

Le recueil est publié aux éditions Le Cormier dont il faudrait à chaque parution saluer l'indispensable énergie poétique et éditoriale d'une maison créée à Bruxelles en 1949 par Fernand Verhesen et qui propose un catalogue poétique de plus de quatre-vingt écrivains parmi lesquels (Nous en avons rencontrés certains dans l'Espace-Livres) Philippe Jones,  Guy Vais  Albert Ayguesparse, Werner Lambersy, Véronique Bergen, Serge Meurant, Anne Penders, Luc Dellisse etc. (liste complète)

La musique de Gesualdo:

Pour entrer dans la musique de Gesualdo: Tristis est anima mea

Sur la web radio espace-livres.be

Nous avons rencontré et interviewé Corinne Hoex lors d'entretiens, au micro d'Edmond Morrel toujours disponibles :

"Valets de nuit"
"Décidément je t'assassine" 

vendredi 8 septembre 2017

Donnez-nous des nouvelles

OPUSCULES
Une nouvelle collection de nouvelles aux 

De bonnes nouvelles du côté des nouvelles...

La nouvelle collection "Opuscules", créée par Eric Lamiroy, est une occasion que nous ne manquerons pas de saluer l'apparition d'une  initiative consacrée à un "genre littéraire" trop souvent relégué dans les sous-catégories de l'édition et de la "critique" littéraire. 

L'opportunité nous est donnée de répéter ici que la nouvelle est un genre littéraire à part entière, au même titre que le théâtre, la poésie ou le roman. Trop souvent, on considère que ce dernier, le roman, constituerait une sorte d'aristocratie de la narration fictive, tandis que la nouvelle en serait le parent pauvre, admis en bout de table comme un lointain cousin de province que l'on ne peut tout de même pas laisser à la porte du festin littéraire.Ce constat n'est valable heureusement pour le monde francophone: les littératures anglophone, espagnole, japonaise, chinoise et tant d'autres ont depuis toujours accordé aux nouvelles le statut qui lui est propre et qui fait le bonheur des lecteurs qui y ont amplement accès, par le biais de l'édition mais aussi de la presse et des magazines.


En Belgique francophone, différentes revues ("MARGINALES" notamment) mais aussi différentes maisons d'éditions (Quadrature qui a développé un très stimulant catalogue de recueils de nouvelles , Maelström et sa collection Booklegs, etc.)

Eric Lamiroy prend le pari d'une collection innovante (il en a l'habitude!)  dont l'intitulé désigne précisément l'objet. L'opuscule , soyons pédant, trouve son étymologie dans le mot latin opusculum, "ouvrage" , diminutif de opus, oeuvre. Chacun des opuscules qui va constituer cette collection de nouvelles, tient dans un format "postal" et dans un prix réduit (4 €). Il s'adapte parfaitement au projet éditorial de Lamiroy: 

"La collection "Opuscule"  est un petit format 10 x 14 cm de nouvelles de 50 pages/5000 mots paraissant tous les vendredis à partir du 1 septembre 2017 (4€ +1€ de frais de port)".

Les premiers auteurs parus sont Eric Neirynck : L'apostrophe Bukowski (1 septembre 2017), Thierry Coljon : TCJ n'existe pas (8 septembre 2017), et Isabelle Wéry : Fumer des Gitanes (15 septembre 2017), Jacques Mercier : Des matins lumineux (22 septembre 2017), Marc Meganck : Juste une nuit comme avant (29 septembre 2017).

Sont annoncés pour les semaines suivantes (il s'agit d'un hebdomadaire):  Adeline Dieudonné, Stefan Liberski, Carlos Vaquera, Charlotte Dekoker, Pascal Houmard, Jean-Louis Sbille, Véronique Bergen, Marc Alpozzo, Alain Doucet, Pierre Graas, Colette Boucart, Sandra Zidani, Hugues Hausman, Mario Guccio, Marc Meganck, Marc Alpozzo, Ziska Larouge, ...

