samedi 17 décembre 2016

"Le mystère de Jean l'oiseleur" 
de Jean Cocteau
Edition Les Saints-Pères
("Editeur de manuscrits" )




Avec toute la fulgurance de la poésie romantique, Alfred de Musset avait exprimé déjà la puissance du chagrin dans l’inspiration esthétique lorsqu'il ouvrait sa Nuit de Mai avec ces deux vers d’une perfection radicale :

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots »

S’il fallait vérifier cette douloureuse assertion, il suffirait d’ouvrir à n’importe quelle page Le mystère de Jean L'Oiseleur - enfin re-publié - qu’inspira à Jean Cocteau la mort brutale de Raymond Radiguet, emporté par une fièvre typhoïde en décembre 1923.  « Seul, stupéfait de tristesse », Cocteau a perdu l’homme qu’il aimait. L’auteur du Diable au corps  avait à peine vingt ans. Jean Cocteau plongé dans une dépression abyssale, se retire sur la côte d’Azur à Villefranche-sur-Mer. Dans sa chambre d’hôtel, l’idée du suicide hante celui qui se dit « amputé du meilleur de (lui-) même ».

"Les trente planches qui suivent ne dénoncent aucune vanité", écrit-il en 1924. "Le hasard dune chambre d'hôtel petite avait placé ma table devant l'armoire à glace. J'étais seul. Je cherchais les nombreuses manières de résoudre un même visage..."

On l’imagine, assis dans cette chambre, perdu dans le chagrin et la dépression, le regard vide, le cœur battant en sanglots. Face au miroir de sa chambre d’hôtel, il installe une table, y dépose du papier, des crayons et se laisse porter par la plus originale des investigations du deuil : il réalise jour après jour trente et un autoportraits. Il mes accompagnera ensuite ("j'ajoutai quelques notes en marge pour faire une surprise <à l'éditeur Edouard Champion>" ) de textes courts, aphorismes et  pensées. David Gullentops - dans une analyse qui, avec la belle préface de Dominique Marny, la petite nièce de Cocteau, introduit l'ouvrage - évoque en quoi ces monologues  annoncent « une nouvelle période de création. »

La démarche de Cocteau appartient-elle à un travail de deuil, à la fois par la nécessité vitale de créer, le besoin d’explorer par l’autoportrait la survivance de l’être aimé dans le regard de celui que la mort a abandonné au chagrin, et, déjà, l’organisation des lendemains à vivre, puisque la mort ne sera pas choisie.

Les Editions des Saints Pères complètent avec « Le mystère de Jean L’Oiseleur » une bibliothèque où se côtoient des manuscrits de Hugo, Flaubert, Carroll, Baudelaire, Verne, Vian et d’autres encore.

Elles nous donnent ici cet énigmatique bonheur de contempler l’entrelacement des dessins et textes manuscrits qui, à l'évidence, ont distrait le poète de la tentation suicidaire , par la beauté et la création, au soleil noir du désespoir dans l’encrier duquel il plonge la plume salvatrice.

Songea-t-il alors à ces autres vers de Musset?

Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.



Edmond Morrel, le 17 décembre 2016