Voici un livre qui n'a de "roman" que les cinq lettres qui le désignent tel sur la couverture. Roman aussi par l'écriture travaillée d'un styliste à qui l'on doit de vrais "romans" (ouvrages de fiction), des essais littéraires, des articles et Aux Armes de Bruxelles ces merveilleuses "flâneries urbaines" que nous relirions aujourd'hui avec un autre regard que celui que nous y portions naguère.
Nous le lirions sans doute avec davantage de gravité, nous y découvririons sans doute, dans la gourmandise et l'épicurisme de l'auteur, des ombres et des fantômes dont avec "Le Prince d'Aquitaine" il nous dévoile les origines telluriques.
"Le Prince d'Aquitaine" est le récit qu'un fils, le narrateur qui est aussi l'auteur, adresse à son père sous la forme d'une missive mémorielle. Au fil de cette exploration du passé familial, surgissent des êtres et des lieux qui ont façonné celui qui, aujourd'hui, se penche sur son histoire familiale et essaie d'en dénouer, en les racontant, les entraves au bonheur.
"Si je devais encore te faire le moindre reproche, acte ô combien dérisoire aujourd'hui, je dirais ceci. plus grave que l'absence de bonheur, plus douloureuse que cette lente prise de conscience de n'être qu'un gêneur, c'est de n'avoir pas été armé au bonheur qui m'aura le plus abîmé." Cette conscience cruelle d'un destin mis en danger dès l'enfance par un Père cruel, méchant, mais aussi disloqué par son impuissance à vaincre l'alcool et ses démons, Christopher Gérard nous en donne les étapes et le cheminement, en se plaçant à la distance exacte pour les raconter qui nous permet de ne pas en être les voyeurs, mais les témoins étreints de compréhension. Il serait réducteur d'évoquer ici plus en détail les séquences (enfance, école, université), les géographies (la Mer du nord pourtant et Saint Idesbald) et les personnages (Grand-Mère, Ferdinand Elysée Gérard, dont la photographie en médaillon orne la couverture du livre, survivant invalide de la grande Guerre, la Mère...). Il faut lire ce récit pour soi, pour y trouver, chacun à notre manière, de quoi nourrir l'écheveau des secrets qui constituent, au bout du chemin, un homme adulte affrontant ses fantômes.
Mon exemplaire du livre est dédicacé "Pour l'ami Jean, cette confession tragique". L'encre mauve se déploie dans une graphie à l'ancienne qui devait être la première impertinence discrète de l'enfant à qui on promettait tant l'échec qu'il ne crut pas qu'un autre destin pût lui être voué. Le livre est dédié à "L'Aimée", celle dont on lira dans le récit qu'elle sauva le jeune adulte, en lui prouvant "que l'on pouvait même avec une expérience réduite de la douceur, aimer et être aimé."
Voici le récit d'une résilience dont on devine combien il fut âpre à écrire, puis à publier, à livrer au public. Au lecteur de lui donner sa place exacte: dans la bibliothèque du coeur et celle des enfances trahies.
Jean Jauniaux, 18 septembre 2018
Sur le site de l'éditeur Pierre Guillaume de Roux:
Assoiffé d’une estime qui ne viendrait jamais, je me suis imposé des fardeaux qui n’étaient pas ceux d’un fils en pleine croissance. Interdite, l’insouciance ; obligatoire, la méfiance ; inévitable, l’échec. Je me doute maintenant que, venant de moi, tu aurais préféré une révolte ouverte, comme celle que tu infligeas à tes parents. Mais je ne voulais pas ajouter du désordre au désordre, ni attiser l’incendie que, dans ton inconscience, tu avais allumé comme par jeu. Tu n’es jamais parvenu qu’à démanteler ce que ton fils aurait voulu restaurer, ce en quoi tu fus bien l’enfant gâté de ton époque. Ta dégringolade fut celle du paria. En fin de compte, tu auras trahi et l’amont et l’aval, tes parents accablés de désespoir, ton fils couvert de cicatrices et déshérité jusqu’à l’os. »
Un fils s’adresse au fantôme paternel ; il retrace un triple parcours spirituel, esthétique et moral étalé sur un siècle et qui prend sa source à l’automne 1914, quand un obus allemand fracasse le destin de sa lignée. Méditation sur les blessures transgénérationnelles comme sur la faillite d’une époque, Le Prince d’Aquitaine est un roman à la veine blasonnée et secrète, qui témoigne d'un cheminement douloureux et stoïque pour... le meilleur du talent.
Par Christopher Gérard, auteur, entre autres, d’Aux Armes de Bruxelles (récit couronné par l’Académie royale, Pierre-Guillaume de Roux), Vogelsang ou la mélancolie du vampire (roman, Prix Indications, L’Age d’Homme), Le Songe d’Empédocle (roman, Prix E. Martin, L’Age d’Homme).