Bien entendu, il s'agira d'évaluer chaque titre mais ceux que nous avons lu nous laissent espérer une collection originale et le programme des mois à venir, des auteurs dont la variété constituera à n'en pas douter un kaléidoscope de la diversité littéraire de cette vraie littérature qu'est la littérature française de Belgique.
La distribution des Opuscules présente l'originalité de proposer des formules d'abonnements. S'agissant d'hebdomadaires, c'est là une manière d'explorer de nouveaux modes de distribution qui, espérons-le, permettront aux auteurs de se faire connaître au-delà des frontières et de disposer d'une carte de visite originale et exemplaire.
Une suggestion? 
Pourquoi ne pas profiter de ce format pour y insérer de temps à autre un de ces textes courts qui appartiennent au patrimoine et qui pourraient devenir de belles découvertes pour un public forcément amateur de nouvelles. S'agissant de littérature française de Belgique, nous songeons à Albert Ayguesparse, Philippe Jones, Franz Hellens, Jean Ray, André Baillon, Charles Plisnier..
On pourrait aussi imaginer, une édition d'opuscules bilingues, en français et en néerlandais: ceci permettant aux auteurs de la francophonie belge de se faire connaître en Flandres...

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 8 septembre 2017

jeudi 7 septembre 2017

"Patricia" de Geneviève Damas

PATRICIA 
Geneviève Damas

Editions Gallimard




Geneviève Damas est dramaturge et romancière, comédienne et engagée. Ces quatre qualités convergent dans le travail de l'écrivain comme nous le montre son dernier roman en date dont le titre est le nom d'une des trois "voix" du récit, Patricia. Les deux autres sont celles de Jean Iritimbi, parti de Centrafrique dans l'incertain exil des réfugiés il se trouve, au début du roman, à Montréal, et celle de sa fille, Vanessa, la plus jeune de ses filles abandonnée là-bas au pays avec sa soeur Myriam et sa mère Christine, la femme de Jean Iritimbi, à qui il n'a eu de cesse d'envoyer de l'argent, et de mentir quant à la réalité qu'il vit, celle d'un sans-papier, sans-statut, travailleur clandestin faisant la plonge dans un Hôtel aux Niagara Falls.
Le roman s'ouvre avec son récit à lui, dans lequel bien vite, entre Patricia, Patricia Couturier, qu'il séduira, puis qu'il aimera, puis qu'il abandonnera. Patricia loge dans l'hôtel où il fait la plonge. Femme blanche, quadragénaire et seule, elle aimera Jean Iritimbi, lui procurera de faux papiers, l'emmènera en France où elle retourne après avoir éparpillé les cendres de sa mère dans les Chutes du Niagara.
Vanessa est la troisième voix, celle de la troisième et dernière partie du livre. Elle est une jeune adolescente lorsque, avec sa soeur et leur mère elles entreprennent le terrible voyage qui devrait les emmener de Bangui à Paris. On ne eut pas ici, dévoiler le récit, mais il faut dire combien cette voix muette (Vanessa, survivante du naufrage du bateau qui a traversé la Méditerranée, un de ces milliers d'esquifs que nous avons tous vu sur des photographies de presse ou dans des reportages télévisés, Vanessa est devenue aphasique - ou choisi le silence- et ne dira rien à Patricia qui l'accueil dans sa vie, veut l'aider, veut lui redonner vie), il faut dire combien cette voix muette bouleverse le lecteur qui, à l'orée de la troisième partie du livre, sait son histoire.
La force de l'écriture de Geneviève Damas réside dans la justesse du ton qu'elle a donné à chacun de ses protagonistes, dévoilant au fil des récits qui s'entrelacent dans le cour du lecteur, la complexité des sentiments, des situations et des instruments qu'ils construisent pour survivre.
La puissance du roman de Geneviève Damas trouve sa source dans ces voix qui résonnent en nous à la lecture, qui fait de nous les témoins infiniment proches des ces êtres à qui nous donnons enfin une identité; ces femmes, ces enfants, ces hommes dont nous ne savions jusqu'alors que le nombre et la statistique, nous connaissons à présent leur identité. Ils sont Jean Iritimbi, Christine Iritimbi, Vanessa Iritimbi, Myriam Iritimbi. Ils ont été spoliés, dupés, dévalisés, menacés, violentés avant de naufrager sur le rivage de l'Occident.
La vérité du récit de Geneviève Damas provient des trois écritures qui l'ont nourrie: un séjour à Lampedusa dont elle a ramené une évocation poétique accompagnant les photographies qu'elle y a réalisées; une série de chroniques parues dans le quotidien "Le Soir"; l'écriture romanesque, c'est à dire l'invention des personnages qu'elle place, entre les lignes de son livre, face à nous, les yeux dans les yeux.
Dramaturge, romancière, comédienne et engagée, Geneviève Damas mêlé ces quatre qualités dans une alchimie littéraire dépourvue de pathos, dont le révélateur est peut-être l'ébranlement d'un monde dont elle a été le témoin sensible avant d'en devenir l'intransigeante narratrice.

