Les ténors du 78 tours réunis dans un fabuleux coffret de DVD
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En 2005, deux DVD étaient mis sur
le marché par la firme EuroArts. Ils proposaient deux séries de six films.
Chacun d’entre eux, d’une durée d’environ 28 minutes, était consacré à un ténor
de l’époque du 78 Tours. Un treizième film de même durée, « Dialogue avec
l’éternité », esquissait, sur un plan technique, philosophique et musical
le phénomène du bel canto. C’est par celui-là qu’il faut commencer la vision.
On peut y voir notamment des images d’Edison, du premier disque gravé en 1895,
du fameux petit chien qui allait orner les étiquettes de maints enregistrements
futurs, ou encore des allusions à l’art de l’ornementation de Fernando de Lucia
(1860-1925), qui fit partie de la création de Pagliacci de Leoncavallo à Londres et à New York en 1893, mais dont
il n’existe hélas aucun témoignage filmé, alors que, sur disque, on trouve deux
fois plus de captations de sa voix que dans le cas de Caruso !
La firme Naxos a entrepris en
2018 une réédition de ces deux DVD, aujourd’hui insérés dans un coffret du plus
haut intérêt. Si l’on retrouve dans cette nouvelle aventure les ténors qui sont
mis à l’honneur, l’ordre des films a été quelque peu modifié, ce qui a en soi
peu d’importance. Ils ont été réalisés par l’Allemand Jan Schmidt-Garre, qui a
étudié la philosophie à l’Université de Munich et la direction d’opéras avec,
entre autres, Jean-Pierre Ponnelle, trop tôt disparu, immense référence dans ce
domaine. Titulaire de maintes récompenses pour ses travaux, Schmidt-Garre est
l’auteur de nombreux documentaires sur la musique. Citons, parmi ceux qui sont
disponibles, celui de 1992 sur Sergiu Celibidache, « Opera Fanatic »
en 1998 (avec Leyla Gencer, Magda Olivero ou Giulietta Simionato), ou encore
sur Furtwängler en 2004. La présente série de films consacrés aux ténors du 78
tours date de 1997. On y trouve des personnalités de tout premier plan :
les Italiens Enrico Caruso, Benjamino Gigli et Tito Schipa, les Danois Helge
Rosvaenge et Lauritz Melchior, qui sera naturalisé Américain, le Suédois Jussi
Björling, l’Autrichien Richard Tauber, le Roumain Joseph Schmidt, l’Irlandais
John McCormack, l’Ukrainien Ivan Koslovsky, le Français Georges Thill ou encore
Leo Slezak, originaire de Bohême. Des noms plus impressionnants les unes que
les autres, car il s’agit ici de géants du chant, qui ont marqué leur époque et
dont les noms sont encore portés aux nues pour la haute valeur de leur art. Ils
sont tous nés entre 1873 (Caruso et Slezak) et 1911 (Björling), couvrant ainsi
deux générations exceptionnelles qui ont connu les débuts du disque et ont
bénéficié de sa diffusion de plus en plus étendue. Ces documentaires sont
construits sur la base d’archives visuelles très rares et de nombreux extraits
de films ; ils sont enrichis par des explications et des commentaires de
spécialistes, parmi lesquels l’érudit Jürgen Kesting, que l’on retrouve dans
chaque document ; c’est l’auteur d’un ouvrage encyclopédique de référence
intitulé Les grands chanteurs, publié
en 1986. Mesurons bien la portée de ces documents : ils sont
extraordinaires à tous égards.
Cette réédition sous emboîtage
est enrichie par des compléments tout aussi passionnants. Un troisième DVD
bonus montre des images inédites de Schipa, Schmidt, Tauber et Kozlovsky en
récital ou à travers des extraits de films tournés entre 1929 et 1940, ainsi
que deux documentaires de 1996 sur la nature du bel canto et les origines du
chant moderne. On trouve encore un album de deux CD, avec une cinquantaine
d’airs variés, chantés par les ténors choisis, et, ô merveille, un Ave Maria de 1904 par Alessandro
Moreschi, seul authentique castrat ayant réalisé des enregistrements sonores.
Deux brochures viennent s’ajouter à ce panorama. La première (55 pages)
consiste en une présentation de chacun des films réalisés, l’autre (125 pages)
en une série d’essais par des spécialistes sur le bel canto au sens large, sa
technique, le vibrato ou le placement de la voix. Ces deux petits ouvrages, ainsi
que les documentaires du bonus, sont hélas exclusivement en anglais et ne
bénéficient pas d’une traduction en français. Par contre, les treize films, qui
sont la priorité de l’ensemble, sont sous-titrés ; ils permettent ainsi à
un public francophone d’apprécier ce que l’on doit considérer comme un trésor
en raison des archives exceptionnelles qui sont mises à la disposition de
chacun. Le DVD (2.110389-91) remplit ici pleinement son rôle de mémoire.
Jean
Lacroix