jeudi 28 février 2019

"Ramon": Dominique Fernandez à propos de son père...

Dans les archives de la web radio espace-livres, rencontre avec Dominique Fernandez à propos du livre qu'il consacre à son père, "Ramon" . Pour écouter cet enregistrement (30 '), veuillez cliquer ICI



Ramon Fernandez fut « l’un des plus grands intellectuels de son temps, socialiste à 31 ans, immense critique littéraire à la NRF et dans un journal de gauche à 38 ans, compagnon de route des communistes à 40…il bascule en 1937 dans le fascisme et devient collabo à 46 ans…Il meurt à la fin de la seconde guerre mondiale d’un long suicide alcoolique."
S’il avait survécu à cette longue maladie-suicide, il aurait été jugé par les tribunaux de la Libération, à l’instar des autres intellectuels qui ont fait le choix de la barbarie.
Soixante cinq ans après la mort de Ramon Fernandez, son fils, âgé de près de 80 ans part à la recherche de ce père perdu, fourvoyé dans un choix de lâche. Pour approcher de sa vérité, Dominique Fernandez dispose des carnets que sa mère n’a cessé d’écrire et qu’il lit pour la première fois lors de la préparation de ce livre monumental. Ensuite, il explore les écrits de son père, les articles qu’il continue de publier pendant l’Occupation, mais aussi les livres lumineux d’intelligence qu’il consacrait, avant la guerre, à Proust, à Molière, à d’autres auteurs qu’il analyse de façon magistrale. 
Tout cela exprime pour Dominique Fernandez la complexité inextricable et la contradiction permanente qui faisaient osciller son père Ramon entre « sincérité et trahison ».
A la fin de sa vie (il a 49 ans !) Ramon boit de plus en plus…se contredit…se renie…. "on dirait l’appel au secours d’un homme qui craint de se noyer »… Le récit-roman-biographie que lui consacre son fils tente de répondre à l’appel déchirant de cet homme qui finit « par chercher avec une application méthodique à se faire mépriser » Mais, comment un fils peut-il mépriser son père… ?
Ce qui rend ce livre bouleversant, c’est d’y lire à chaque page l’espoir de Dominique Fernandez que rien dans les actes de son père ne le rendra aussi indigne que sa dérive intellectuelle ne peut le laisser craindre.
Dans quelle mesure cette sensation relève-t-elle davantage du romanesque, que du récit biographique… ?
Au fil du livre, au fil de sa quête, Dominique Fernandez se laisse guider par différentes hypothèses expliquant l’adhésion de Ramon au fascisme : l’homosexualité refoulée, le fait de n’avoir pas été mobilisé en 1914 (il était de nationalité mexicaine), mais surtout le divorce avec sa femme, la mère de Dominique Fernandez, dont « le supplice a été de ne jamais parvenir à exprimer ses sentiments »… supplice qu’elle infligeait à votre père…même dans les carnets intimes…
Le biographe n’avait pas eu « droit à la tragédie du deuil » à cause de cette mère, à qui il devait son amour profond pour Ramon. Elle dit dans un de ses carnets : « Dominique si gentil et protecteur »…comme s’il devenait le père à la place du mort…Aujourd’hui, ce livre scelle cette paternité à contresens.
Ce très grand livre déchire dans le coeur d’un enfant le voile de la honte…même s’il ne donne pas la réponse à la question de savoir comment un homme de cette culture, de cette intelligence, de cette sensibilité a pu un jour, comme en se suicidant, s’associer à des barbares…

