Au lendemain d'un scrutin électoral historique à bien des égards, au niveau fédéral belge, européen, et tout simplement citoyen, la musique nous aide-t-elle à appréhender la complexité du monde à travers, notamment, sa dimension esthétique? Le langage de la musique, dont l'universalité est démontrée avec davantage de force lors de grands concours internationaux comme le Reine Elisabeth, nous éclaire sur une part d'humanité qu'aucune dérive vers les extrêmes n'occultera jamais. L'art et la culture, dans les régimes les plus totalitaires dont la mémoire historique surgit dans les programmes d'extrême-droite et d'extrême-gauche qui nous sont proposés aujourd'hui comme si l'Histoire venait de commencer en 2019, , ont toujours continué d'irriguer le coeur des hommes de bonne volonté. Le cinéma, la littérature, la musique, le théâtre, la philosophie continuent à nous éloigner de la tentation de désespérer. Peut-être faudrait-il relire Zweig qui écrivait lorsqu'il comprit l'irrésistible montée du nazisme:
“L’idée européenne n’est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l’appartenance à un peuple, elle n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée. Il lui manque d’abord entièrement l’instinct enthousiaste qui anime le sentiment patriotique. L’égoïsme sacré du nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que l’altruisme sacré du sentiment européen, parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintérêt."
Jean Lacroix, avec raison, poursuit son exploration de l'actualité musicale et il nous semble important de continuer, avec régularité et sincérité comme il le fait, de rendre compte de cette actualité-là, ornée de sa devise qu'il puise dans Nietzsche: "Sans la musique, la vie serait une erreur" .
Jean Jauniaux, 27 mai 2019
PS: pour rappel, d'autres articles ont été consacrés ici au Concours Reine Elisabeth et à Sylvia Huang . Le lecteur peut les retrouver en cliquant ICI.
CONCOURS REINE ELISABETH 2019 : LA BELGE SYLVIA HUANG OBTIENT LE PRIX DU PUBLIC
Le palmarès de la session violon 2019 du Concours Reine
Elisabeth est connu. C’est l’Américaine Stella Chen qui remporte le Premier
Prix, devant le Canadien Timothy Chooi et un autre Américain, Stephen Kim. Les
autres lauréats classés de la quatrième à la sixième place, sont la Canadienne
Shannon Lee, la Hongroise Julia Pusker et la Roumano-Allemande Ioana Cristina
Goicea. Forte domination donc pour le continent américain, même si les quatre
musiciens qui en proviennent sont d’origine asiatique. Selon la tradition, les
six autres lauréats ne sont pas classés selon un ordre chiffré, mais sont cités
par ordre alphabétique.
Quelques remarques face à ce
palmarès. Cette session 2019 a été très
élevée sur le plan de la maîtrise technique et de l’investissement des
candidats. Les pronostics étaient difficiles à émettre. On constate une fois de
plus que, parmi les quatre premiers lauréats, trois d’entre eux se sont
produits au cours des soirées de vendredi et de samedi, confirmant cette
étrange habitude de voir les derniers artistes sur scène se retrouver en haut
du classement. Pour les trois premières soirées, deux lauréats seulement
figurent parmi les six premiers. Ce phénomène qui se répète demanderait une
fine analyse.
Vu la qualité globale du plateau
retenu pour ces finales, le classement était difficile à déterminer,
répétons-le. Faisons donc confiance au jury quant à sa capacité à discerner les
infimes différences qui existent entre ces virtuoses. Ce qui ne nous empêchera
pas de considérer qu’un concours, c’est-à-dire un palmarès, a quelque chose de
discutable et de frustrant quand il s’agit de musique, qui, par définition,
entraîne diverses possibilités interprétatives. Tout se joue sans doute à
quelques détails près.
En ce qui nous concerne, nous
sommes étonné de voir la Hongroise Julia Pusker ne figurer qu’en cinquième
place, alors que sa version du concerto de Beethoven, l’un des plus délicats à
aborder, était vraiment habitée.
Nous sommes encore plus étonné de
ne pas retrouver notre compatriote Sylvia Huang parmi les six premiers classés.
Depuis le début de la « compétition », on ne cesse de souligner ses
exceptionnelles qualités techniques, sa sensibilité, sa musicalité et sa mise
au service des partitions. On n’a cessé de louer le fait qu’elle était une
musicienne dans l’âme, fine et racée. A-t-elle été pénalisée par le choix du
Concerto de Dvorák dont le charme et les fraîches mélodies sont loin des
envolées de Tchaïkowski, des territoires ravagés de Sibelius ou des ardeurs
romantiques de Brahms ? Ou son excès de modestie a-t-il pesé dans la
balance ? Toujours est-il que le public
ne s’y est pas trompé : il lui a octroyé le convoité Prix du Public, et
lui a réservé, lors de la proclamation, une formidable ovation, qui était
tout autant un message d’amour qu’une reconnaissance de son jeu
magnifique.
Une page se tourne. Un concours,
en fin de compte, n’est jamais qu’un moment dans une carrière, important
certes, mais qui n’est ni un gage de réussite future ni une sanction. Il faut
le considérer comme une étape dans le parcours de ces douze finalistes, qui
nous ont tous convaincu que « sans la musique, la vie serait une
erreur ».
Jean Lacroix, 26 mai 2019.