lundi 28 août 2017

"1917: la bande-son d'une révolution" une création radiophonique exemplaire de Françoise Nice

"1917: la bande-son d'une révolution"

Texte et réalisation : Françoise Nice



La  radio "de service public" (re)trouve ici toutes ses vocations: la création, l'information, le divertissement, l'éducation permanente. Françoise Nice, qui a écrit et réalisé cette étonnante série en neuf épisodes en a été l'incarnation pendant toute sa carrière de journaliste. En s'essayant à la fiction (ce qu'elle avait déjà fait à de trop rares occasions pour la revue littéraire MARGINALES), elle ajoute à ces missions fondamentales dévolues à la RTBF (qui a produit la série), l'art de raconter en utilisant toute la palette sonore de la partition radiophonique: les voix, les bruits, les ambiances et bien sûr la musique qui constitue le fil d'Ariane de cette bande-son. 

La radio publique belge francophone nous offre ainsi une réalisation radiophonique hors-normes pour raconter la révolution russe à travers une "bande sonore" de l'un des plus grands bouleversements géopolitiques du siècle. Francoise Nice, journaliste spécialiste de l'URSS et de la Russie, mais aussi authentique réalisatrice de "radio de création", a choisi le langage sonore pour nous plonger dans ce qu'ont engendré dans la création musicale soviétique, ces "dix jours qui ébranlèrent le monde".

Francoise Nice nous donne ici une des commémorations les plus originales de 1917, mais aussi, surtout, une indispensable stimulation à en connaître davantage. Elle remplit ainsi pleinement la vocation de service public de la RTBF. Qu'elle en soit remerciée par une écoute qui fasse exploser l'audimat serait un juste retour des choses, auquel, je l'espère, ce message pourra contribuer.


Je viens d'écouter le premier des 9 épisodes de "1917: la bande-son d'une révolution". Avant de me plonger dans la suite de l'univers sonore et musical de 1917, un feuilleton écrit et réalisé par Françoise Nice, mis en ondes par Marion Guillemette et dit par Vincent Delbushaye dont , je joins ci-dessous la courte présentation de la série ainsi que le lien par lequel vous pouvez l'écouter sur le site de la RTBF (et sur Auvio pour les podcasts), de Radio Canada ou de la TSR (Radio suisse romande).

Jean Jauniaux, Bruxelles, août 2017


Liste des épisodes: 

1) Un grand vent de liberté disait ma grand-mère
2) Années trente: la baguette et la faucille (la création de l'Union des compositeurs et la lutte contre le formalisme) 
3) 1936 : le retour de Sergueï Prokofiev 
4) 1941-1945: la musique sur tous les fronts, musiques de guerre 
5) Dimitri Chostakovitch : "En musique, je ne mens jamais" 
6) Musique et cinéma, un drôle de couple 
7) Avec ou sans visa, la musique voyage ( épisode diffusé par Radio Canada uniquement) 
8) Icônes, dissidentes, marginales : la création au féminin 
9) l’URSS n’est plus, la musique est là : passeurs et héritiers. 


Présentation sur le site de la TSR et de Radio Canada


"Après l'asservissement sous les tsars, la révolution de 1917 fut un acte de libération et d'espoir, mille fois célébrée de gré ou de force par les artistes. Au soir de sa vie, Maria Stouchova évoque avec son petit-fils Pierre ses souvenirs de la vie musicale soviétique au 20eme siècle."


