mardi 19 février 2019

L’Orchestre de Cleveland a fêté ses cent ans d’existence

 L’Orchestre de Cleveland a fêté ses cent ans d’existence

LANG LANG - The Cleveland Orchestra :https://www.prestomusic.com/classical/products/8539065--the-cleveland-orchestra-centennial-concert



Située dans l’Etat d’Ohio au bord du lac Erié, la ville de Cleveland connut un développement industriel considérable à la fin du XIXe siècle grâce à ses aciéries et à l’exploitation du pétrole par la Standard Oil fondée par John D. Rockefeller. Le mécénat culturel faisait partie des intérêts de riches magnats, au nombre desquels figurait John L. Severance. En 1929, il offrit quinze millions de dollars pour l’édification d’une salle de concert, qui allait porter son nom. L’Orchestre de Cleveland existait déjà depuis 1918, sous l’impulsion d’une femme, Adella Prentiss Hughes, qui tenait à ce que cette phalange soit au même niveau d’excellence que d’autres ensembles américains. Ce fut vite le cas, avec un premier directeur musical, Nikolaï Sokoloff, qui œuvra pendant quinze ans, contribua à la mise sur pied de concerts éducatifs pour les jeunes et entreprit des tournées dans tous les états de l’Union. Artur Rodzinski prit la relève de 1933 à 1943. Le Severance Hall, bâtiment de style Art déco avec des éléments égyptiens stylisés, se prêtait bien à une ambition de Rodzinski : monter des opéras ; c’est ainsi que Lotte Lehmann, pour ne citer qu’elle, se produisit sur la scène de Cleveland. Ces projets onéreux furent freinés, ce qui n’empêcha pas le chef et son orchestre d’enregistrer et d’ouvrir leur répertoire à des partitions nouvelles. Le trop court mandat qui suivit, celui de Erich Leinsdorf (1943-1946), en pleine guerre mondiale, permit lui aussi quelques témoignages discographiques, mais d’autres lieux glorieux attendaient ce chef, notamment Boston.
C’est l’arrivée de George Szell qui fut le véritable tournant de l’essor pris par l’Orchestre de Cleveland. La qualité fit place à l’excellence et toucha vite à la perfection, car Szell, qui y passa près de vingt-cinq ans, jusqu’à son décès en 1970, était un meneur d’hommes, certes intransigeant et réputé pour ses exigences, mais aussi capable de galvaniser ses troupes. Maints disques en témoignent, qui sont le reflet d’une activité de haut niveau qui plaça Cleveland au nombre de ce que l’on a appelé les « Big Five », les autres étant Boston, Philadelphie, Chicago et New York. D’origine hongroise, Szell avait émigré aux Etats-Unis en 1939, précédé d’une flatteuse réputation, qui ne se démentit jamais. Aujourd’hui encore, il s’impose dans la mémoire collective aussi bien dans Beethoven et Haydn que dans Mozart ou Brahms, mais aussi dans la musique du XXe siècle. C’est sous son mandat que l’orchestre se vit attribuer une résidence d’été, le Blossom Music Center, qui lui permettait une activité ininterrompue.
L’intérim de Pierre Boulez (1970-1972), en qualité de conseiller musical, ouvrit de nouvelles perspectives en termes de répertoire ; il avait dirigé l’orchestre dès 1965 et enregistra avec lui des disques qui furent récompensés. Vinrent ensuite l’ère de Lorin Maazel (1973-1982), puis celle de Christoph von Dohnanyi (1982-2002), au cours desquelles les tournées internationales se multiplièrent. Dohnanyi, dont le grand-père était le compositeur Ernö Dohnanyi, et le père, Hans von Dohnanyi, un juriste opposé au nazisme que Hitler fit exécuter en avril 1945, remit les activités lyriques à l’ordre du jour. Le Severance Hall fut rénové, orgue compris, et agrandi ; son acoustique, précise et chaleureuse, fut encore améliorée. La vente de disques atteignait alors des chiffres impressionnants. A l’aube du XXIe siècle, un septième directeur musical fit son apparition, à l’automne 2002 : le Viennois Franz Welser-Möst, toujours en activité aujourd’hui. Ce jeune chef talentueux a assumé la lourde tâche de pérenniser la tradition qualitative de l’Orchestre de Cleveland, mais a aussi donné à sa fibre lyrique un nouveau développement, à travers des productions mises en scène in situ, avec le bénéfice d’une technologie moderne adéquate.

Le 29 septembre 2018, un gala d’anniversaire marquait les cent ans de ce prestigieux ensemble. Son souvenir nous est proposé sous la forme d’un DVD Classart Belvédère (BVE08054, aussi disponible en Blu-Ray, BVE08055). Pour cet événement, Welser-Möst a axé le programme sur la tradition viennoise. On y trouve une élégante valse Wiener Blut de Johann Strauss fils, une suite symphonique envoûtante, peu souvent jouée, tirée de l’opéra La femme sans ombre de Richard Strauss, et pour terminer en feu d’artifice La Valse de Ravel, ébouriffante de vitalité. En première partie, le pianiste Lang Lang, invité régulier à Cleveland depuis de nombreuses années, se produit dans le concerto pour piano et orchestre n° 24 de Mozart. Si l’on n’échappe pas tout à fait aux maniérismes courants de l’interprète et à ses poses à la fois alanguies et cabotines (nous préférons l’écouter jouer que le regarder), sa version n’en est pas moins imprégnée d’une grande réserve, d’un toucher et d’une poésie qui servent la partition comme elle le mérite. Même si l’on aurait pu souhaiter que l’image, correcte sans plus, soit de meilleure qualité vu l’importance de l’événement, voilà une belle occasion de découvrir une phalange qui compte parmi les meilleures du monde et dont la réputation se maintient après un siècle d’aventures musicales. A noter que la même firme compte à son actif d’autres documents visuels de l’Orchestre de Cleveland dirigé par Welser-Möst qui valent le détour, en particulier d’emballantes symphonies de Brahms.  


Jean Lacroix