Il est des romans qui renouvellent la conscience et la tiennent en éveil. 
"Patricia", ce titre dont le sens est donné à la dernière ligne du livre, appartient à cette bibliothèque-là des livres-conscience.

Jean Jauniaux, Bruxelles le 7 septembre 2017

Geneviève Damas sera prochainement l'invitée d'une des Grandes Rencontres de PEN Club Belgique. Plus d'informations sur le site du centre belge francophone de PEN International.

mercredi 6 septembre 2017

« Mistral perdu ou les événements » 

Isabelle Monnin



Editions JC Lattès

« A mes fantômes » , la dédicace du récit d’Isabelle Monnin nous a placé à l’entame de la lecture dans un espace sensible dont nous devinions la détresse et le chagrin du deuil. Nous ne connaissions rien du livre hormis son titre « Mistral perdu les événements », même pas la couverture (le livre nous est parvenu à l’état « brut » d’épreuves en papier A4, comme s’il attendait encore avant de prendre la forme définitive dans laquelle il apparaîtrait plus tard sur les étals des libraires et entre les mains de lecteurs), même pas le communiqué de presse ou la quatrième de couverture.
« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais », l’exergue extraite des Années d’Annie Ernaux, nous annonçait une complicité ou une filiation avec celle qui explore continûment la mémoire intime.
Les chapitres du livre, « Enfance I, II, III », « Adolescence I,II », « Adulte » puis viennent les « Mort » et, le dernier « Mistral perdu » nous entraînent dans une vie scandée dans sa narration par un « Nous sommes deux » qui désigne « les filles », la narratrice et sa sœur cadette. « Il y a nous et eux », les filles d’un côté et puis le reste du monde dont la perception (et la formulation) va s’élargir au fil des années, en cercles concentriques qui englobent successivement des événements privés et familiaux, l’école, le collège, le lycée, le village puis la ville, les premiers émois, jusqu’à ce que la mort survienne et frappe à deux reprises emportant la cadette à 26 ans, faisant éclater le « nous », puis, emportant, des années plus tard, le troisième enfant de la survivante, bébé prématuré qui ne vivra que six jours.
La narratrice entame alors l’écriture d’un triple récit : en parallèle avec celui des filles, celui des «  autres » et enfin celui, intime, du travail de deuil entrelacé avec celui de l’écriture. En filigrane, se lit plusieurs décénies d’une vie française qui n’est jamais datée, mais que l’on situe dans l’échelle du temps à partir d’indices du quotidien : « les voitures des parents », « l’autoradio où ne tourne qu’une cassette, Initials B.B. », l’émission « Les chiffres et les lettres », Marchais et Giscard, la claire et limpide ligne de démarcation entre « la gauche » (à laquelle appartient la famille de la narratrice) et « la droite », Michel Drucker (déjà)… Isabelle Monnin déploie, dans un hypnotique inventaire à la Prévert, toutes ces choses dont elle éveille le souvenir chez le lecteur de sa génération. Mais le livre est encore ailleurs, dans la bande sonore dont le titre « Mistral perdu » évoque l’album de Renaud, (« le chanteur aux cheveux jaunes ») dont les chansons, mais aussi la désespérance sans cesse approfondie, jalonnent la désillusion, puis le désespoir de la narratrice, frappée par la double disparition de la sœur et de l’enfant.
Le livre est enfin dans l’interrogation lancinante et paradoxale de l’écriture et de la mémoire. « La mémoire fait défaut et les mots sont trop étroits. » déplore la narratrice qui échoue à exprimer ce qu’a représenté pour elle une amie, mais qui, en se rendant sur le lieu occupé naguère par une cabane, peut reconstituer celle-ci dans ses moindres détails (« je sais d’instinct où sont ses limites, à quelle branche je me cognerai et où pousseront, au printemps prochain, les petites violettes dont je suce les pétales friandises »). A chaque fois que la mémoire fait défaut à l’évocation de l’intime, Isabelle Monnin se réfugie dans tout ce dont nous avons une mémoire collective : l’élection de Mitterand, les nouvelles chansons de Renaud, Le Pen invité de L’heure de vérité (« Nous crachons sur la télé me dicte ma mémoire »), l’omniprésence de la radio, l’apparition du Minitel, la rencontre avec le compagnon de sa vie, le père de ses enfants « la Montagne », tout ce qui a fait les trente glorieuses…
Puis l’entrée au journal, l’embauche, les doutes qui envahissent la « froussarde audacieuse », le sentiment d’imposture…là aussi les souvenirs s’estompent, manquent de corps et de précision. On ne peut en rendre compte que sous forme de sensations ou de séquences courtes . « Je ferme les yeux pour mieux me souvenir. Sous mes paupières, ça serpente comme une autoroute. Il faut arrêter le défilé pour attraper une image. »
Survient la première mort, « Mort I », un chapitre de 15 lignes. « Son cœur a cessé de battre d’un coup » « le 19 novembre 2000 à 06h14 »
Survient la deuxième mort, « Mort II », le bébé prématuré, « Mon roi du monde ». En une page bouleversante la mère dit tout ce qu’elle n’aura pas fait avec cet enfant, et ajoute « Mais je t’ai couché dans l’éternité d’un livre, c’est tout ce que je pouvais faire. »

