"DETAILS"
ANDREA CLANETTI OU
L’EXPLORATION DE LA FRAGILITE.
du 9 au 30 septembre
L’inspiration d’un artiste se nourrit de toutes les expériences
sensorielles qui s’entrelacent lorsqu’elles prennent forme sur la toile ou sur
la page. L’imaginaire du peintre vénitien
Andrea Clanetti additionne plusieurs strates sédimentaires : la
première d’entre elles s’est construite à partir d’images dessinées et filmées.
Les « comics » et le cinéma ouvraient à l’enfant Clanetti un univers
de sensations et d’émotions dont le peintre ne cessera d’explorer les routes.
Dès les premiers dessins, le jeune homme s’efforcent de reconstituer la poésie
des regards, la violence des gestes, la grâce de la féminité. Au pastel, il
recrée les visages des stars d’alors : le plus émouvant des ceux-ci, celui
de Greta Garbo, réunit dans la douceur des traits une rêverie enfantine de la
féminité. L’artiste mûrit, multiplie les angles d’attaque, s’aventure dans les
chemins de traverse : le monde qui le hante est sans limites, la soif de
découvrir inextinguible.
Sans jamais l’épuiser, Clanetti puise dans la nostalgie du cinéma
italien de son enfance. Sans mélancolie ni tristesse. Au contraire : la
jubilation de l’artiste est intacte dans chacun de ses coups de pinceaux
expressionnistes autant que dans la précision de ses dessins. Il sollicite toutes
les techniques dont il a acquis la maîtrise. Remarquable illustrateur et
dessinateur, il convoque sur la toile les figures emblématiques du cinéma (dont
une toile magistrale représentant une scène de la Dolce Vita) et celles des
"comics" américains : la gouache, l’acrylique, l’encre de chine,
le fusain et le pastel déploient une palette sans cesse renouvelée. Il explore
le noir et blanc dans une série de toiles inspirées de « L’Homme
invisible » : d’un geste de la main, d’un mouvement de tissu, il fait
apparaître dans la transparence réinventée un visage absent dont on croirait
voir l’expression. Suivant le moment où le spectateur regarde la toile, le
regard invisible nous dit l’angoisse, la force, l’invulnérabilité, la peur ou
la fragilité.
Dans le même format qui lui convient particulièrement, 100 sur 100, il recrée les visages de Frankenstein, d’Anna
Magnani, de Marcello Mastroianni mais aussi d’amis et de proches. Au premier de
ces « portraits », un Donald Duck, Clanetti avait donné une
paradoxale dureté du regard et de
l’expression. Dans ces tableaux faussement sombres, Clanetti réussit chaque
fois à restituer une forme de révolte de la vie face au sentiment tragique
qu’elle inspirait au philosophe.
Dans ses œuvres récentes, l’artiste aborde la série dans des formats
plus petits. Il poursuit la fascination qu’exerce sur lui la chorégraphie des
westerns à l’italienne. Cette fois-ci il essaie de piéger cette fantasmagorie
en isolant la gestuelle des personnages, en immobilisant les protagonistes à
l’instant précis où le duel va se déclencher, le coup de feu va partir. Pour en
tester la force d’évocation, il déplace les personnages hors de leur
contexte : au lieu du saloon, un immeuble moderniste, au lieu d’une plaine
désertique, une zone urbaine.
L’artiste s’en explique :
« J’essaie de capturer
l’instant suspendu qui précède l’action, le moment où tout est encore possible
face à une épreuve. Le personnage emblématique du “pistolero”, inspiré
par les films de Sergio Leone, incarnent à mes yeux notre dualité : héros
et antihéros à la fois, ces figures mythiques incarnent une humanité ni
entièrement bonne ni entièrement méchante, rude et intrépide. Dans la
narration, les conflits se résolvent à coups de feu. C’est la loi du genre. J’ai
voulu aller derrière l’écran, modifier l’espace-temps, mais aussi
l’inéluctable déroulement de l’action. Transportés dans un autre présent, comme
les personnages de « Startreck », les invincibles pistoleros sont pétrifiés,
en attente, abasourdis.
Il y a selon moi une forme de poésie
picturale dans cet instant figé. Le personnage redevient homme, la logique dans
laquelle il se confortait est brisée. Il redevient maître de son choix. Il se
découvre homme face au choix, à l’inattendu, au destin. J’ai choisi de les
placer dans un environnement architectural ou urbanistique épuré mais structuré,
plus propice à mes yeux pour mettre en avant la précarité soudaine de la figure
humaine face à la géométrie des éléments. La perfection formelle mais immobile des
architectures d’ Oscar Niemeyer (comme p.e. le Palazzo Mondadori à Milan)
déstabilisent le personnage. Elles semblent l’ébrécher. En même temps, la
rudesse et l’imperfection de la silhouette humaine mettent à
nu la froideur aliénante des lignes de telles
constructions. Il y a là une tension entre l’ (notre) image du héros mythique,
sa charge évocatrice d’une humanité imparfaite mais invincible, et celle de la
création architecturale qui, dans sa perfection, reste indifférente, imperturbable,
inaccessible, distante par rapport à l’humain.
La tension produite par cet
équilibre menacé crée l’incertitude, cette source inépuisable pour un
artiste. »
Ce que nous avons vu des œuvres nouvelles qu’il présentera aux cimaises
de la Lesbrouss ART Gallery nous indique un approfondissement renouvelé de l’inspiration qui le conduit
vers un travail sur les gris et noirs (qu’il avait déjà tenté dans une de ses
œuvres les plus fortes, « L’homme
invisible », 2011), sur le mouvement que cette bipolarité des teintes
lui permet d’explorer. Le cinéma n’est jamais loin de la toile sur laquelle le
peintre projette une imagerie devenue dense, grave, intense. Le trait crée un
mouvement elliptique auquel la perspective, en déséquilibre, donne une
profondeur inattendue. Aucune toile de Clanetti ne laisse indifférent le
spectateur. Longtemps après qu’il l’ait regardée, elle interroge sa
sensibilité, sa présence au monde, son regard sur celui-ci. N’est-ce pas là une
des fonctions les plus nécessaires de l’art ?
Jean Jauniaux, Bruxelles, novembre 2012 et septembre 2017.
"L'homme invisible", Andréa Clanetti, 2010, "une des oeuvres les plus fortes de Clanetti. "Collection privée |
"Donald Duck", 2009, "une paradoxale dureté du regard et de l’expression"", Collection privée |
Nous avions interviewé Andréa Clanetti à trois reprises au micro d'Edmond Morrel ( web radio www.espace-livres.be) :
On peut également retrouver Andréa Clanetti dans un court métrage de Julien Jauniaux (2012)