"Les pas perdus" de Etienne Verhasselt
Editions Le Tripode
Ces nouvelles "courtes, très courtes, un peu plus longues", rassemblées sous une stupéfiante couverture signée Mehdi Beneitez aux Editions Le Tripode, constituent le premier livre publié par Etienne Verhasselt. Le nouvelliste en se plaçant sous l'exergue de Cesare Pavese, - "On désire faire une oeuvre qui nous surprend d'abord nous-même"- , annonce la couleur. Le recueil "est né d'une envie tenace et espiègle de raconter des histoires farfelues". Cet engagement de l'auteur est non seulement tenu, mais serait-on tenté de dire, littéralement sublimé par ce faux détachement ironique dont le nouvelliste bruxellois se sert pour placer ses narrateurs en décalage avec le réel. Pas un décalage brutal ou tellurique, non. Une légère distance, celle qui suffit à déséquilibrer le réel et à aspirer l'écrivain (et le lecteur dans son sillage) dans une fantaisie roborative, drôle, ironique, touchante. Il y a là une part belge dans l'inspiration de Verhasselt, cette même folie douce qui nourrit dans l'apesanteur du plausible l'inspiration des peintres (Delvaux), cinéastes (Van Dormael), écrivains (Michaux), poètes (Verhegen), dessinateurs (Armand Simon, Henri Lejeune). Nous connaissions, par la revue MARGINALES qui avait été la première à accueillir Verhasselt, quelques échantillons de ce qui est aujourd'hui rassemblé au Tripode.
Le livre a déjà été salué par les plus éminentes recensions ("Le Monde", "Libération"). Il ne s'agit donc pas ici de revenir sur l'exégèse de cette écriture inattendue dans le tout venant des rentrées littéraires, dans le convenu des auto-fictions ou dans l'insipide des best-sellers de saison. Que ces quelques lignes suffisent à vous convaincre d'entrer dans l'univers déroutant que Verhasselt renouvelle à chacun des quarante récits qui composent Les pas perdus. Tour à tour vous passerez de la surprise au ravissement, de l'effroi au saisissement, du vertige à la terreur. Les entrées en matière sous leur couvert anodin cèdent bien vite sous les coups de boutoir de l'absurde que leur assène l'écrivain: ainsi le très court texte Pour bien vivre ensemble fait d'une dispute entre deux inconnus, le point de départ (et la métaphore?) d'une nouvelle organisation de la relation à l'autre: "Pour bien vivre ensemble, il n'est besoin ni d'amour ni de raison: un meurtre de temps à autre, convient tout à fait" . Quelques nouvelles plus loin, Transport en commun nous console en nous proposant, à partir de l'exemple d'un village qui "compte un seul bus", un système universel de paix sociale. Celui-ci nous est raconté avec une délicieuse sagesse bonhomme qui nous aura suffisamment fragilisé pour que nous replongions avec horreur dans le chaos et le lynchage au centre de la nouvelle suivante L'étranger...
Il faudrait toutes les citer ces nouvelles qui, nous en sommes persuadé, vous procureront le bonheur rare et singulier de découvrir la fausse désinvolture d'une écriture exigeante, la désarçonnante fluidité d'une imagination désenclavée, la liberté de ton et d'esprit d'un écrivain qui ne dissimule pas sa jubilation d'écrire et de nous la faire partager...
Jean Jauniaux, Fichermont, le 10 août 2018
Sur le site de l'éditeur:
« Le recueil Les Pas perdus est né d’une envie tenace et espiègle de raconter des histoires farfelues, de rendre ses lettres de noblesse à l’imaginaire : prendre plaisir à démonter le réel, le malmener, le moquer, le triturer jusqu’à lui mettre les tripes à l’air. En un mot, l’envie, non pas de faire rendre l’âme au réel, mais de l’expurger autant que faire se peut de lui-même, pour amener au jour l’or caché qu’il recèle à son propre insu : le fantastique, le merveilleux, l’absurde, le poétique. Au départ, il y a une envie ludique et iconoclaste qui donne au livre un ton délicatement irrévérencieux : pas question qu’un plafond ne soit qu’un plafond, un moustique un simple insecte ou la Bible la Vérité devant laquelle on se prosterne. Il ne s’agit absolument pas de mépriser le monde et lui tourner le dos, mais plutôt de lui rendre son charme : le réenchanter littérairement pour l’aimer mieux et, dirais-je, l’aimer à sa juste valeur. »
Etienne Verhasselt