Dans cette neuvième recension parue sur LIVRaisons, Jean Lacroix nous invite à nous immerger dans la musique sacrée de Monteverdi et à en écouter les Vêpres de la Vierge dans un récent enregistrement du Collegium Vocale Gent dirigé par Philippe Herreweghe. L'extrait video que nous avons vu de l'enregistrement est une introduction idéale à son écoute. L'occasion aussi d'entendre Philippe Hereweghe commenter l'oeuvre et ses origines.
Jean Jauniaux
Les Vêpres de la Vierge de
Monteverdi, la nouvelle version de Herreweghe
En 1986, Philippe Herreweghe et
son Collegium Vocale Gent proposaient, chez Harmonia Mundi, leur version des Vêpres de la Vierge de Monteverdi.
Trente ans après, le chef récidive, avec le même ensemble, mais avec des
solistes différents, par le biais d’un album de deux CD paru chez PHI (LPH029).
Avant toute écoute, le mélomane s’attachera à l’intéressant livret explicatif
écrit par Marc Vanscheeuwijck, de l’Université de l’Oregon, qui souligne que
ces Vêpres, publiées en 1610 par le
compositeur, encore employé à la cour des Gonzague à Mantoue, dont il cherchait
à se séparer pour cause d’insatisfaction, est « un chef-d’œuvre musical
révolutionnaire doublé d’un cauchemar musicologique ». L’auteur de la
notice explique avec clarté les motivations de la publication, le contenu, la
structure et le statut de certaines pièces reprises dans le recueil et qui lui
sont antérieures parfois de quinze années, le style et l’impact de la musique,
mais aussi les questions d’interprétation que l’œuvre pose concernant le nombre
de chanteurs et de musiciens. Les options sont en effet variées, l’anarchie
peut vite régner, la discographie en témoigne. Nous renvoyons le lecteur à ce
texte très documenté avant de se lancer dans l’écoute de cette partition de
vastes proportions.
Deuxième enregistrement, donc,
pour Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Le premier, celui de 1986, n’avait
pas tout à fait convaincu la critique. On n’y retrouvait pas l’aspect
jubilatoire ni la verve ni l’engagement que d’autres y avaient mis avant lui
(Savall, Gardiner ou Harnoncourt), l’option choisie relevant plutôt de la
retenue, Herreweghe considérant sans doute que c’est l’aspect spirituel qui
doit primer. Ce choix respectable entraînait une certaine froideur, et parfois
même de l’ennui pour l’auditeur, frustré lors des passages grandioses,
notamment dans le Magnificat, sans
éclat et sans élan. La critique soulignait toutefois le chant superbe d’Agnès
Mellon et de Guillemette Laurens. Cette version de 1986 n’est pas demeurée dans
les mémoires comme une référence de premier plan.
Depuis lors, trente ans ont
passé. Le nouvel enregistrement vient après bien des détours de
Herreweghe, y compris par la musique romantique. C’est à l’église San Francesco
de la cité toscane d’Asciano, au sud de Sienne, à l’occasion du Festival des
Crete Senesi que les micros ont saisi la présente interprétation en août 2017.
Et force est de constater que l’option n’a guère changé, la retenue est
toujours au rendez-vous, comme l’apaisement et la sérénité. Pourtant,
l’animation est plus souple, elle n’a rien d’excessif certes, mais elle se pare
de couleurs douces et de rythmes contrastés qui entraînent l’auditeur dans une
atmosphère recueillie. Le Magnificat
a cette fois de l’élan, même si l’éclat en est toujours absent. Quant aux
solistes, parmi lesquels on ne retrouve qu’un seul protagoniste de l’édition de
1986, Peter Kooj, qui n’atteint pas le même niveau qu’autrefois, on se régalera
des prestations de la soprano Dorothee
Mileds et surtout de celle de Reinoud Van Mechelen, dont on admirera le style
distingué. Les qualités de ce ténor sont toujours supérieures, quel que soit le
genre de musique qu’il serve. Quant aux instrumentistes, ils sont parfaits, il
ne leur manque que ce grain de folie qui sous-tendait à merveille le dramatisme
de René Jacobs, la ferveur de Gardiner ou la virtuosité fastueuse du groupe
Hesperion XX, auquel Jordi Savall insufflait son enthousiasme, et qui demeure
notre préférence. L’album de Herreweghe plaira cependant aux partisans de
l’excellent ensemble qu’est le Collegium Vocale Gent et à ceux qui voient dans
ce magistral et complexe recueil que sont les Vêpres une partition dont la spiritualité doit être la grande ligne
directrice.
Jean Lacroix
Les références et liens de ce "Sans la Musique" n° 9 :
et, sur le site de l'éditeur une séquence video accompagnée de cette présentation:
"Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent livrent une version aboutie de l’un des chefs-d’oeuvre de la musique sacrée du XVIIe siècle. Composées peu après Orfeo et dédiées au pape Paul V, les Vêpres de Monteverdi ne cessent de surprendre par leur audace et leur grande puissance émotive. Stile antico et stile moderno se conjuguent à merveille dans ces pages où se côtoient tour à tour polyphonie de style renaissant, monodie accompagnée et style concertant. L’importance donnée au texte – un trait marquant chez Monteverdi –, la virtuosité du chant, l’indépendance des voix sont autant de caractéristiques de cette oeuvre étonnante. Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent se révèlent être des interprètes montéverdiens de premier rang. Leur lecture enlevée et rafraîchissante, rehaussée par huit solistes de renommée internationale, assurera le succès de cet album."