mardi 21 août 2018

Lucio Silla: Mozart en DVD ...

Dans cette huitième invitation à aimer la musique, Jean Lacroix dont on sait la vigilance quant à la qualité des productions discographiques ou des concerts en life (bientôt il se rendra à La Monnaie pour écouter "La Flûte enchantée" et nous en dire davantage sur cette nouvelle production du prestigieux opéra bruxellois), nous dit la difficulté de filmer l'opéra, d'en donner une version "captée" qui puisse devenir une version de référence. Celle-ci enregistrée au Teatro réal de Madrid ne l'a pas convaincu... N'y aurait-il pas ici matière à poser de manière plus structurelle la question de l'adéquation entre l'opéra et sa représentation hors les scènes vivantes? On se souvient de grandes versions cinématographiques, comme "La flûte enchantée", encore,  réalisée par Ingmar Bergman ou le "Carmen" de Francesco Rosi, par exemple: la réussite de telles entreprises ne vient-elle pas de l'adaptation des oeuvres au support sur lequel elles seront diffusées? C'est à dire à la syntaxe du cinéma?

Jean Jauniaux, le 21 août 2018

Lucio Silla de Mozart en DVD : de l’utilité de l’image ?

La question est moins anodine qu’on ne pourrait le croire. Pouvoir disposer, chez soi, de spectacles que l’on n’aurait pu visionner d’une autre manière que par le truchement du DVD est une aubaine. Mais il faut reconnaître aussi que le marché actuel de ce support précieux, qui nous a apporté déjà bien des richesses thésaurisées avec gourmandise (par exemple les productions de Ponnelle ou le cycle Mahler/Bernstein), est un peu à la peine. Ce Lucio Silla de Mozart, production de Paul Guth créée à Vienne en 2005 par Harnoncourt, sort-il du lot ?



La réponse est double. A la fois positive et négative. Il s’agit ici (BelAir BAC150) d’une reprise madrilène d’octobre 2017. L’argument est connu : dans la Rome antique, le dictateur Lucio Silla a fait passer pour mort le sénateur Cecilio, qui est en fait proscrit. Cecilio revient secrètement, inquiet du sort de celle qu’il aime, Giunia, convoitée par Lucio Silla. Après bien des péripéties, Cecilio est arrêté et condamné, mais Giunia obtient sa grâce avant que Silla n’accepte l’union des deux amants et n’abdique. Thème dramatique à souhait, pour lequel Mozart a écrit une partition, créée à Milan le 26 décembre 1772 (il avait seize ans !), à l’orchestration fine et élégante, pleine de subtilités d’écriture et d’harmonies audacieuses, avec des chœurs solennels et des airs douloureux, nobles ou grandioses. Mozart avait connu le succès avec Mithridate, créé dans le même lieu deux ans auparavant. Avec Lucio Silla, il accomplissait un pas de géant vers le grand théâtre musical. Cet opéra est bien plus qu’un jalon dans sa carrière, c’est un événement. C’est donc avec un vif intérêt que l’on s’installe pour savourer les images.

Celles-ci sont assez sombres, comme le montrent les photographies reproduites dans le livret. On y voit des murs carrelés, des costumes sombres (celui de Giunia tranche avec les cheveux flamboyants de Patricia Petibon) et une sorte de tour bétonnée qui incite plutôt à la déprime qu’à l’action glorieuse. Tout cela est en fin de compte assez tristounet. Quant au plateau vocal, il est inégal. Le Silla de Kurt Streit montre des signes de fatigue dans la voix, qu’il compense par une ardeur combative, alors que Silvia Tro Santafé, dans le rôle de Cecilio, affiche une santé vocale sans failles. Les autres protagonistes sont bons, sans plus, pas toujours aidés par la direction d’Ivor Bolton, qui n’enflamme guère un orchestre de qualité moyenne, celui du Teatro Real, mais il permet aux chœurs un déploiement satisfaisant. Reste la magnifique Patricia Petibon, pour laquelle nous avouerons un faible autant pour ses qualités de cantatrice que pour l’investissement qu’elle a l’habitude d’injecter dans ses prestations. A elle seule, elle ne pouvait sauver une production moyenne dans sa réalisation, il faut reconnaître qu’elle n’est d’ailleurs pas dans sa meilleur forme vocale. Il n’empêche : les accents qu’elle imprime à ses angoisses et à ses désespoirs sont déchirants et son talent de comédienne demeure intact. Le verdict est à mi-chemin : il y a trop peu de productions filmées de Lucio Silla pour négliger celle-ci. La version de référence en DVD est encore à venir, même si celle de la Scala de Milan dirigée par Minkowski en 2016 servait mieux la musique de Mozart.  


                                                                                                                                Jean Lacroix

Références du DVD: