jeudi 7 septembre 2017

"Patricia" de Geneviève Damas

PATRICIA 
Geneviève Damas

Editions Gallimard




Geneviève Damas est dramaturge et romancière, comédienne et engagée. Ces quatre qualités convergent dans le travail de l'écrivain comme nous le montre son dernier roman en date dont le titre est le nom d'une des trois "voix" du récit, Patricia. Les deux autres sont celles de Jean Iritimbi, parti de Centrafrique dans l'incertain exil des réfugiés il se trouve, au début du roman, à Montréal, et celle de sa fille, Vanessa, la plus jeune de ses filles abandonnée là-bas au pays avec sa soeur Myriam et sa mère Christine, la femme de Jean Iritimbi, à qui il n'a eu de cesse d'envoyer de l'argent, et de mentir quant à la réalité qu'il vit, celle d'un sans-papier, sans-statut, travailleur clandestin faisant la plonge dans un Hôtel aux Niagara Falls.
Le roman s'ouvre avec son récit à lui, dans lequel bien vite, entre Patricia, Patricia Couturier, qu'il séduira, puis qu'il aimera, puis qu'il abandonnera. Patricia loge dans l'hôtel où il fait la plonge. Femme blanche, quadragénaire et seule, elle aimera Jean Iritimbi, lui procurera de faux papiers, l'emmènera en France où elle retourne après avoir éparpillé les cendres de sa mère dans les Chutes du Niagara.
Vanessa est la troisième voix, celle de la troisième et dernière partie du livre. Elle est une jeune adolescente lorsque, avec sa soeur et leur mère elles entreprennent le terrible voyage qui devrait les emmener de Bangui à Paris. On ne eut pas ici, dévoiler le récit, mais il faut dire combien cette voix muette (Vanessa, survivante du naufrage du bateau qui a traversé la Méditerranée, un de ces milliers d'esquifs que nous avons tous vu sur des photographies de presse ou dans des reportages télévisés, Vanessa est devenue aphasique - ou choisi le silence- et ne dira rien à Patricia qui l'accueil dans sa vie, veut l'aider, veut lui redonner vie), il faut dire combien cette voix muette bouleverse le lecteur qui, à l'orée de la troisième partie du livre, sait son histoire.
La force de l'écriture de Geneviève Damas réside dans la justesse du ton qu'elle a donné à chacun de ses protagonistes, dévoilant au fil des récits qui s'entrelacent dans le cour du lecteur, la complexité des sentiments, des situations et des instruments qu'ils construisent pour survivre.
La puissance du roman de Geneviève Damas trouve sa source dans ces voix qui résonnent en nous à la lecture, qui fait de nous les témoins infiniment proches des ces êtres à qui nous donnons enfin une identité; ces femmes, ces enfants, ces hommes dont nous ne savions jusqu'alors que le nombre et la statistique, nous connaissons à présent leur identité. Ils sont Jean Iritimbi, Christine Iritimbi, Vanessa Iritimbi, Myriam Iritimbi. Ils ont été spoliés, dupés, dévalisés, menacés, violentés avant de naufrager sur le rivage de l'Occident.
La vérité du récit de Geneviève Damas provient des trois écritures qui l'ont nourrie: un séjour à Lampedusa dont elle a ramené une évocation poétique accompagnant les photographies qu'elle y a réalisées; une série de chroniques parues dans le quotidien "Le Soir"; l'écriture romanesque, c'est à dire l'invention des personnages qu'elle place, entre les lignes de son livre, face à nous, les yeux dans les yeux.
Dramaturge, romancière, comédienne et engagée, Geneviève Damas mêlé ces quatre qualités dans une alchimie littéraire dépourvue de pathos, dont le révélateur est peut-être l'ébranlement d'un monde dont elle a été le témoin sensible avant d'en devenir l'intransigeante narratrice.

