mardi 29 novembre 2016

"Les Cerfs", premier roman de Veronika Mabardi

Les Cerfs 
roman de Veronika Mabardi
avec des dessins d'Alexandra Duprez
Editions Esperluète






Le jury du Prix Triennal de littérature française de la ville de Tournai 2016, en couronnant le premier roman de Veronika Mabardi a mis en évidence à la fois une grande dame du théâtre et de la littérature, mais aussi une plasticienne sensible et expressive (Alexandra Duprez) ainsi qu'une maison d'édition portant un nom aussi musical que stimulant et significatif : l'esperluète . Anne Leloup, qui est aussi peintre et graveur-lithographe, a créé cette belle maison et son catalogue de rencontres entre littérature et art plastique, où se retrouvent  Corinne Hoex, François Emmanuel, Annick Ghijzelings, Dominique Loreau, Loustal, Colette Nys-Mazure et tant d'autres

A chaque phrase de ce roman, paru en 2014, le lecteur est porté par une voix, familière et profonde, simple et entrelacée. Lors de la cérémonie de remise du Prix, au Musée des beaux Arts de Tournai, une représentation en était donnée qui faisait la démonstration de cette première sensation de lecture. 

Le fil narratif se déroule à partir d'un deuil brutal faisant de la petite Blanche une orpheline que la mort de sa maman plonge dans un irrémédiable silence. La fillette laisse désemparées toutes les bonnes volontés qui tentent de l'entendre à nouveau: son papa, perdu dans son propre chagrin, le médecin dont l'art de guérir ne franchit pas l'obstacle mutique, l'entourage prodigue de conseils... La décision est alors prise de confier Blanche à Annie, dont la maison isolée se trouve en lisière de la forêt. Commence alors le lent apprivoisement de la petite par tout ce que représente Annie et tout ce qui l'entoure, dont la personnalité se nourrit de ces petits riens que lui donnent un amoureux, le vent, la forêt, les arômes de pain et de rosée, la bonté du matin dont frémit dans son enclos un cheval, la sidération du renard ou la silhouette devinée des cerfs entre les arbres.

Voici un livre que l'on relit pour mieux s'imprégner à chaque lecture de ce lent croisement entre le silence de la petite fille et les émerveillements auxquels elle ne peut se refuser. Métaphore du deuil, c'est à dire de la vie, ce fragment de destin nous est conté avec l'aménité sensible d'une voix qui s'est jusqu'à présent consacrée au théâtre et dont nous attendons déjà le prochain roman. Dans l'une et l'autre esthétique littéraire, Veronika Mabadi ne doit plus nous convaincre de son talent, simplement continuer à nous envoûter...

Voici un livre que l'on relit à nouveau pour se concentrer cette fois sur les dessins d'Alexandra Duprez dont la grâce et la puissance se mêlent dans cet ample mouvement du coeur battant et s'alignant au fil du récit, sans nous distraire de notre propre rêverie de lecteur qu'elle nourrit d'une dimension silencieuse et musicale, comme si, de chacun de ses traits elle faisait une berceuse pour l'enfant auquel nous nous sommes attachés.

Est-il meilleure démonstration de la justesse du croisement auquel l'éditrice Anne Leloup nous invite entre l'esthétique du texte et celle de l'image, clé de voûte de sa collection  et qui nous avait déjà donné une première oeuvre complice de Mabardi et Duprez, "Pour ne plus jamais perdre".

Voici un livre dont on devine déjà dont la prochaine lecture  ouvrira la voie à de nouveaux univers,  de nouvelles rêveries, de nouveaux regards emplis de l'autre, de l'enfant, de la rumeur de la forêt qui nous consolent et nous enchantent. 

Edmond Morrel, Saint Idesbald, le 29 novembre 2016 

En écoutant cet extrait lu par l'auteure sur Sonalitté, on se laisse emporter à nouveau dans la phrase musicale et vibrante de Veronika Mabardi.