Présentation sur le site de la RTBF

À l’occasion des 100 ans de la révolution russe, ce feuilleton inédit retrace en 8 épisodes le bouleversement du paysage musical russe au lendemain de la révolution de 1917. Après l’asservissement des peuples sous les tsars, cette révolution fut un acte de libération et d’espoir, mille fois célébrée, de gré ou de force, par les artistes.
Au soir de sa vie, Maria Stouchova évoque avec son petit-fils Pierre, mélomane amateur à la recherche de ses racines russes, ses souvenirs de la vie musicale soviétique au 20e siècle. On y croise Prokofiev et Chostakovitch, et on y découvre une scène florissante jusqu’au tournant des années 30, lorsque Staline et le Parti communiste cadenassent la création. Les œuvres d’avant-garde sont bannies au profit d’une musique et d’un cinéma de propagande. Les artistes sont alors sous la surveillance de la toute-puissante Union des compositeurs. Et pourtant, par la ruse ou le compromis, par les échanges lors des festivals et parfois l’exil, les musiciens soviétiques ont pu laisser un patrimoine musical incontournable.
Une saga puissante, accompagnée de bravos et de sanglots, et transmise à travers les échanges entre Maria et Pierre. En 8 épisodes de 60 minutes, écrits par Françoise Nice, racontés par Vincent Delbushaye et co-réalisés par Françoise Nice et Marion Guillemette (Musiq’3).
Pour aller plus loin :
  • Frans C. Lemaire, Le destin russe et la musique, un siècle d’histoire de la Révolution à nos jours, Fayard, Les destins de la musique, Paris, 2005
  • Laetitia Le Guay, Serge Prokofiev, Actes Sud / classica, 2012

vendredi 25 août 2017

Aux pieds de la lettre : le mail art de Roger Dewint

"Aux pieds de la lettre" : le mail art de Roger Dewint

Un livre-catalogue (Editions Quadri, Bruxelles)
et Quatre expositions



En ouvrant  le livre-catalogue sur un extrait du roman « Le signe des Quatre »  de Sir Arthur Conan-Doyle, on ne peut manquer d’être plongé dans un temps ancien où le courrier n’était que postal, les lettres s’écrivaient sur du papier, se glissaient dans une enveloppe et se confiaient aux soins de la Poste. Celle-ci se chargeait alors d’acheminer l’enveloppe et son contenu vers les destinataires qui se trouvaient parfois à l’autre bout du monde et qui la recevaient des mains d’un facteur dont on conserve le souvenir d’un personnage allègre, accueilli avec bonheur partout où il venait déposer les nouvelles d’un ami, d’un proche, d’un parent ; personnage grave lorsque la lettre, il avait l’instinct pour en deviner le contenu, annonçait un décès, une catastrophe, une violence.

Avec le « mail-art » auquel il s’adonne avec jubilation, Roger Dewint renoue avec le cheminement lent et la présence physique. Sur des enveloppes au format rectangulaire, il crée un univers singulier d’aquarelle et d’encre de Chine. On y voit des paysages (les bords de mer souvent, ), des armes, des édifices et des véhicules militaires de toutes sortes (avec autant de mitrailleuses, de révolvers, de blindés l’artiste exacerbe-t-il ainsi ses convictions pacifiste et antimilitariste ?), des visages (souvent grimaçants, aux yeux exorbités qui fixent le destinataire de la lettre), des masques, des insectes, des encriers (dont Dewint a une collection enviable)… On ne saurait ici évoquer les multiples êtres, objets, instruments, paysages et véhicules qui ont tous pour point commun la précision du trait aussi aiguisée que  l’ironie du regard.

Pour que les envois soient pris en charge par les officines de la Poste, ils doivent être dûment estampillés et adressés. L’artiste complète alors sa création en choisissant ou en créant le timbre-poste qui au mieux s’intégrera à l’image, par harmonie des couleurs, par utilisation de l’effigie du timbre dans le dessin ou, le plus souvent, par le contraste ironique entre ce qu’il donne à voir et ce qui est illustré sur l’enveloppe (ainsi ce papillon banc sur fond bleu qui survole un blindé particulièrement agressif, toutes armes dressées vers le timbre comme s’il voulait exterminer le volatile). L’enveloppe ne serait pas complète sans un cachet (le « RAPPEL » orne souvent un espace libre de l’ensemble) ou une vignette (« PRIOR » par exemple), et l’adresse, calligraphiée en caractères majuscules à l’encre de Chine noire.

Au nombre de lettres qui lui sont destinées, on devine le bonheur souriant qu’éprouve Ben Durant, ami, galleriste et éditeur, lorsque le facteur glisse dans sa boîte à lettres une de ces enveloppes qui vient augmenter sa collection, et nourrir les catalogues dont il publie le troisième tome à l’occasion de quatre expositions « postales » (La Wittockiana à Bruxelles, La Médiathèque à Uzès, Le Cadratin à Vevey et l’espace Jean Jaurès à Vauvert).

