Jean Lacroix évoque dans cette dixième chronique, le "Chant de Louanges". La deuxième symphonie de Mendelssohn lui a été commandée par la ville de Leipzig pour célébrer le quatre centième anniversaire d'une invention qui révolutionna le monde: celle de l'imprimerie par Gutenberg. Le livret ne pouvait que s'inspirer de la Bible...
Jean Jauniaux, septembre 2018
Une nouvelle version de la Symphonie-cantate« Lobgesang » de Mendelssohn
Le corpus symphonique mendelssohnien est riche de cinq
partitions, dont « l’Ecossaise » et « l’Italienne »
figurent parmi les chevaux de bataille du répertoire ; la n° 5
« Réformation » est souvent ajoutée sur disques comme complément de
l’une de ses soeurs. Par contre, les deux premières symphonies sont moins
enregistrées, et rarement programmées en concert. En ce qui concerne la n° 2,
« Lobgesang » (Chant de louanges), c’est peut-être une question
d’effectifs à mobiliser, mais c’est une injustice profonde. Cette vaste
composition de plus d’une heure a des similitudes quant à sa structure avec la
Neuvième de Beethoven : trois parties instrumentales, suivies d’une
immense partie vocale au cours de laquelle interviennent deux sopranos, un
ténor et un chœur. Comme beaucoup d’oeuvres de Mendelssohn, elle est inspirée,
animée par un puissant sentiment d’exaltation, comme il se conçoit dans la
circonstance pour laquelle elle a été écrite, à savoir le quatre centième
anniversaire de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Il s’agissait d’une
commande de la ville de Leipzig, où Mendelssohn était à la tête de l’orchestre
du Gewandhaus. Les textes choisis s’inspirent de la Bible, premier ouvrage
sorti des presses de l’illustre inventeur.
Cette partition, créée par le compositeur lui-même dans la
Thomaskirche le 25 juin 1840, avec un effectif monumental de cinq cents
chanteurs et instrumentistes, peut se révéler un piège pour les chefs
d’orchestre, car elle exige un véritable investissement et un sens absolu de
l’équilibre et de la gradation vers l’hymne final. Claudio Abbado, Riccardo
Chailly ou Christoph von Dohnanyi en ont laissé des visions superbes, portées
par un enthousiasme communicatif, mais c’est sans doute Karajan, en 1972, qui a
marqué les esprits à travers une version flamboyante, exaltée de bout en bout
par un souffle grandiose, avec un Philharmonique de Berlin chauffé à blanc et des
solistes impériaux : Edith Mathis, Liselotte Rebmann et Werner Hollweg. On
est happé dès la Sinfonia initiale par une dynamique qui n’est jamais prise en
défaut et un sens de la grandeur qui s’achève en apothéose. Une des plus
grandes réussites de la discographie de Karajan, à n’en pas douter.
Le chef d’orchestre anglais Andrew Manze, qui a longtemps
œuvré dans l’univers baroque, est à la tête de la NDR Radiophilharmonie depuis
2014 ; il boucle avec ses musiciens une intégrale des symphonies de
Mendelssohn par cette « Lobgesang » enregistrée à Hanovre en juin
2017 et proposée en CD par le label Pentatone (PTC 5186 639). Ce chef avait
convaincu la critique allemande lorsque les quatre autres symphonies ont été
publiées, sentiment plus mitigé en ce qui nous concerne. Face aux références
citées plus haut, ces versions ne créaient pas l’évidence. Cette fois, un
malaise surgit dès l’introduction. L’élan initial est timide et compassé, à la
limite de l’introversion, et peu à peu la monotonie s’installe, car la densité
sonore est souvent absente ; les cordes semblent avoir du mal à conserver
la tension indispensable que nécessite la progression instrumentale vers la
grande séquence au cours de laquelle les voix interviennent. Manze a-t-il voulu
alléger le propos (souvenirs du baroque ?), l’a-t-il estimé en risque de
boursouflure ? Il laisse en tout cas l’auditeur sur sa faim. Il faut
attendre près de vingt-cinq minutes et le début de la partie vocale pour que se
mérite ce fameux « Chant de louanges » composé par Mendelssohn. Alors
et alors seulement, les qualités de l’enregistrement apparaissent, à travers
les deux chœurs concernés (WDR Rundfunkchor et NDR Chor) qui ouvrent enfin des
perspectives satisfaisantes dans l’expressivité et le lyrisme. Les solistes
(les sopranos Anna Luisa Richter et Esther Dierkes, et le ténor Robin
Tritschler) ne subissent pas de reproche, ils servent leurs parties respectives
avec honneur. Le chœur final, point d’orgue, n’atteint pas non plus cette
dimension cosmique que Mendelssohn lui a conférée. Une version en demi-teinte,
donc, qui rappelle que les grandes références d’un passé pas si lointain
demeurent prioritaires.
Jean
Lacroix