samedi 15 septembre 2018

Schumann/Schwabe: la pleine complicité du violoncelle

En guise d'éditorial...
"Délectable dans sa totalité", c'est par cette appréciation que Jean Lacroix achève cette douzième recension de la série "Sans la musique serait une erreur", formule nietzschéenne qu'il confirme ici encore en nous invitant à participer à la complicité intense d'un artiste, d'un compositeur et d'un instrument. 
Jean Jauniaux










Le concerto pour violoncelle et orchestre, composé en 1850, juste avant la Symphonie n° 3, la  « Rhénane », témoigne chez Schumann d’une période féconde sur le plan de la composition.
Ce « tube » de la discographie est une œuvre en trois mouvements enchaînés d’une vingtaine de minutes qui bénéficie d’un climat poétique, mais aussi de traits de virtuosité qui réclament de la part de l’interprète une grande maîtrise de l’instrument, comme un sens du rythme et de la respiration, le tout à combiner avec de la fraîcheur et de l’esprit.

Après les témoignages de grands anciens comme Rostropovitch, Fournier ou Starker, ou plus récemment d’Anne Gastinel ou de Jean-Guihen Queyras, que peut apporter un nouvel enregistrement ?  La réponse se trouve en tout cas du côté de Naxos. Après un beau CD consacré aux concertos de Saint-Saëns, Gabriel Schwabe, à la double origine allemande et espagnole, propose un programme où ce concerto côtoie des partitions de chambre du même Schumann (Naxos 8.573786). On ne peut que s’incliner devant cette réussite : liberté de ton, fantaisie, phrasé de classe, mais aussi concentration et pureté du chant (un superbe instrument italien réalisé à Brescia vers 1600). De quoi se dire que beaucoup de choses peuvent encore être exprimées dans ce concerto pourtant doté d’une impressionnante discographie, aux premiers rangs contemporains de laquelle Schwabe vient s’inscrire. Le Royal Northern Sinfonia, placé sous la direction de Lars Vogt, qui est aussi pianiste, est un partenaire au soutien attentif et chaleureux.

Le reste du programme, réservé au duo violoncelle/piano - il s’agit pour le clavier de Nicholas Rimmer, talenteux chambriste qui a déjà reçu un Diapason d’or et a signé précédemment avec Schwabe, toujours pour Naxos, des sonates de Brahms -,  est alléchant et copieux : ce sont des œuvres de 1849, autre période féconde pour Schumann (les Scènes de la forêt datent de janvier), qui ont été choisies, dont certaines ont été transposées pour le violoncelle par le compositeur ou par Schwabe lui-même pour le présent CD. On débute avec l’enthousiaste et enjoué Adagio et Allegro opus 70 de février, destiné au cor, que suivent les Fantasiestücke opus 73, primitivement pour clarinette, qui alternent un lyrisme intense avec une élégante nostalgie. Suivent les  Cinq pièces dans le ton populaire opus 102 et leurs rythmes de danses stylisées, composées en avril. Quant aux Trois romances opus 94, elles ont été écrites en décembre de cette année fructueuse ; transposées du hautbois par Schwabe, elles conservent le même charme que dans leur version d’origine. Le soliste a ajouté à son programme, en guise de cerise sur le gâteau, un arrangement de l’Intermezzo de la curieuse Sonate F-A-E., pièce collective à laquelle Brahms collabora, offerte en cadeau au violoniste Joseph Joachim. Tout cela, servi par le duo Schwabe/Rimmer avec chaleur et conviction, en vient presque à éclipser la valeur de l’interprétation du concerto. Ce CD, réalisé pour la plus grande gloire de Robert Schumann, est délectable dans sa totalité.

Jean Lacroix