Il est des romans qui renouvellent la conscience et la tiennent en éveil. 
"Patricia", ce titre dont le sens est donné à la dernière ligne du livre, appartient à cette bibliothèque-là des livres-conscience.

Jean Jauniaux, Bruxelles le 7 septembre 2017

Geneviève Damas sera prochainement l'invitée d'une des Grandes Rencontres de PEN Club Belgique. Plus d'informations sur le site du centre belge francophone de PEN International.


Edmond Morrel avait rencontré Geneviève Damas à la parution de son premier roman "Si tu passes la rivière" paru chez Luce Wilquin  en 2012. Voici ce qu'il en écrivait à l'époque. (L'enregistrement de l'interview est toujours accessible sur la web radio Espace-Livres, en cliquant sur le lien http://www.espace-livres.be/Si-tu-passes-la-riviere-le-roman ) :

"Le Jury du Rossel met en lumière un roman, un premier roman, qui bénéficiera ainsi d’une promotion particulièrement méritée. Damas émeut à la fois par le style et par les personnages dont elle nous raconte les secrets dissimulés dans la violence du monde rural. Une rivière qu’il lui est interdit de franchir donne le titre au livre mais aussi au dévoilement du secret qui hante le narrateur, François, un garçon de ferme illettré, que le père menace des pires violences s’il franchit la rivière. La soeur de François, la seule personne qui lui ait manifesté de l’amour, a franchi naguère la ligne interdite...

Dire davantage de l’intrigue serait la trop dévoiler et priver le lecteur du cheminement dramatique et émotionnel auquel Geneviève Damas nous invite avec une maîtrise époustouflante. Comme pour tous les grands romans, celui-ci ne nous abandonne pas une fois la dernière page lue. Il nous assaille des interrogations qu’il a fait naître en nous sur l’analphabétisme, l’absence de la mère, les secrets de famille, les deuils, la solitude, la tendresse...
Nous avons rencontré Geneviève Damas à Bruxelles pour un interview et la lecture d’un extrait, interrompus de ci de là par les gazouillis du bébé qui assistait à l’entretien...
S’il s’agit ici du premier roman de Geneviève Damas, il serait impardonnable de ne pas mentionner les pièces de théâtre dont elle est l’auteur.
La plupart de celles-ci ont été publiées par Emile Lansman, cet éditeur sans qui nombre d’oeuvre de théâtre ne connaîtraient que le destin éphémère des représentations. Avec une obstination et un dynamisme à soulever des montagnes, Emile Lansman est devenu l’éditeur par excellence du théâtre francophone. En 23 ans d’existence, la maison d’édition Lansman a publié près de 900 pièces. gageons qu’arrivée à son quart de siècle elle aura atteint les 1000 textes et constitué ainsi le plus vaste répertoire dramatique francophone contemporain.
Allez visiter son catalogue, vous y trouverez cet incroyable répertoire vivant du théâtre contemporain et, qui sait, retrouverez-vous aussi le plaisir de lire des pièces.

Edmond Morrel (2012)"

Au Canada, Jean Iritimbi, un Centrafricain sans papiers, rencontre, dans l’hôtel où il travaille au noir, Patricia, une cliente blanche qui s'éprend de lui. Pour le ramener avec elle à Paris, elle vole le passeport d’un Afro-Américain. Mais Jean Iritimbi n’a pas dit à Patricia qu’il a une famille au pays, une femme et deux filles. Il apprend en les appelant qu’elles sont en route pour le rejoindre. Hélas, le bateau qui les transporte fait naufrage. On annonce peu de survivants. 
À partir d’une des tragédies de notre actualité, l’auteur a composé un roman bref d’une étonnante densité. C’est un texte à plusieurs voix, finement documenté et d’une grande émotion. Les trois personnages principaux parlent à tour de rôle, d’une voix juste, portée par une écriture orale et simple. Cette polyphonie offre une vision originale et sensible du drame des migrants.