« Aux pieds de la lettre 3 » , en tirage limité, est en soi un livre d’art et un collector bien sûr, mais aussi une savoureuse anthologie de citations, provenant d’une innombrable bibliographie, évoquant toutes une péripétie mettant en présence le protagoniste avec une enveloppe. Parmi les auteurs, outre Conan-Doyle cité déjà, le lecteur se délectera d’extraits de Jean Ray, Simenon, Robert Van Gulik, André Hardellet, Patrick Modiano et bien d’autres.
En exergue de son site, Philippe Robert-Jones, dont Dewint a illustré plusieurs ouvrages, nous donne en partage une perception sensible de le démarche de l'artiste. Même s'il concerne en particulier le travail du graveur, ce fragment s'applique idéalement au "mail-art" : "
Le graveur est un homme qui croit dans la durée, le  fruit d’intimes confidences où la main se prolonge par une antenne vive. L’écriture est ourlée sur la mer de métal, en sillage, en plongée, en ses ponctuations où la couleur module; l’aile d’un oiseau même y laissera sa trace lorsque d’encre sucré, un creuset se révèle au creuset du papier."

Il vous reste à franchir le seuil d’un des lieux où sont exposées ces enveloppes, à vous en réjouir et à regarder, d’un œil différent, l’employé des postes ployant sous la charge des courriers parmi lesquels vous est peut-être adressée une enveloppe dessinée d’un artiste singulier qui, entre deux gravures, s’adonne au bonheur lent et souriant de l’humour grave.

Jean Jauniaux, Bruxelles, août 2017


Pour prolonger cet article, je vous invite à écouter l’interview de Ben Durant et Roger Dewint, enregistrée à la Galerie Quadri cet été, ainsi que d’autres entretiens que vous trouverez sur la webradio www.espace-livres.be

Cette enveloppe ne figure pas dans l'exposition, mais nous n'avons pas résisté à l'inclure dans cette évocation de Roger Dewint.

mercredi 23 août 2017

La peintre Jacqueline Ghaye expose à "Pêle-Mêle" : éclat de la lumière et couleur du mouvement

Jacqueline Ghaye 
expose à "Pêle-Mêle" jusqu'au 8 septembre

Entrelacements d'éclats de lumière, de couleur, de mouvement.



L’abstraction, lorsqu’elle est inspirée, transporte le spectateur dans des rêveries inattendues où il se laisse emmener au gré des toiles exposées, dans une navigation aux balises incertaines. Il faut réunir authenticité, musicalité, grâce et intensité pour transporter ainsi le voyageur inconnu dont le regard a été capté, dans  la lumière, la couleur, le trait de l'artiste.

L'affiche de l'exposition

Les œuvres que Jacqueline Ghaye nous donne à voir aux cimaises de la bouquinerie « Pêle-Mêle » appartiennent à cette haute catégorie.  
La lumière du trait, le mouvement de celui-ci, sa profondeur et son intensité, les entrelacements de couleurs créent un ballet où l’un reconnaîtra un paysage, l’autre un horizon déchiré par un orage, un autre encore une nature morte, un autre enfin, la mémoire soudain sollicitée des émotions vraies.
Nous avions aperçu déjà, proposées en miniatures sur son site facebook, quelques œuvres de Jacqueline Ghaye. Même dans cet environnement de « likes » et de faux amis, dès qu’une oeuvre apparaissait, une sorte d’incandescence venait illuminer l’écran et estomper les milles signes qui auraient pu nous en distraire. Nous étions d’autant plus avides de contempler les tableaux. L’environnement d’une bouquinerie, le passage incessant de fouineurs et d’amateurs de vieux papiers ne sont sans doute pas idéaux. Mais, qu’à cela ne tienne : les toiles s’imposaient au regard et confirmaient les flamboiements que déjà l’écran de pixels laissait espérer.
Œuvres récentes (2016-2017), elles portent des titres que nous n'avons voulu connaître qu'après les avoir vues et nous être laissé emporter par elles : « Epilogue incertain », « Promeneurs », « L’arrivée », « Le visiteur », « Rencontre dehors », « Les miroirs » sont autant de titres que les romancières Virginia Woolf (« Les vagues ») ou Elizabeth Taylor (« Blaming », « A View of the Harbour ») auraient pu adopter pour leurs romans. 
Il y a chez elles, comme chez Jacqueline Ghaye, une semblable énergie, intransigeance et exigence dans l’expression.