Edmond Morrel février 2009 /Jean Jauniaux, février 2019 

vendredi 22 février 2019

Eva Zaïcik dans un programme de cantates françaises

L’expressivité d’Eva Zaïcik dans un programme de cantates françaises

https://outhere-music.com/fr/albums/venez-chere-ombre-alpha439


Après le récital Offenbach offert à Jodie Devos, le label Alpha s’intéresse à une autre lauréate du Concours Reine Elisabeth, la Française Eva Zaïcik, qui avait accompli un magnifique parcours en 2018 et avait remporté le deuxième Prix. Cette mezzo-soprano dont la noblesse de ton, l’impeccable diction, la sûreté de la voix et le timbre fastueux avaient marqué les esprits, nous la retrouvons dans un programme de cantates françaises intitulé Venez chère ombre. C’est le titre d’une pièce poignante de Louis Antoine Lefebvre (c. 1700-1763), qui ouvre un sobre récital poétique d’une grande portée émotionnelle (Alpha 439). Comme l’explique le livret, signé par Justin Taylor, artiste que nous avons évoqué à l’occasion d’un superbe CD Alpha consacré à  Scarlatti/Ligeti (« Continuum ») et qui tient ici les parties de clavecin et d’orgue, la cantate française n’apparaît qu’au début du XVIIIe siècle et sera définie dès 1703 dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert de la manière suivante : « Cantate : petit poème fait pour être mis en musique, contenans le récit d’une action galante ou héroïque (…). » Lefebvre, bien oublié de nos jours, titulaire de l’orgue de Saint-Louis-en-l’Île, a écrit essentiellement pour la voix et connaîtra la reconnaissance de son époque, en particulier dans des cantatilles, genre qui apparaît vers 1730, un format réduit auquel on ne peut dénier un vrai sens dramatique. En plus de Venez chère ombre, partition douloureuse sur la perte de l’être aimé, cinq autres pièces de courte durée nous sont proposées, notamment les accents déchirants d’Andromède s’affrontant à la mer avant la délivrance par Persée. Une belle réhabilitation pour Lefebvre, mais aussi pour Philippe Courbois, dont la trop brève existence au début de ce XVIIIe siècle (25 ans), est illustrée par une apparition tout aussi brève sur le CD : un délicat conseil à Ariane de ne pas ouvrir trop tôt les yeux, qui, une fois ouverts, ne verseront que des pleurs. La mélancolie est ici de rigueur.

Nous sommes dans un univers sombre, qui va se développer avec des œuvres de Louis-Nicolas Clérambault et de Michel Pignolet de Montéclair, maîtres du genre. Le premier (1676-1749), qui a la faveur de Louis XIV, est nommé surintendant de la musique à la Maison Royale de Saint-Cyr. Il porte le genre de la cantate vers l’excellence, en signant Léandre et Hero en 1713, un récit tragique : Hero, prêtresse d’Aphrodite sur une île grecque, aime Léandre, qui vit sur la rive asiatique. Elle allume chaque nuit une lampe au sommet d’une tour pour que Léandre vienne la rejoindre à la nage. Mais son amant se noie pendant un orage qui a éteint la flamme, son point de repère. Désespérée, Hero se jette du haut de la tour. Touché, Neptune les réunira parmi les immortels. Cette légende a inspiré Schiller et Marlowe, mais aussi Rubens et Turner en peinture, comme Catalani (un poème symphonique) ou Augusta Holmès (un opéra) en musique. Clérambault en a fait un émouvant drame en miniature.

Quant à Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), qui séjourna en Italie à la suite de son protecteur Charles-Henri de Lorraine, il revint à Paris en 1699 et devint basse de violon à l’Opéra Royal, tout en fondant un célèbre magasin de musique et en publiant une méthode pour apprendre à jouer du violon, la première du genre en France. Passionné par l’opéra, il écrivit des œuvres destinées à des lieux plus intimes, des cantates qui sont en quelque sorte des opéras en réduction, parmi lesquels l’astucieux Dépit généreux de 1709 ou la galante  Bergère de 1738, qui font partie du présent programme, attestent de la qualité. Tout cela est d’une grâce suprême et se coule dans un schéma qui fait la part belle à la pudeur, à la retenue, à la discrétion, mais aussi à la tendresse et à la triste légèreté, dans un climat mélodique qui entraîne l’auditeur dans un monde de rêverie et de fascination. Cette réussite est due à Eva Zaïcik, dont la musicalité et la séduisante élégance de la voix, équilibrée et maîtrisée, trouvent ici un terrain propice, mais aussi à l’ensemble Le Consort, dont la création ne remonte qu’à 2015 ; qu’il s’agisse de violon baroque, de viole de gambe, de théorbe, de traverso, d’orgue ou de clavecin, l’unité autour de la cantatrice fait merveille et enrobe les partitions des frémissements ou des ardeurs qu’elles appellent. La complicité est manifeste ; Eva Zaïcik  a été en résidence à la Cité de la Voix à Vézelay en 2016 avec ce même Consort. Le travail commun accompli trouve aujourd’hui une finalité méritée dans ce beau fruit musical, à déguster comme il le mérite. L’enregistrement, de qualité, a été effectué à l’abbaye de Saint Michel en Thiérache en juin 2018, peu après le Concours Reine Elisabeth au cours duquel la mezzo-soprano nous avait ravis.

Jean Lacroix      









jeudi 21 février 2019

Hommage au peintre et musicien Walter Vilain

Peintre, musicien et poète...



Le peintre et musicien Walter Vilain était aussi un poète inspiré. A l'occasion de l'inauguration de la nouvelle saison 2019 de la Fondation Paul Delvaux à Saint Idesbald, Jean Jauniaux donnera lecture de quelques poèmes dont le peintre aimait orner ses aquarelles. On découvre dans ces textes, qui devraient prochainement faire l'objet d'une publication dans la collection Le Hibou des Dunes, la sensibilité exacerbée d'un artiste explorant sans désemparer l'énigme de la création, l'étrangeté des sources d'inspiration et l'exercice de la poésie nourrie par le regard jamais lassé qu'il porte sur la beauté étrange du réel.