Ainsi, l’écriture, ainsi le livre seraient-ils un chemin de deuil ?

« Je suis nous, j’écris et écrire ne console rien, ne rassure rien (…) C’est marcher sur un sentie transparent. Sous les pieds une armée tremblante de souvenirs flous… »

Renaud chante Ta batterie , « l’image qui est venue est celle de l’ultime chant d’un monde englouti »

Le roman s’achève, la question reste en suspens :

« Je me demande d’où viennent ces lignes qui s’écrivent, d’une chanson vraiment, des larmes inattendues qu’elles ont provoquées ? Peut-être ont-elles parcouru un long voyage, des années à errer sur mes chemins, elles marcaheint la nuit pour échapper aux contrôles, elles étaient des ombres maigres, on pouvait les confondre avec les silhouettes forestières derrière lesquelles eles se cachaient. Elles étaient si discrètes que personne ne les a vues venir. Pas un bruit, à peine un froissement parfois, on se retournait et on ne distinguait rien alors on se disait On a entendu des voix. »

Jean Jauniaux, Bruxelles, le 5 septembre 2017.

Nous avions rencontré Isabelle Monnin » à la parution de deux de ses romans :

Ces interview au micro d’Edmond Morrel sont accessibles sur les liens de la webradio espace-livres.


"C’est une histoire intime, deux sœurs grandissent ensemble dans la France provinciale des années 1980  ; et puis l’une meurt.
C’est une histoire politique, on croit qu’on appartient à un tout  ; et puis on ne comprend plus rien.
C’est l’histoire du je et du nous, ces deux-là s’intimident, ils se cherchent, parfois ils se trouvent  ; et puis ils se déchirent.
C’est l’histoire de valeurs, elles disent qui on est  ; et puis elles se laissent bâillonner.
C’est l’histoire d’un chanteur préféré, tendre et rebelle  ; et puis il finit par embrasser les flics.
C’est l’histoire d’un hier, où ne comptait que le futur  ; et puis des aujourd’hui, malades du passé.
C’est l’histoire d’un monde qui se croyait fort et paisible  ; et puis il réapprend la haine.
C’est l’histoire qui nous arrive  ; et puis l’impression de ne plus y arriver.
C’est une nostalgie, sans doute, mais pas seulement  : dans la mémoire de ce qui fut, demeurent peut-être les graines de ce qui renaîtra, après la catastrophe."