Si vos pas vous mènent à la bouquinerie « Pêle-Mêle », poussez la porte vitrée, gravissez les escaliers vers l'étage, arrêtez-vous, comme nous l’avons fait, devant les toiles de cette artiste attachante qui fait de l’abstraction un inépuisable voyage dans l’éclat de la couleur et la lumière du mouvement.


Jean Jauniaux, août 2017, Bruxelles, Bouquinerie Pêle-Mêle

L’exposition des œuvres récentes de Jacqueline Ghaye est ouverte jusqu’au 8 septembre 7/7 jours de 10 à 18 h 30, et le vendredi jusque 21 h à la Bouquinerie Pêle-Mêle. Le 8 septembre aura lieu le décrochage auquel le public est invité. Plus d'informations sur le site de l'exposition. 

Quelques unes des oeuvres de Jacqueline Ghaye exposées à "Pêle-Mêle"
© Jean Jauniaux

mardi 22 août 2017

"Radical Machines" d'Eric Brogniet

"Radical Machines" d'Eric Brogniet (Editions Le Taillis Pré)


Sur la couverture, dans un médaillon circulaire, la photo d'un homme au visage dissimulé derrière un masque à gaz, éclairé d'une lueur verte que découpe, à l'arrière plan des flammes oranges. L'homme c'est Eric Brogniet , nous précise le crédit photographique. Marianne Grimont en 2010 a capté cette image sépulcrale du poète lors d'une performance avec le groupe rock Arthur Rain. La photographe avait déjà accompagné Eric Brogniet dans un recueil en 2013, "Graphies,nue noire" (Editions Tétras Lyre)

Trois textes composent ce recueil de poèmes: L'humanité délivrée, La jeune fille et la Mort, Tournez dans le ciel noir. Trois textes qui sont autant de flamboiements par lesquels le lecteur se laisse happer comme dans une de ces "machines" dont le poète décline les variations infinies robotique, cybernétique, informatique, médicale,...("L'humanité délivrée"), dans la violence pornographique ("La jeune fille et la mort"), la fin de l'humain ("Tournez dans le ciel noir")

On dirait, à lire "L'humanité délivrée" en particulier que Brogniet prolonge, et inscrit dans notre temps, les stupéfiantes visions de prédécesseurs. 

Verhaeren et ses "Villes tentaculaires" ne sont pas loin du spectacle que nous ouvre, derrière les lucarnes effrayantes de son masque, le poète Brogniet qui s'exclame "Poussez sur les crassiers, mangez l'air/Et la rouille, enfoncez-vous dans le poussier/Cette terre est rongée par la lèpre/Je suis né sur ces cicatrices/Comme elle je porte au visage la verrue/Des hangars vides et des carreaux cassés/(...). 

Cendrars se reconnaîtrait dans cette filiation des "Pâques à New-York", où il évoquait, lui aussi,  l'humanité abandonnée: "(...)la foule des pauvres (...)/Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices./D’immenses bateaux noirs viennent des horizons/Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons./Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,/Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols./Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens./On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens./"

On retrouve dans "L'humanité délivrée"  cet entrelacement de la compassion et de la violence, dans une véritable "vision" de ce qu'est devenu l'humain aujourd'hui. Le poète passe au crible de son assourdissante poésie ces fléaux silencieux qui nous encerclent de toutes parts, depuis la naissance jusqu'à la mort, et font feu de ce qu'il nous reste de chair et d'âme. Le poète est en alerte et nous donne un inventaire sidérant de l'aliénation qu'il dénonce et nous désigne :  le spectacle de la modernité nucléaire, virtuelle, violente, électronique,guerrière,mortifère.