L'occasion nous est ainsi donnée de ré-écouter l'artiste de Saint-Idesbald, élève de Paul Delvaux à qui il vouait une admiration indéfectible. Nous l'avions rencontré à plusieurs reprises dans son atelier de Saint-Idesbald.



mardi 19 février 2019

Franz Liszt et Boris Giltburg, une rencontre « transcendante »

Franz Liszt et Boris Giltburg, une rencontre « transcendante »

Depuis qu’il a remporté le Concours Reine Elisabeth en 2013, le pianiste israélien Boris Giltburg, né en 1984 à Moscou, accomplit un parcours que nous suivons avec un vif intérêt. Après des enregistrements remarqués pour le label Naxos (Beethoven, Schumann, Chostakovitch, avec un Diapason d’or à la clef, ou Rachmaninov avec un poétique Concerto n° 3 que nous avons évoqué l’année passée), c’est à Franz Liszt que le virtuose s’affronte aujourd’hui, et c’est, une fois de plus, un vrai bonheur d’écoute. Le programme est copieux, près de 80 minutes, et propose, comme entrée en matière, la Paraphrase de concert sur le Rigoletto de Verdi, une partition d’un peu moins de huit minutes qui « illustre » le quatuor Bella figlia dell’amore de l’acte III. On y retrouve une séduisante combinaison de thèmes qui résument bien l’ensemble du drame lyrique : la galanterie, la vengeance, le désespoir… La partition fut créée par le beau-fils de Liszt, Hans von Bülow en 1860. Giltburg en donne une version brillante, aux accents justes et équilibrés. Pour clore le programme, c’est la deuxième Etude de concert qui a été choisie, une pièce d’un peu plus de cinq minutes : La Leggierezza de 1848. Dans un esprit qui se rapproche de la seconde des Etudes op. 25 de Chopin, cette pièce « légère », comme son titre l’indique, est une mélodie simple qui, sous les doigts de Giltburg, enchante l’oreille par la fluidité de sa délicate configuration.
Mais l’essentiel de ce CD Naxos (8.573981), enregistré en studio du 25 au 27 juin 2018, réside dans l’interprétation des Douze Etudes d’exécution transcendante, dont la genèse s’étend sur environ vingt-cinq ans. En 1826, Liszt, âgé de 15 ans, entreprend le vaste projet d’un recueil de quarante-huit études, sous forme didactique, à la façon de Czerny. Douze seulement verront le jour et seront publiées. Liszt se remet au travail en 1837, insiste sur les développements, creuse la technique de manière spectaculaire. Les Etudes deviennent un redoutable exercice de virtuosité, qui ne néglige pas pour autant le bagage littéraire et poétique que le compositeur a accumulé au fil du temps. La version remaniée, agrémentée pour presque chaque pièce d’un titre émanant de lectures ou d’impressions de Liszt, date de 1851. Nous ne les détaillerons pas ici et renvoyons le lecteur à la notice (en anglais seulement - la firme Naxos devrait faire l’effort de joindre pour le marché francophone une traduction de ses textes qui sont souvent copieux et intéressants). Mais on épinglera dans cet ensemble des pièces comme les féeriques et mystérieux Feux follets (n° 5), l’épique Eroica (n° 7), l’audacieuse Chasse sauvage (n° 8) aux rythmes syncopés ou encore les Harmonies du soir (n° 11). C’est la plus célèbre du recueil, une véritable incantation poétique remplie de paix, de bonheur spirituel, d’harmonie contemplative qui fait penser à la plénitude lamartinienne ; une musique d’une grande pureté. On n’oubliera pas non plus la quatrième étude, Mazeppa, dédicacée à Victor Hugo, une évocation magistrale d’un poème des Orientales ; très dramatique, c’est la substance du futur poème symphonique du même titre, ainsi que d’une version pour deux pianos et à quatre mains.    
Les Etudes d’exécution transcendante portent bien leur titre : elles sont redoutables pour les pianistes qui s’affrontent à ce monument musical d’une durée qui dépasse une heure. « Elles doivent être exécutées avec un art fait de sensibilité, de nuances, de demi-teintes habilement ménagées, de grandioses orchestrations et de colorations délicates. Point d’acrobaties spectaculaires et vaines, point d’inutiles et fausses apparences, mais une pénétration de tout ce que ces Etudes enclosent de raffinement et de subtilité. Trouver un pianiste susceptible de leur conférer intégralement leur caractère, sans outrance ni exagération demeure fort rare », écrit Alfred Leroy dans la biographie qu’il a consacrée à Liszt en 1964 (Paris, Seghers, collection « Musiciens de tous les temps » n° 5, p. 105). On ne pourrait mieux dire ! La discographie a retenu les noms de Claudio Arrau, d’une folle générosité, de Lazar Berman, puissant et épique, de Cziffra ou encore de Jorge Bolet, très engagés. Sans oublier celui que nous préférons parmi les anciens : Vladimir Ovchinikov, dont la vision date de 1988. C’est peut-être, à trente ans de distance, la plus proche de celle Boris Giltburg, qui déroule son parcours avec une grande intelligence expressive. A la fois raffinée (caractéristique récurrente chez cet interprète de haut niveau), contrastée, tendre, poétique ou rêveuse, tout en construisant les oppositions d’ombres et de lumières grâce à une technique éblouissante, la recréation de Giltburg rend justice au compositeur. 
Avec une modestie, elle aussi récurrente, car les effets sont bannis, mis au service du texte musical, dépouillé ou dynamique selon l’exigence, rendant ainsi ces Etudes, à l’inspiration si géniale, proches de nous, accessibles, suscitant un émerveillement bienvenu qui relève de l’art pur. Un exaltant et envoûtant CD de piano à recommander sans hésitation !     


