LANG LANG - The Cleveland Orchestra :https://www.prestomusic.com/classical/products/8539065--the-cleveland-orchestra-centennial-concert |
Située dans l’Etat d’Ohio au bord du lac Erié, la ville de
Cleveland connut un développement industriel considérable à la fin du XIXe
siècle grâce à ses aciéries et à l’exploitation du pétrole par la Standard Oil
fondée par John D. Rockefeller. Le mécénat culturel faisait partie des intérêts
de riches magnats, au nombre desquels figurait John L. Severance. En 1929, il
offrit quinze millions de dollars pour l’édification d’une salle de concert,
qui allait porter son nom. L’Orchestre de Cleveland existait déjà depuis 1918,
sous l’impulsion d’une femme, Adella Prentiss Hughes, qui tenait à ce que cette
phalange soit au même niveau d’excellence que d’autres ensembles américains. Ce
fut vite le cas, avec un premier directeur musical, Nikolaï Sokoloff, qui œuvra
pendant quinze ans, contribua à la mise sur pied de concerts éducatifs pour les
jeunes et entreprit des tournées dans tous les états de l’Union. Artur Rodzinski
prit la relève de 1933 à 1943. Le Severance Hall, bâtiment de style Art déco
avec des éléments égyptiens stylisés, se prêtait bien à une ambition de
Rodzinski : monter des opéras ; c’est ainsi que Lotte Lehmann, pour
ne citer qu’elle, se produisit sur la scène de Cleveland. Ces projets onéreux
furent freinés, ce qui n’empêcha pas le chef et son orchestre d’enregistrer et
d’ouvrir leur répertoire à des partitions nouvelles. Le trop court mandat qui
suivit, celui de Erich Leinsdorf (1943-1946), en pleine guerre mondiale, permit
lui aussi quelques témoignages discographiques, mais d’autres lieux glorieux
attendaient ce chef, notamment Boston.
C’est l’arrivée de George Szell qui fut le véritable
tournant de l’essor pris par l’Orchestre de Cleveland. La qualité fit place à
l’excellence et toucha vite à la perfection, car Szell, qui y passa près de
vingt-cinq ans, jusqu’à son décès en 1970, était un meneur d’hommes, certes
intransigeant et réputé pour ses exigences, mais aussi capable de galvaniser
ses troupes. Maints disques en témoignent, qui sont le reflet d’une activité de
haut niveau qui plaça Cleveland au nombre de ce que l’on a appelé les
« Big Five », les autres étant Boston, Philadelphie, Chicago et New
York. D’origine hongroise, Szell avait émigré aux Etats-Unis en 1939, précédé
d’une flatteuse réputation, qui ne se démentit jamais. Aujourd’hui encore, il
s’impose dans la mémoire collective aussi bien dans Beethoven et Haydn que dans
Mozart ou Brahms, mais aussi dans la musique du XXe siècle. C’est sous son
mandat que l’orchestre se vit attribuer une résidence d’été, le Blossom Music
Center, qui lui permettait une activité ininterrompue.
L’intérim de Pierre Boulez
(1970-1972), en qualité de conseiller musical, ouvrit de nouvelles perspectives
en termes de répertoire ; il avait dirigé l’orchestre dès 1965 et
enregistra avec lui des disques qui furent récompensés. Vinrent ensuite l’ère
de Lorin Maazel (1973-1982), puis celle de Christoph von Dohnanyi (1982-2002),
au cours desquelles les tournées internationales se multiplièrent. Dohnanyi,
dont le grand-père était le compositeur Ernö Dohnanyi, et le père, Hans von
Dohnanyi, un juriste opposé au nazisme que Hitler fit exécuter en avril 1945,
remit les activités lyriques à l’ordre du jour. Le Severance Hall fut rénové,
orgue compris, et agrandi ; son acoustique, précise et chaleureuse, fut
encore améliorée. La vente de disques atteignait alors des chiffres
impressionnants. A l’aube du XXIe siècle, un septième directeur musical fit son
apparition, à l’automne 2002 : le Viennois Franz Welser-Möst, toujours en
activité aujourd’hui. Ce jeune chef talentueux a assumé la lourde tâche de
pérenniser la tradition qualitative de l’Orchestre de Cleveland, mais a aussi
donné à sa fibre lyrique un nouveau développement, à travers des productions
mises en scène in situ, avec le bénéfice d’une technologie moderne adéquate.
Le 29 septembre 2018, un gala
d’anniversaire marquait les cent ans de ce prestigieux ensemble. Son souvenir
nous est proposé sous la forme d’un DVD Classart Belvédère (BVE08054, aussi
disponible en Blu-Ray, BVE08055).
Pour cet événement, Welser-Möst a axé le programme sur la tradition viennoise.
On y trouve une élégante valse Wiener
Blut de Johann Strauss fils, une suite symphonique envoûtante, peu souvent
jouée, tirée de l’opéra La femme sans
ombre de Richard Strauss, et pour terminer en feu d’artifice La Valse de Ravel, ébouriffante de
vitalité. En première partie, le pianiste Lang Lang, invité régulier à
Cleveland depuis de nombreuses années, se produit dans le concerto pour piano
et orchestre n° 24 de Mozart. Si l’on n’échappe pas tout à fait aux maniérismes
courants de l’interprète et à ses poses à la fois alanguies et cabotines (nous
préférons l’écouter jouer que le regarder), sa version n’en est pas moins
imprégnée d’une grande réserve, d’un toucher et d’une poésie qui servent la
partition comme elle le mérite. Même si l’on aurait pu souhaiter que l’image,
correcte sans plus, soit de meilleure qualité vu l’importance de l’événement,
voilà une belle occasion de découvrir une phalange qui compte parmi les
meilleures du monde et dont la réputation se maintient après un siècle
d’aventures musicales. A noter que la même firme compte à son actif d’autres
documents visuels de l’Orchestre de Cleveland dirigé par Welser-Möst qui valent
le détour, en particulier d’emballantes symphonies de Brahms.
Jean Lacroix