Le poète nous met en garde, il nous enjoint aussi de "capter l'instant au bord de se dissoudre/Il faut une oreille absolue/L'inattendu suspens l'alouette au nadir/La brise dans les épis l'amoncellements nuées de l'orage/sa foudre à l'odeur d'ozone"

Il fait sienne, à chaque ligne de ces trois poèmes,  celle qu'il emprunte à Jacques Crickillon: " un mot qui n'est pas un risque n'est qu'une tache". 

La lecture achevée nous laisse abasourdi par la lucidité qu'elle nous impose lorsqu'il nous interpelle:
"Tu habites l'immensité/L'horizon est ta ligne d'épure/Chacun de tes pas une question/Tu as conquis désert et montagne/Laissé ton empreinte dans le sable ou la neige/Instauré le culte des morts/Déchiffré lentement la voûte céleste"
et nous interroge:
"Qu'as-tu fait de ces conqu^tes/Mutant de silicium, octets table/Coeur bionique accepteur d'électrons?/"
et nous rappelle ce que nous étions:
"Alors tu ressentais les choses/La nature entière en toi élisait domicile (...)/

Et le vertige de la poésie nous saisit par son dévoilement.

Jean Jauniaux, Bruxelles, Août 2017

A la sortie de "A la table de Sade", nous avions enregistré un interview d'Eric Brogniet au micro d'Edmond Morrel que l'on peut écouter et/ou podcaster sur la web radio espace-livres en cliquant sur le lien: http://www.espace-livres.be/A-la-table-de-Sade-d-Eric-Brogniet 





Nuage et dune


Imaginaires



Que serait ce lisse bleu horizon si les mouvements de la dune et des nuages ne venaient le tourmenter?  

Que seraient les rêves de ce promeneur fatigué, assis sour leur abri, face à la mer?

Ne leur manquerait-il pas la fantaisie de l'été, du vent, de l'enfance?

Jean Jauniaux, Saint-Idesbald, août 2017


©Jean Jauniaux "Dunes"


"Plutôt un ciel sans dieux que sans nuages !" 

(Arno Schmidt)



mardi 1 août 2017

Imaginaires


C’était avril 2017 dans le ventre de Paris. 

Rien ici ne subsiste du roman de Zola hormis ce que chacun de nous, lecteurs, en avons conservé dans le souvenir nourri de ces pages tellement inspirées qu’elles ne nous ont jamais quitté. Il suffit d'un effleurement de lumière sur un toit, d'une odeur chaude exhalée par la bouche du métro, de la hâte d'un enfant triste pour que le sentiment de cette lecture ancienne nous submerge, intact et puissant.

Les pierres de Saint-Eustache, là-bas dans le contre-jour, ont-elles, elles aussi,  imprimé dans quelque secrète mémoire, les cris des métayers, les plaintes des chevaux, la famine des miséreux, la fatigue glacée des sans-abri ? 

Je vois cet homme qui fouille dans une poubelle, cette femme qui fait les cent pas sans destination, ces enfants qui guettent une proie. 

Ils ont donc, en ne cessant de tuer le temps,  traversé les siècles ?

Jean Jauniaux
Saint-Avit Août 2017

©Jean Jauniaux, Paris avril 2017


« Entre les arêtes fines des piliers, ces minces barres jaunes mettaient des échelles de lumière, qui montaient jusqu’à la ligne sombre des premiers toits, qui gravissaient l’entassement des toits supérieurs, posant dans leur carrure les grandes carcasses à jour de salles immenses, où traînaient, sous le jaunissement du gaz, un pêle-mêle de formes grises, effacées et dormantes. Il tourna la tête, fâché d’ignorer où il était, inquiété par cette vision colossale et fragile ; et, comme il levait les yeux, il aperçut le cadran lumineux de Saint-Eustache, avec la masse grise de l’église ». 
("Le ventre de Paris », Emile Zola, 1873)