samedi 15 septembre 2018

L'Homme de la Mancha au KVS: bouleversant!

La modernité du spectacle du KVS donne une démonstration éclatante, de ce qui nous élève, nous éclaire et nous enchante : le rêve, l’idéal, l’humanisme, la bonté, l’incessante nécessité du combat contre la médocrité, l’absolue nécessité de l’Amour, cette quête enfin, qui fait de Cervantès, de Don Quichotte et de Brel des frères d’âmes. Nos frères.



Depuis la publication de la première des deux parties du roman de Cervantès, en 1605, « Don Quichotte de la Mancha » inspira des centaines d’adaptations. Au début du livre second, paru dix ans après le premier, les deux protagonistes évoquent d’ailleurs les mauvaises imitations dont ils ont été l’objet. Le succès fulgurant des pérégrinations du Chevalier et de don écuyer expliquait pour partie la multiplication des plagiats et autres déclinaisons de maigre qualité des aventures de Quijana et Pança.
Le roman de Cervantès inspira aussi des adaptations dont les auteurs () voulurent exalter et explorer le chef d’œuvre. Le modèle devenu universellement connu, les personnages devenus des mythes, il fallut aux cinéastes, dramaturges, romanciers, librettistes et autres aborder avec leur génie propre les figures imaginées dans sa cellule de prison algéroise par un soldat blessé et mutilé à la bataille de Lépante.
Le roman donna lieu à des films notables (dont ceux réalisés par Gérard Philippe, Grigori Kozintsev, Orson Welles, et le bouleversant opus réalisé par Terry Gillian qui fit l’ouverture du festival de Cannes cette année), à des opéras (Jean Richepin) et même à un roman policier paru dans la Série Noire … ! Mais aucune de ces déclinaisons n’atteignit la force éblouissante de la comédie musicale « Man of La Mancha », tirée de la pièce de théâtre homonyme de Dale Wasserman, créée en 1968 . Lorsque Jacques Brel assiste à une représentation et entend pour la première fois la chanson « The impossible dream », interprétée par Richard Kiley (Don Quichotte) et  Joan Diener (Dulcinea), il n’a de cesse d’acquérir les droits d’adaptation de la comédie musicale américaine, (ce qu’il obtient après avoir dû passer une audition pour démontrer sa capacité à interpréter le rôle !) , et de la traduire. Deux ans plus tard, le 4 octobre 1968, le rideau de la Monnaie à Bruxelles s’ouvre sur le décor d’une prison de l’Inquisition à Madrid où Cervantès/Don Quichotte/Brel bouleverse une salle enthousiaste, bouleversée et émue aux larmes par cette vision humaniste, exaltée, brelienne du Chevalier à la Triste Figure qui depuis lors est à jamais attachée au visage, à la voix, à la silhouette du Grand Jacques.Aujourd’hui, c’est la même émotion qui vous étreint le cœur dans la salle du KVS où, dans une coproduction avec La Monnaie, se donne une nouvelle série de représentations de l’Homme de la Mancha. Tout dans ce spectacle est éblouissant de force, de fantaisie, de folie, de rythme. L’étonnante ressemblance de Philip Jordens avec le Grand Jacques est bien vite estompée : il incarne Quichotte avec une telle force et une telle invention, une telle énergie dans la démence et la fabulation de son personnage, qu’il fait oublier la similitude dans le timbre de voix et dans la physionomie, pour sublimer de Brel, l’émotion, la rudesse, la désespérance des rêves fracassés sur le réel. Il est à la fois le fou et le fougueux, encadré par une distribution au plus haut niveau de l’art. 
Pour que Jordens ne soit pas écrasé par le fantôme de son prédécesseur, il fallait qu’il fut porté par son incroyable talent mais aussi par une mise en scène inspirée et irréprochable (Michael De Cock et Junior Mthombeni) et une direction musicale magistrale et multiple (Bassem Akiki) qui inscrivent l’œuvre dans le XXI ème siècle. Le rythme du dispositif, le recours au slam et à la vidéo, l’inventivité de la scénographie (Eugenio Szwarcer), le recours spectaculaire à la video, sont autant d’élements qui ont littéralement subjugué le public de la première représentation, qui a salué, debout , cette production exceptionnelle. Jacques Brel aurait, à n’en pas douter, salué lui aussi la force du jeu et du chant des compagnons de route du Chevalier :
Sancho Pança (sublimé par  la fantaisie et la drôlerie grave de Junior Akwety), Dulcinéa (la soprano Ana Naque, bouleversante dans la tentation du rêve à laquelle elle finit par céder ), le curé et le barbier (émouvant et profond Pierre Derhet), et enfin L’Aubergiste et le Duc (étonnant Bertrand Duby). Tous sont portés au plus haut de leur talent par l’Ensemble de musique de Chambre de La Monnaie que dirige Benoît Giaux.
Outre l’émerveillement qu’il procure « Lhomme de la Manche »  nous dit aussi l’universalité du roman de Cervantès, son acuité contemporaine que Brel avait immédiatement ressentie en 1968 et que confirme, s’il le fallait encore, cette nouvelle version du mythe surgi à l’aube de la Renaissance. L’œuvre nous parle encore aujourd’hui comme naguère, et la modernité du spectacle du KVS en donne une démonstration éclatante, de ce qui nous élève, nous éclaire et nous enchante : le rêve, l’idéal, l’humanisme, la bonté, l’incessante nécessité du combat contre la médocrité, l’absolue nécessité de l’Amour, cette quête enfin, qui fait de Cervantès, de Don Quichotte et de Brel des frères d’âmes. Nos frères.

Jean Jauniaux, le 15 septembre 2018.

L'HOMME DE LA MANCHA

DALE WASSERMAN, MITCH LEIGH & JOE DARION /
JACQUES BREL, MICHAEL DE COCK & JUNIOR MTHOMBENI 

Direction musicale et adaptation BASSEM AKIKI

Mise en scène MICHAEL DE COCK & JUNIOR MTHOMBENI

 

NOUVELLE PRODUCTION du KVS
avec De Munt / La Monnaie & Théâtre de Liège

 
Première 14 septembre 2018 - 20:00
15, 19, 21, 22, 26, 27 & 28 septembre 2018 – 20:00
18 septembre 2018 – 18:00

 

KONINKLIJKE VLAAMSE SCHOUWBURG (KVS)