"Aux pieds de la lettre" : le mail art de Roger Dewint
Un livre-catalogue (Editions Quadri, Bruxelles)
et Quatre expositions
En ouvrant le livre-catalogue
sur un extrait du roman « Le signe des Quatre » de Sir Arthur Conan-Doyle, on ne peut manquer
d’être plongé dans un temps ancien où le courrier n’était que postal, les
lettres s’écrivaient sur du papier, se glissaient dans une enveloppe et se
confiaient aux soins de la Poste. Celle-ci se chargeait alors d’acheminer
l’enveloppe et son contenu vers les destinataires qui se trouvaient parfois à
l’autre bout du monde et qui la recevaient des mains d’un facteur dont on
conserve le souvenir d’un personnage allègre, accueilli avec bonheur partout où
il venait déposer les nouvelles d’un ami, d’un proche, d’un parent ;
personnage grave lorsque la lettre, il avait l’instinct pour en deviner le
contenu, annonçait un décès, une catastrophe, une violence.
Avec le « mail-art » auquel il s’adonne avec jubilation,
Roger Dewint renoue avec le cheminement lent et la présence physique. Sur des
enveloppes au format rectangulaire, il crée un univers singulier d’aquarelle et
d’encre de Chine. On y voit des paysages (les bords de mer souvent, ), des
armes, des édifices et des véhicules militaires de toutes sortes (avec autant
de mitrailleuses, de révolvers, de blindés l’artiste exacerbe-t-il ainsi ses
convictions pacifiste et antimilitariste ?), des visages (souvent
grimaçants, aux yeux exorbités qui fixent le destinataire de la lettre), des
masques, des insectes, des encriers (dont Dewint a une collection enviable)… On
ne saurait ici évoquer les multiples êtres, objets, instruments, paysages et
véhicules qui ont tous pour point commun la précision du trait aussi aiguisée
que l’ironie du regard.
Pour que les envois soient pris en charge par les officines de la
Poste, ils doivent être dûment estampillés et adressés. L’artiste complète
alors sa création en choisissant ou en créant le timbre-poste qui au mieux
s’intégrera à l’image, par harmonie des couleurs, par utilisation de l’effigie
du timbre dans le dessin ou, le plus souvent, par le contraste ironique entre
ce qu’il donne à voir et ce qui est illustré sur l’enveloppe (ainsi ce papillon
banc sur fond bleu qui survole un blindé particulièrement agressif, toutes
armes dressées vers le timbre comme s’il voulait exterminer le volatile).
L’enveloppe ne serait pas complète sans un cachet (le « RAPPEL » orne
souvent un espace libre de l’ensemble) ou une vignette (« PRIOR » par
exemple), et l’adresse, calligraphiée en caractères majuscules à l’encre de
Chine noire.
Au nombre de lettres qui lui sont destinées, on devine le bonheur
souriant qu’éprouve Ben Durant, ami, galleriste et éditeur, lorsque le facteur
glisse dans sa boîte à lettres une de ces enveloppes qui vient augmenter sa
collection, et nourrir les catalogues dont il publie le troisième tome à
l’occasion de quatre expositions « postales » (La Wittockiana à
Bruxelles, La Médiathèque à Uzès, Le Cadratin à Vevey et l’espace Jean Jaurès à
Vauvert).
« Aux pieds de la lettre 3 » , en tirage limité, est en soi
un livre d’art et un collector bien sûr, mais aussi une savoureuse anthologie de citations, provenant d’une innombrable bibliographie, évoquant toutes une
péripétie mettant en présence le protagoniste avec une enveloppe. Parmi les auteurs,
outre Conan-Doyle cité déjà, le lecteur se délectera d’extraits de Jean Ray,
Simenon, Robert Van Gulik, André Hardellet, Patrick Modiano et bien d’autres.
En exergue de son site, Philippe Robert-Jones, dont Dewint a illustré plusieurs ouvrages, nous donne en partage une perception sensible de le démarche de l'artiste. Même s'il concerne en particulier le travail du graveur, ce fragment s'applique idéalement au "mail-art" : "Le graveur est un homme qui croit dans la durée, le fruit d’intimes confidences où la main se prolonge par une antenne vive. L’écriture est ourlée sur la mer de métal, en sillage, en plongée, en ses ponctuations où la couleur module; l’aile d’un oiseau même y laissera sa trace lorsque d’encre sucré, un creuset se révèle au creuset du papier."
En exergue de son site, Philippe Robert-Jones, dont Dewint a illustré plusieurs ouvrages, nous donne en partage une perception sensible de le démarche de l'artiste. Même s'il concerne en particulier le travail du graveur, ce fragment s'applique idéalement au "mail-art" : "Le graveur est un homme qui croit dans la durée, le fruit d’intimes confidences où la main se prolonge par une antenne vive. L’écriture est ourlée sur la mer de métal, en sillage, en plongée, en ses ponctuations où la couleur module; l’aile d’un oiseau même y laissera sa trace lorsque d’encre sucré, un creuset se révèle au creuset du papier."
Il vous reste à franchir le seuil d’un des lieux où sont exposées ces
enveloppes, à vous en réjouir et à regarder, d’un œil différent, l’employé des
postes ployant sous la charge des courriers parmi lesquels vous est peut-être
adressée une enveloppe dessinée d’un artiste singulier qui, entre deux
gravures, s’adonne au bonheur lent et souriant de l’humour grave.
Jean Jauniaux, Bruxelles, août 2017
Pour prolonger cet article, je vous invite à écouter l’interview de Ben
Durant et Roger Dewint, enregistrée à la Galerie Quadri cet été, ainsi que d’autres
entretiens que vous trouverez sur la webradio www.espace-livres.be
Cette enveloppe ne figure pas dans l'exposition, mais nous n'avons pas résisté à l'inclure dans cette évocation de Roger Dewint. |