Jean Lacroix   

Jodie Devos et Offenbach


Jodie Devos et Offenbach, que du bonheur !


Irrésistible, charmante, étincelante, éclatante, ces qualificatifs dithyrambiques s’appliquent à merveille à « notre » Jodie Devos à laquelle la firme Alpha et Outhere Music France pour laquelle elle enregistre en exclusivité, offrent avec intelligence un récital Offenbach Colorature de toute beauté. Petit retour en arrière : en 2014, il y a à peine cinq ans qui sont déjà une éternité, Jodie Devos était lauréate du Concours Reine Elisabeth. Elle remportait avec brio le Deuxième Prix et le Prix du public. Cette artiste délicieuse démarrait presque aussitôt une carrière internationale. Elle ne cesse de briller depuis lors dans Delibes, Mozart (la Reine de la nuit), Rossini, Donizetti et quelques autres, au nombre desquels Offenbach. Lors de la session de 2014, elle avait inscrit à son programme Les oiseaux dans la charmille des Contes d’Hoffman, qui avaient fait chavirer le public le 18 mai (avec au piano, Daniel Thonnard, à réécouter sur le CD souvenir consacré à la cantatrice par la Sabam et BNB Paribas Fortis). Ces mêmes Oiseaux se retrouvent sur le présent CD Alpha (437), cette fois avec le Münchner Rundfunkorchester dirigé avec finesse par Laurent Campellone, qui tout au long de ce récital magique, va offrir à Jodie Devos l’écrin indispensable au déploiement de toutes ses qualités : grâce, scintillement, finesse, voix pure et équilibrée, diction précise… Liste à compléter tant notre soprano fait merveille. Offenbach lui va comme un gant, elle lui apporte non seulement son appareil vocal prestigieux et sa présence chaleureuse, mais aussi une élégance et un raffinement que l’on écoute, béat d’admiration et des rêves plein la tête. Il faut dire que le programme est construit avec habileté. On y retrouve des airs connus, comme les Oiseaux dans la charmille et la barcarolle des Contes d’Hoffman (où elle dialogue avec la mezzo-soprano Adèle Charvet, elle aussi adorable) ou l’invocation d’Eurydice dans Orphée aux enfers, mais surtout des raretés et des airs moins connus, extraits de Boule de neige, Vert-Vert, Fantasio, Les Bavards, Le Roi Carotte, Robinson Crusoé, Mesdames de la halle, Le Voyage dans la lune… Jodie Devos nous bluffe à chaque fois, car elle est à l’aise dans chaque registre, qu’il s’agisse du sourire, de la câlinerie, de l’ironie, de l’émotion ou de la caractérisation d’un personnage. Tout cela servi avec une virtuosité sans failles, ce qui nous vaut un parcours parfait que l’on écoute en boucle, ravi, séduit, ébloui ! Ce panorama Offenbach est plus que bienvenu à l’aube de cette année 2019 qui va célébrer avec fastes (espérons-le) le bicentenaire de la naissance de ce compositeur prodigieux ; bien des aspects de sa production sont encore à dévoiler, il est certain que Jodie Devos y brillera chaque fois qu’elle y reviendra. 

Le présent CD, enregistré à Munich en juillet 2018, a été récompensé par un Diapason d’or plus que mérité. En ce qui nous concerne, nous lui attribuons toutes les récompenses possibles pour le bonheur que cette heure de musique nous fait passer et nous offrira encore chaque fois que nous y retournerons. Si ce n’est déjà fait, il est grand temps que cette merveille entre dans votre discothèque.


Jean Lacroix