mardi 19 février 2019

Le label Toccata et ses premières mondiales


Le label Toccata et ses premières mondiales



 Le catalogue du label londonien Toccata recèle de véritables merveilles en termes de compositeurs souvent négligés ou de partitions méconnues. Il s’est fait le champion de découvertes inédites qui enrichissent en profondeur le répertoire du classique. Trois parutions récentes retiennent notre attention. La première s’inscrit dans le cadre de la musique baroque et propose des cantates pour voix et continuo, et c’est déjà un second volume, consacré à « Il virtuosissimo Tarantino » Nicola Fago, ainsi nommé en raison de sa naissance à Tarente en 1677. Ce compositeur, qui fut l’élève de Provenzale, fit une grande partie de sa carrière à Naples, où il mourut en 1745, après avoir assumé diverses fonctions en qualité de maître de chapelle. Il est l’auteur de quelques opéras et oratorios, en nombre limité, et de pages de musique sacrée. Mais aussi de partitions de quelques minutes qui font penser à des mini-opéras, au cours desquels un contre-ténor dialogue avec un ensemble d’instrumentistes. Dans le présent enregistrement, effectué dans une église de Bari en avril 2017 (TOCC 0437), il s’agit de six pièces poétiques qui chantent les élans du coeur sous une forme dynamique et bien rythmée, elles étaient sans doute réservées à un public aristocratique. Elles nous permettent en tout cas de découvrir un univers en miniature plein de subtilité et de finesse. Riccardo Angelo Strano y est vraiment à l’aise, accompagné par l’Ensemble Barocco della Capella Musicale ‘Santa Teresa dei Maschi’, placé sous la direction de Sabino Manzo, qui officie aussi au clavecin. Ces cantates alternent avec de courtes toccatas pour violoncelle de Francesco Paolo Scipriani (1678-1753), un contemporain de Fago, originaire des Pouilles lui aussi, qui fut soliste à la Chapelle Royale de Naples. Cela donne un programme plein de doux contrastes. Au violoncelle, Claudio Mastrangelo joue avec la chaleur requise. Une musique pour le coin du feu. Un troisième volume est prévu.
https://toccataclassics.com/product/reicha-piano-music-three/

Un deuxième CD est consacré à l’œuvre pianistique d’Antoine Reicha (1770-1836) ; nous en sommes déjà au troisième volet de l’intégrale. Né à Prague, il ne connut pas son père, décédé alors qu’il n’avait que dix mois. Dès 1785, sa famille s’installe à Bonn où il a comme camarade Beethoven dont il est l’exact contemporain. Il se lie d’amitié avec ce dernier, puis avec Haydn. On le retrouve à Hambourg, à Paris, puis à Vienne, où il compose un opéra pour la cour impériale. En 1808, il s’installe dans la capitale française, où il devient un pédagogue réputé. Parmi ses élèves, figurent parmi bien d’autres Berlioz, Liszt, Gounod et Franck. Il acquiert la nationalité française et succède à Boieldieu comme membre de l’Institut. Que reste-t-il aujourd’hui de ce compositeur très doué, mais dont la production n’a pas eu la reconnaissance attendue ? Quelques opéras, dix-sept symphonies, des concertos, de la musique de chambre que l’on ne joue que peu souvent. Le théoricien a éclipsé le créateur. On se rend compte pourtant de la qualité de sa musique pour piano en écoutant le CD (TOCC 0243) qui contient d’inventifs Etudes ou Exercices, couplés avec un bondissant Rondeau n° 2 et une délicieuse Fantaisie sur un thème de Frescobaldi, le tout composé autour de 1800. La vingtaine de pièces qui figurent dans les deux livres des études ou exercices peuvent être comparées à d’autres productions face auxquelles elles n’ont pas à rougir, celles de Hummel ou même de Clementi, Reicha cherchant la couleur, l’atmosphère poétique et la séduction. Cette belle découverte est à mettre au crédit du Suédois Henri Löwenmark, un spécialiste qui, en 2006, a terminé une thèse de maîtrise consacrée à l’œuvre pianistique de Reicha et a peaufiné le présent enregistrement en novembre 2016 et janvier 2018.

https://toccataclassics.com/product/august-alexander-klengel-piano-and-chamber-music/
Avec August Alexander Klengel (1783-1852), élève de Clementi, avec lequel il voyagea en Allemagne avant de devenir précepteur privé dans l’aristocratie de Saint-Pétersbourg, nous sommes en présence d’un virtuose à la réputation internationale, qui exerça ses talents jusqu’à Paris et Londres. A Dresde, sa ville natale, où il avait débuté comme enfant prodige, il fut nommé organiste de l’église catholique de la cour à partir de 1817. Sa réputation consistait en un legato distingué et une virtuosité sans failles. Le CD qui lui est consacré (TOCC 0417) est un moment de bonheur romantique. Il contient plusieurs œuvres pour piano qui évoquent irrésistiblement Field et Mendelssohn, voire parfois Chopin, mais Klengel n’est pas un imitateur. Il révèle une inventivité de tous les instants et une capacité lyrique qui se déploie dans une superbe Fantaisie sur un thème russe de 1821 ou dans des Romances sentimentales de 1823 dont le caractère « mélancolique, passioné [sic] et calme », ajouté au titre de la partition, mérite bien ces qualificatifs. Anna Petrova-Forster, qui s’est déjà distinguée dans la redécouverte de compositeurs méconnus comme Bortkewicz ou Gretchaninov, séduit par une pudeur contrôlée et par un toucher velouté. Elle accompagne la violoniste Keiko Yamaguchi dans un rafraîchissant Air suisse avec variations de 1823, et nous régale en trio avec la même partenaire et la violoncelliste Stefania Verita, formant ainsi le bien nommé Trio Klengel dans un superbe Grand Trio concertant de 1824, aux longues envolées et aux contours voluptueux. Nous n’hésitons pas à placer ce disque sur le premier rayon des découvertes de l’année. Mais, au-delà, on saluera ces trois premières mondiales du label Toccata comme il se doit, avec un bonheur d’écoute que vous êtes invités à ne pas négliger.

                                                                                                                  Jean Lacroix